Ne vous frottez pas les yeux, vous avez bien lu et ce n'est pas une
faute d'accord. L'italique est importante : je veux vous parler de
l'usage du pronom je chez Nicolas Sarkozy.
Depuis la campagne 2007, on a beaucoup glosé sur son usage intensif de
ce pronom. Le discours de la Porte de Versailles, le 14 janvier 2007
était de ce point de vue un cas d'école : un je toutes les 17
secondes, un quart des phrases commençant par ce mot... J'avais fait
remarquer que si l'égotisme linguistique du candidat, devenu président,
était incontestable, il n'avait rien à envier au maître en la matière,
François Mitterrand, ou à son adversaire de l'époque, Ségolène Royal
(voir dans Mots de Nicolas Sarkozy et ici, ici, et ici sur mon blog).
Vous avez peut-être joué avec l'Observatoire des discours que nous avons réalisé pour le Monde avec Linkfluence
(et que nous venons de mettre à jour). Un outil (en haut à droite) vous
permettra de vous faire une idée de l'usage des différents pronoms par
les candidats en lice pour la présente élection, ainsi que lors de la présidentielle 2007 et dans l'ensemble des discours de Nicolas Sarkozy depuis 2004 (accession à la présidence de l'UMP).
On constate une évolution tout à fait étonnante de l'usage du pronom je dans la bouche de Nicolas Sarkozy au fil du temps (la courbe en rouge pointillée donne la tendance lissée). Je ne m'attendais pas à constater autant d'amplitude dans les variations : l'usage du je varie d'un facteur de 1 à 4 ou plus selon les périodes, ce qui est considérable.
Mais le plus intéressant sans doute est qu'on peut suivre les différentes étapes de la conquête du pouvoir par Nicolas Sarkozy. Le premier pic de je en 2004 correspond à sa candidature et son accession à la présidence de l'UMP, après quoi le je décline pour remonter de plus belle à partir de l'automne 2005. Souvenez-vous : c'était la crise des banlieues, la rivalité avec Dominique de Villepin, qui était à l'époque donné premier dans les sondages... Il est vrai que Nicolas Sarkozy pensait à la présidence de la République depuis longtemps, et pas seulement en se rasant, mais il semble bien que la fin 2005 ait été le vrai point de départ de sa course à l'Elysée. L'usage du je va croître de façon intense jusqu'au soir du second tour.
Nicolas Sarkozy entre alors dans un rôle différent, celui de président. On aurait pu penser que le passage à ce nouveau rôle, qui s'accompagne d'un discours de nature différente, moins personnel par définition, produirait une cassure franche dans les courbes — j'allais dire une rupture. En fait, on voit que le je décline, mais de façon progressive. Comme si le président ne cessait que graduellement d'être candidat. Marie-France Garaud disait à propos de Jacques Chirac qu'il était un excellent cheval d'obstacle, mais qu'il aimait tellement la course qu'il continuait à sauter sur le plat... Il faut avouer que c'est un peu l'image que nous a donnée Nicolas Sarkozy dans sa période d' «hyperprésidence ».
Bon an mal an, la courbe du je décline au fil du quinquennat. Le président se présidentialise et parle moins de lui — avec des sautes d'ego de loin en loin, notamment début 2011. Le cheval commençait à piaffer dans les stalles... Et la barrière est tombée à la rentrée 2011, date du lancement de la course à l'Elysée.
Les mots nous disent décidément bien des choses. Ils parlent volontiers malgré nous. Surtout ceux qu'on ne surveille pas, comme les pronoms et autres « petits mots » du discours... Nos observatoires sont là [2007, Sarkozy, 2012] pour vous aider à jouer avec eux !
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