mardi 17 janvier 2012
L'histoire en crise
Un jour, on vote une loi sur le génocide arménien de 1915 ; un autre, on célèbre Jeanne d'Arc sur tous les tons... L'histoire devient une ressource symbolique instrumentalisée par certains acteurs politiques ¯ pas tous, heureusement ! ¯ s'arrogeant le droit de décider de la vérité historique.
Il fut un temps où l'histoire était presque sacrée. Elle permettait aux écoliers d'accéder à un récit ponctué de grandes dates : 732, 1515, 1789... Elle offrait aux instituteurs un facteur puissant d'intégration. L'histoire des chercheurs rayonnait bien au-delà de nos frontières ; la France, nation universelle, adressait au monde entier un message chargé de valeurs et de connaissances que ses historiens contribuaient à produire et à diffuser.
Au milieu du XXe siècle, l'École des Annales a constitué une forte inflexion et l'apogée de cette période où l'histoire était prééminente en France. Les historiens français occupaient une place internationale de premier plan. Marc Bloch, Lucien Febvre, puis Fernand Braudel et Ernest Labrousse, ont incarné une historiographie renouvelée, reliée aux autres disciplines des sciences de l'homme, qui apparaissaient un peu comme les demoiselles d'honneur de la reine de beauté qu'elle était.
Les historiens français, dans l'ensemble, produisent aujourd'hui des connaissances d'excellente facture. Ils constituent un milieu nombreux, dense et actif. Mais leur prépondérance mondiale n'est plus ce qu'elle était et leur importance dans la vie intellectuelle et scientifique de notre pays pas davantage. Les professeurs d'histoire éprouvent souvent, comme d'autres, le sentiment d'une chute sociale exacerbée par l'attitude des pouvoirs publics, qui réduisent la place de leur discipline dans certains programmes, ou le comportement d'élèves qui contestent le contenu des cours au nom de leur mémoire familiale.
La fin d'une place privilégiée
À l'étranger, en dehors de milieux professionnels spécialisés, nos meilleurs historiens sont moins connus et célébrés qu'à l'époque, pourtant relativement proche, où l'on s'enthousiasmait dans de larges cercles pour les travaux de Jacques Le Goff, Georges Duby, Emmanuel Le Roy Ladurie, François Furet, Jean-Pierre Vernant, et tant d'autres. Et, en France, l'histoire a perdu son aura. Des mémoires la contestent, portées par des groupes réclamant la reconnaissance de leurs souffrances passées. Des lois « mémorielles » sont votées qui donnent l'impression que les politiques prennent la place des historiens. À l'école publique, une partie de l'enseignement sur des dossiers sensibles, la Shoah par exemple, est confiée à d'autres que des historiens de métier. Et dans la vie scientifique, l'histoire n'occupe assurément plus la place privilégiée qui était la sienne parmi les autres disciplines des sciences de l'homme et de la société.
Plus la société devient multiculturelle et moins il est possible de promouvoir un récit national oublieux des différences, qu'elles soient anciennement présentes sur le territoire national ou apportées par l'immigration. De plus, la globalisation pèse sur la vie sociale et économique de notre pays, le monde devient multipolaire : dès lors, l'idée d'une historiographie rayonnant comme un soleil depuis Paris apparaît comme singulièrement dépassée. Le changement affaiblit nos vieilles conceptions de l'histoire et nos façons de l'enseigner. Certains acteurs politiques s'engouffrent dans l'espace ouvert par ces carences.
(*) Sociologue.
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