Emma Marcegaglia : la rigueur est en effet juste mais l'Europe entre en récession. En Italie nous avons du adopter cette année des plans d'économies pour un total de 75 milliards d'euros et nous entrons donc avec certitude en récession. Et en Europe les prévisions font état au moins d'un fort ralentissement de la conjoncture. Aussi l'idée de ne faire que de l'austérité ne tient pas. Il faut certes plus de contrôles sur les budgets, des sanctions, une véritable Union budgétaire : nous y sommes favorables car une simple coordination ne suffit plus. Mais il faut aussi mettre en place ce Fonds monétaire européen, c'est-à-dire augmenter la capacité du fonds de sauvetage (le FESF et bientôt le MES), comme demandé par le président de la Banque centrale européenne (BCE) Mario Draghi, jusqu'aux 1000 milliards d'euros évoqués et aussi introduire les euro-obligations ("eurobonds") pour financer un peu de croissance. Une Europe qui ne ferait que de l'austérité est en effet promise à une récession prolongée. Surtout les populations ne comprendraient pas pourquoi sont prises toutes ces dures mesures qui touchent directement leur vie en termes de réduction de leurs revenus, de hausse du chômage.
Comment jugez-vous l'action des gouvernements depuis le début de la crise de la dette souveraine ?
Cette action n'a pas été bonne. En effet s'il y avait eu une action assez énergique et immédiate face à la Grèce, qui ne représente tout de même que 2,5% du PIB de la zone euro et une dette en volume somme toute limitée, nous n'en serions pas là. Les gouvernements ont toujours agi avec retard, sans jamais anticiper et toujours avec des solutions partielles, jamais définitives. Certes cette situation est inédite, c'est la première grande crise de l'euro, mais de là à en arriver à parler d'un effondrement de la monnaie unique c'est incroyable!
Que pensez vous de la position allemande ?
Je comprends la peur des Allemands de devoir payer pour des pays dépensiers. Depuis les années 2000, ils ont fait beaucoup d'efforts et réduit les salaires. Beaucoup de gouvernements ont toutefois changé : en Irlande, au Portugal, en Grèce, en Italie et bientôt en Espagne. L'Italie a dopté un plan d'économies très sévère et très structurel. L'Allemagne peut être rassurée : nous sommes tous prêts à accepter l'union budgétaire et ses sanctions automatiques. Mais à ce stade, la chancelière Merkel doit comprendre qu'elle ne peut rester sur sa position rigide. Sa peur de devoir payer pour les autres est nettement moins justifiée. D'ailleurs dans ce contexte, je comprends que le président Sarkozy tienne beaucoup à cette approche franco-allemande mais il devrait pousser beaucoup plus pour convaincre la chancelière Merkel d'accepter de faire, elle aussi, un geste. Le président français devrait chercher à transférer l'attention sur la croissance économique et des instruments européens communs comme les eurobonds, sinon au bout du compte cela restera une position allemande. Paris et Berlin sont certes le moteur de l'Europe mais à un moment aussi complexe, cette relation bilatérale doit s'ouvrir à une discussion plus large, plus européenne, notamment aussi à l'Italie, dirigée désormais un président du Conseil au profil très européen
Les trois principaux syndicats italiens (CGIL, UIL et CISL) ont protesté ensemble ce lundi contre des aspects du plan de rigueur de Mario Monti. La paix sociale est-elle menacée en Italie ?
Il est évident que les syndicats protestent quand on touche aux retraites. Mais ils n'ont pas convoqué une grève générale mais une grève de trois heures. Des éléments du plan de rigueur qui, socialement, posent plus problème et pourraient être modifiés, comme la suspension pendant deux ans de l'indexation des retraites sur l'inflation. Il y aura des protestations : c'est normal mais je ne vois pas des risques très importants pour le climat social en Italie, surtout si ces modifications au plan d'austérité sont réalisées. En soutenant la rigueur, nous avons une vision certes différente de celle des syndicats mais le dialogue reste ouvert.
Craignez vous un resserrement du crédit, un "credit crunch" ?
Beaucoup. C'est notre préoccupation principale en ce moment. En Italie ce resserrement du crédit est déjà en cours. Si cette restriction devait se confirmer et qu'il n'y ait plus l'argent pour financer les activités des entreprises et des ménages ce serait très grave. Il faut absolument l'empêcher. L'essentiel est une réduction des écarts de taux entre les obligations italiennes et celles de l'Allemagne. Et donc il faut des décisions fortes au niveau européen. Ce qu'a fait la BCE, notamment pour le financement des banques comme annoncé jeudi dernier par Mario Draghi, ainsi que l'action concertée récente des banques centrales a servi en ce sens. Mais tant qu'il n'y aura pas de solution définitive à la crise en Europe cela peut déboucher sur un credit crunch. Il faut donc absolument en sortir avec une solution définitive et très crédible.
Après les législatives en Italie prévues au printemps 2013, la politique habituelle reprendra ses droits ?
Le gouvernement Monti a réussi un plan de rigueur qu'aucune coalition de droite ou de gauche n'aurait réussi à faire. Il marque aussi une phase de "pacification" entre les camps politiques antagonistes. Ils sont obligés de coopérer en ce moment de crise et cela est positif. D'ici 2013 une décomposition et une recomposition de quelques forces politiques pourraient se produire. Tant la gauche que la droite étaient jusqu'ici en leur sein très diverses, peu homogènes. Cette période d'urgence nationale pourrait amener à des changements dans les coalitions et déboucher sur des forces politiques plus homogènes. Cela augmenterait du coup la gouvernabilité du pays.
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