TOUT EST DIT

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dimanche 22 janvier 2012

L'humanité va-t-elle manquer d'eau ?

Du fait de la croissance démographique, la demande mondiale pourrait doubler d'ici à 2050. D'autre part, l'industrie des pays émergents va devenir plus gourmande.


Les précipitations continentales (pluie, neige) sont le patrimoine d'eau douce de l'humanité. Mais ce capital, évalué à 110.000 milliards de mètres cubes par an (Mds m3/an), est inégalement réparti. Les régions arides, qui en reçoivent peu, sont soumises à un stress hydrique permanent. On parle alors de pénurie physique. Mais le manque d'eau a aussi une origine économique. C'est le cas dans de nombreuses régions, pourtant bien arrosées, où l'insuffisance des infrastructures hydrauliques engendre la pénurie. Résultat: en 2012, un Terrien sur sept n'a pas accès à une eau potable de qualité.
À l'échelle globale, 64 % des précipitations sont reprises par évapotranspiration**: 57 % dans les forêts, prairies, zones humides et seulement 7 % sur les terres cultivées. Les 36 % restants alimentent les écoulements: rivières et nappes souterraines dans lesquelles l'irrigation, pratiquée sur 300 millions d'hectares (Mha), représente la majeure partie des prélèvements (70 % soit 2800 Mds m3/an). Les villes, les industries et l'hydroélectricité utilisent le reste (1200 Mds  m3). Plus de 60 % de ces écoulements sont partagés par 150 pays sur plus de 500 fleuves et aquifères transfrontaliers. La communauté internationale n'a pu encore s'entendre sur les principes universels d'utilisation de ces ressources et de prévention des conflits: la convention adoptée à cet effet par les Nations unies en 1997 n'est toujours pas en vigueur.
Les quantités d'eau consommées par l'agriculture pluviale (non irriguée) et irriguée pour la production des besoins alimentaires de l'humanité représentent 95 % de notre demande en eau totale, le reste est utilisé par l'eau potable et les industries. De nombreux pays ne produisent pas toute leur alimentation et en importent une part, pour certains très importante, sous forme d'eau virtuelle (quantité d'eau mobilisée pour produire les aliments). Les flux atteints par cette eau virtuelle (1600 Mds m3/an) traduisent la mondialisation des ressources en eau. Les pays fortement dépendants n'en éprouvent pas de stress particulier s'ils ont un pouvoir économique suffisant. En revanche, et pour réduire leur facture alimentaire, les moins riches doivent nécessairement optimiser ces flux en développant des capacités locales de production et de stockage de produits alimentaires jugés stratégiques.

Des réformes radicales

Du fait de la croissance démographique, la demande alimentaire mondiale pourrait doubler d'ici à 2050. Or les ressources en eau sont déjà fortement ­entamées par l'irrigation avec de forts impacts sur l'environnement: surexploitation des eaux souterraines (20 millions de puits en Inde!), salinisation des sols (20 Mha affectés), artificialisation des rivières et fragilisation des zones humides, dégradation de la qualité de l'eau. Pour ne rien arranger, le réchauffement climatique devrait exacerber la situation.
Comment, dans ces conditions, continuer à subvenir aux besoins croissants de l'irrigation qui permet de produire 40 % de l'alimentation mondiale sur seulement 20 % des terres cultivables? Les prélèvements d'eau et les superficies irriguées devraient en conséquence croître fortement, en particulier dans les pays qui souffrent déjà de stress hydrique. Sans changement majeur, ce sera difficile. Des réformes radicales vont devoir être mises en œuvre: irrigation localisée, plantes économes en eau, tarification juste, ­adhésion des agriculteurs. L'objectif est de produire plus avec moins d'eau, tout en préservant les écosystèmes.
De son côté, l'agriculture pluviale s'étend sur 1300 Mha. Elle représente à l'échelle mondiale 80 % des surfaces cultivées (90 % à 95 % au Maghreb et en Afrique subsaharienne) et produit 60 % des aliments de la planète. Dans certaines régions d'Europe et d'Amérique du Nord, il est possible de développer des cultures pluviales à haut rendement. Mais dans de nombreux pays arides, les rendements agricoles subissent des variations dramatiques dues aux aléas climatiques. Dans ces situations, il faut renforcer les capacités traditionnelles d'adaptation à la sécheresse: cultures en terrasses, banquettes anti-érosives, zones d'épandage de crues pour l'irrigation et la recharge des nappes, variétés résistantes à la sécheresse.
L'industrie est le secteur d'activité dont la demande en eau est appelée à s'accroître le plus en raison de l'équipement des pays émergents. Pour satisfaire tous ces nouveaux besoins, il faudra développer des ressources alternatives. Actuellement, le recyclage concerne 7 Mds m3/an, soit 4 % des eaux usées urbaines collectées et traitées, offrant une perspective intéressante, notamment en agriculture. Le dessalement des eaux saumâtres et de l'eau de mer produit 8 Mds m3/an, ce qui représente 0,2 % de l'eau douce consommée dans le monde. Les coûts de production devenant compétitifs, cette ressource pourrait doubler d'ici à 2020, même si son coût énergétique et son impact écologique (rejets de saumures) demeurent élevés.

L'eau potable pour tous

Autre sujet crucial: l'alimentation des villes en eau potable a toujours été une priorité absolue. Si le monde était à 70 % rural en 1950, il sera à 70 % urbain en 2050. L'explosion démographique urbaine qui s'annonce dans les pays en développement fait craindre de nouvelles pénuries: les villes y compteront plus de 5 milliards d'habitants en 2050. Il faudra donc chercher l'eau toujours plus loin et recourir davantage au dessalement, quitte à augmenter la facture de l'eau pour des collectivités parfois dépourvues des moyens nécessaires. Le devoir de coopération internationale est ici primordial, faute de quoi la généreuse résolution 64/292 des Nations unies de juillet 2010 reconnaissant le droit à l'eau potable pour tous resterait lettre morte.
*À écouter sur Canal Académie  http://www.academie-sciences.fr/)  dans l'émission «Quelle gestion  de l'eau en Tunisie, au Sénégal  et au Burkina Faso?» avec Doudou Ba et Vincent Dabilgou.
**Transfert du sol vers l'atmosphère  par évaporation et transpiration  des plantes.


Comment rendre les plantes résistantes à la sécheresse

La vie et l'eau sont indissociables, tant chez les animaux que chez les végétaux. C'est d'ailleurs tard au cours de l'évolution que certains organismes aquatiques sont parvenus à affronter la terre ferme.
Chez les animaux terrestres, le système circulatoire fermé est une réminiscence de ce milieu aquatique originel. Par opposition, l'eau transite chez les plantes qui l'absorbent par leurs racines et l'éliminent par évaporation au niveau de leurs feuilles, créant ainsi un système ouvert. Cette évaporation est le résultat d'un rejet d'eau sous forme gazeuse par de microscopiques orifices foliaires: les stomates. La circulation ascendante, des racines jusqu'au sommet des tiges, résulte d'une poussée racinaire et surtout d'une aspiration par le feuillage qui constitue une véritable pompe. Les plantes, fixées par leurs racines, sont assujetties aux variations du milieu, notamment la déshydratation. En période estivale, ce stress peut se traduire par la fanaison.

Le phénomène de reviviscence

Les végétaux ont élaboré deux grandes stratégies pour ne pas succomber au manque d'eau. La première consiste à former des graines, structures déshydratées adaptées à surmonter des conditions hostiles, comme c'est le cas en hiver sous nos latitudes. Lorsque les conditions redeviennent favorables, les graines germent et le cycle de la vie redémarre. Le second mode se rencontre chez des végétaux comme les mousses ou les lichens capables de se dessécher et de se réhydrater. Ce phénomène de reviviscence s'observe chez les plantes dites de la «résurrection».
Les plantes à fleurs ont le plus souvent recours à d'autres mécanismes adaptatifs. C'est ainsi que certaines espèces perdent leurs feuilles pendant la saison sèche et stockent l'eau dans leurs tiges ou leurs organes souterrains. D'autres réduisent leurs feuilles sous forme d'épines (cactées) quand d'autres les protègent par des poils formant un manchon d'air protecteur au niveau de leurs stomates, ces derniers se fermant le jour pour limiter les pertes d'eau.
Au sein d'une même espèce, certains individus résistent aux stress hydriques répétés quand d'autres disparaissent. À l'échelle de l'évolution biologique (quelques centaines de milliers à quelques millions d'années), ces stress génèrent des mutations qui confèrent à la plante la capacité de résister au manque d'eau. Un enjeu agronomique majeur consiste donc à identifier ces gènes mutés afin de les introduire dans des variétés cultivées pour les rendre tolérantes ou résistantes à la sécheresse. Sous nos climats, les céréales de printemps et de nombreuses variétés cultivées n'ont pas trop à souffrir de ce stress. A contrario, les espèces qui fleurissent en été, comme le maïs, ou celles qui poussent sous des climats arides nécessitent soit des variétés adaptées soit de l'irrigation.

Stress hydrique

Blé, riz et maïs représentent 60 % de l'alimentation mondiale. Des recherches ont abouti à la création de maïs transgéniques plus résistants à la sécheresse et cultivés dans certains pays, comme l'Afrique du Sud. D'autres voies de sélection plus conventionnelles, avec recherche systématique des nombreux gènes impliqués dans la résistance au stress hydrique existent, mais sont plus lentes à mettre en œuvre car beaucoup plus complexes. Les enjeux sont importants et les stratégies envisagées pour trouver des solutions économiquement et socialement satisfaisantes sont encore sujettes à polémique, notamment en Europe où les sécheresses ne constituent pas, sauf certaines années, un problème majeur. Il reste que l'agriculture consomme beaucoup d'eau et qu'importer ou exporter des matières premières agricoles revient à échanger de l'eau «virtuelle»!

Les diarrhées transmises par l'eau tuent 1,5 million d'enfants chaque année

L'eau, l'assainissement et l'hygiène sont les fondements oubliés de la santé. Alors que près de 80 % de la population mondiale a désormais accès à l'eau, 40 % de cette population (soit 2,6 milliards d'individus) est dépourvue de structures sanitaires de base. La défécation en plein air est encore pratiquée par 20 % des êtres humains et 300 millions de tonnes d'excréments polluent chaque année rivières, mers et lacs.
Cet état dramatique a un impact important sur la santé humaine: plus de 20 maladies sont transmissibles par l'eau, au premier rang desquelles les diarrhées qui sont l'une des principales causes de la mortalité infantile avant 5 ans (1,5 million de morts par an, soit 5000 par jour!), les hépatites A et E, les salmonelloses, sans oublier le choléra dont les épidémies ressurgissent régulièrement.
Cette situation n'est pas le seul apanage des pays en développement. En Europe (notamment l'Est et le Sud), 120 millions de personnes n'ont pas accès à des équipements sanitaires de base. Dans la seule région méditerranéenne, 47 millions d'individus sont dépourvus de structures d'hygiène dont 25 % des foyers ruraux. Résultat: les diarrhées et les maladies transmises par l'eau y sont responsables de 12 % de la mortalité infantile, soit 14.000 décès annuels.
Outre les impacts directs sur la santé auxquels s'ajoutent les risques liés aux polluants organiques et aux micropolluants, les impacts socio-économiques ou sur l'éducation (absentéisme scolaire, en particulier chez les filles) font que les stratégies d'assainissement sont l'une des toutes premières priorités du développement (priorité 7 des objectifs du millénaire). Elles dépendent aussi bien d'une volonté politique ferme que de budgets appropriés et parfaitement supportables. Elles reposent enfin sur une triade indissociable: qualité des ressources en eau, équipements sanitaires (notamment en milieu rural et en milieu scolaire), éducation continue à l'hygiène *.
* Une récente conférence internationale, organisée par le Groupe interacadémique pour le développement (GID) de l'Académie des sciences à Rabat: Parmenides 4 «Eau et assainissement »: enjeux et risques sanitaires en Méditerranée a permis l'élaboration des recommandations essentielles 

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