Depuis le début de l'année, il règne comme un parfum de sortie de crise sur les marchés alors que l'ambiance était au catastrophisme en décembre.
Dans l'intervalle, le cas grec n'a pourtant pas été réglé, la mise en place des pare-feu de la zone euro -FESF et MES- n'a pas progressé. Un seul événement permet donc s'expliquer ce changement d'humeur soudain. Le fait d'arme de Mario Draghi: un prêt massif de 489 milliards d'euros consenti le 21 décembre pour trois ans aux banques européennes.
La portée de cette mesure avait été sous-estimée lors de son annonce le 8 décembre. Car les marchés comme nombre de gouvernements européens n'attendaient qu'une chose de Mario Draghi: que la BCE se résolve enfin à faire ce que ses dirigeants et l'Allemagne ont toujours refusé, c'est-à-dire prêter enfin, directement, aux États comme le font la Fed aux États-Unis ou la Banque d'Angleterre.
Mario Draghi, tout juste installé à Francfort, a choisi une arme dans son arsenal de crise. Celle-ci s'est avérée être un bazooka. La BCE a proposé aux banques de lui emprunter en quantité illimitée et à bas prix (1% de taux d'intérêt). En temps normal, la banque centrale ne prête aux établissements que sur des périodes courtes, jusqu'à trois mois. La crise avait déjà justifié des prêts à un an. Cette fois, l'argent a été mis à disposition pour trois ans. «La BCE a donné un temps précieux aux décideurs européens pour boucler leurs propositions de solution à la crise», souligne Guy Mandy, stratégiste chez Nomura.
•Bouée de sauvetage pour les banque fragiles
Si cette mesure inédite de la BCE à l'égard des banques a eu un tel effet, c'est que la zone euro était bel et bien menacée fin 2011 par une crise bancaire. Une sortie de route, à l'image de celle de Dexia en octobre, était la hantise des marchés. Car les banques les plus fragiles de la zone euro ne parvenaient plus à trouver le moindre euro de liquidités en dehors de ceux que la BCE voulait bien leur prêter, à court terme. «Nous n'avons plus de lignes pour prêter aux banques grecques, portugaises ou aux petits établissements espagnols.» À l'instar de ce trésorier d'un établissement parisien, les institutions financières du monde entier ont établi une ligne de démarcation. Or, comme les États, les banques ont besoin d'aller régulièrement chercher de l'argent sur les marchés pour financer leur activité. Quand les robinets se ferment, la crise de liquidité qui en résulte peut emporter un établissement en quelques jours.
Grâce à la BCE, les banques du sud de l'Europe ont pu amasser assez de noisettes pour cet hiver, et au-delà. «La probabilité qu'une banque européenne fasse défaut a chuté de façon très importante», soulignent les analystes de la Société générale. D'autant que le 29 février prochain, la BCE proposera une nouvelle opération à «guichets ouverts». Et les banques auront d'autant plus de facilité à y participer que la BCE aura d'ici là considérablement élargi la palette des actifs (les «collatéraux») qu'elle accepte en garantie de ses prêts. Cette seconde opération pourrait attirer une demande de 250 à 350 milliards d'euros, selon Barclays.
• Les grandes banques se prêtent entre elles
Pour les grandes banques, l'effet a également été très bénéfique. La plupart ont pris à bord de quoi couvrir une partie de leurs programmes d'émissions de dette pour toute l'année 2012. C'est typiquement le cas des banques françaises qui ont puisé 43 milliards d'euros à la BCE et pourront compléter ce matelas en février. Face à l'incertitude que représentent des marchés susceptibles de se fermer à tout moment, cette sécurité retrouvée a détendu tout le monde. Conséquence immédiate, depuis un mois, le marché interbancaire s'est rouvert pour les grandes signatures, de BNP Paribas à Deutsche Bank. Les banques se prêtent à nouveau entre elles, sur des durées allant jusqu'à un mois. «On peut emprunter au jour le jour moins cher que le 1% de taux d'intérêt demandé par la BCE», relève un opérateur de marché.
Même les fonds monétaires américains, qui avaient coupé en 2011 les lignes des banques européennes et en particulier françaises, reviennent avec prudence. Mieux, quelques banques sont parvenues à lever des emprunts sur un marché qui s'était totalement fermé au second semestre 2011.
• Détente sur la dette des États
Le «bazooka» de la BCE n'a pas seulement agi sur la crise bancaire. Il a aussi permis de soulager considérablement les tensions sur les dettes souveraines. Avec ce nouvel afflux de liquidités, les taux d'intérêt sur les pays de la zone euro se sont fortement détendus. L'Italie, par exemple, a émis vendredi des bons à six mois assortis d'un rendement inférieur à 2%, soit 3 fois moins qu'en novembre pour une adjudication équivalente! Cette détente n'est pas seulement le résultat d'un meilleur moral sur les marchés. Elle révèle qu'avec l'argent qu'elles ont emprunté à 1% à la BCE, les banques achètent des obligations d'État, surtout quand elles rapportent beaucoup, comme en Espagne et en Italie.
«Les banques espagnoles et dans une moindre mesure italiennes reconstituent leurs marges en utilisant l'argent tiré à la BCE pour acheter de la dette de leur pays», relate un banquier. C'est ce qu'on appelle le «Sarko trade», car le président français avait publiquement souhaité que les fonds libérés par la BCE viennent, par l'intermédiaire des banques, se placer sur les dettes d'État. Ont-elles subi des pressions amicales de leur Trésor national? Vraisemblablement, rétorquent les spécialistes, mais c'est aussi l'intérêt bien compris du secteur bancaire de ne pas laisser son pays faire faillite…
Paradoxalement, même si le nom de Nicolas Sarkozy a été donné à ces opérations, on assure à la fois du côté de Bercy et des banques que ces types d'achats n'ont eu lieu qu'à la marge en France. Ce qui n'a pas empêché les obligations tricolores, par contagion, de bénéficier elles aussi d'une détente sur ses taux, malgré la perte du AAA.
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