TOUT EST DIT

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dimanche 11 décembre 2011

"Le régime russe a des raisons de s'inquiéter"

Après une semaine de manifestations en Russie contre le résultat des législatives du 4 décembre, remportées par le parti de Vladimir Poutine, des dizaines de milliers de personnes doivent se rassembler en fin de matinée, samedi, à Moscou et en province.

Marie Jégo, correspondante du "Monde" en Russie, a répondu vendredi à vos questions sur ce sujet : "La contestation peut-elle ébranler le système Poutine en Russie ?".
Michel75 : On voit beaucoup ici d'images de manifestations mais quelle est l'ambiance générale à Moscou ? Que pense l'homme de la rue ?
Marie Jégo : On observe quand même comme une sorte de tension, de nervosité. Il y a de l'inquiétude sur ce qui va se passer dans les jours qui viennent. Le thème de la manifestation et du mécontentement est beaucoup abordé par les radios, par exemple, qui posent des questions et les auditeurs appellent pour donner leur sentiment. Les opinions sont partagées. Certains disent qu'ils vont aller à la manifestation de l'opposition, samedi 10 décembre. D'autres disent que c'est dangereux et qu'ils craignent des provocations. Et donc, ils n'iront pas. Toutefois, 34 000 personnes ont déclaré leur intention de participer au rassemblement sur Facebook.
Le chef des services sanitaires russe, Guennadhi Onichtchenko, a dit à la population de ne pas aller à la manifestation parce que les rassemblements de masse dans les rues "favorisent la diffusion rapide des virus et infections respiratoires". Il est coutumier de ce genre de déclaration. Il y a quelques mois, il avait dit que "le persil frisé était une drogue". Semant le doute chez les propriétaires de datcha.
Atomic : Qui mène le mouvement de contestation ? Voit-on naître une véritable opposition ?
Marie Jégo : A l'heure qu'il est, l'opposition russe, non parlementaire, celle qui a appelé à manifester, est très marginalisée. Elle n'a jamais eu l'autorisation de s'enregistrer en tant que parti. Il y a plusieurs mouvements dans cette opposition et elle est assez divisée. Toutefois, il y aura à la manifestation de samedi de nombreux mouvements sociaux et associatifs, comme les "seaux bleus", qui sont les automobilistes qui protestent contre le girophare et les passe-droits accordés aux hauts fonctionnaires. Il y aura aussi tous les mouvements anti-corruption.
Bruxelles : Quelles sont les revendications des manifestants ?
Marie Jégo : Les manifestants veulent une enquête sur les élections législatives du 4 décembre. Ils demandent que soient jugés les présidents des commissions électorales qui ont pris part aux fraudes. Et la mise en cause de la Commission électorale centrale qui, selon les témoignages d'observateurs, a retouché les bordereaux de décompte des voix.
Ldn_44 : Peut-on envisager un soulèvement de type printemps arabe ou n'est-ce qu'une manifestation post-électorale qui s'essouflera avec le temps ?
Marie Jégo : Il est à craindre que ce mouvement s'essouffle, parce qu'il n'est pas organisé. Il faut voir que la société russe vient de sortir du totalitarisme. L'écroulement de l'URSS s'est produit il y a vingt ans, presque jour pour jour. Et la confiance politique des gens est très peu développée. Ce qui est intéressant dans la contestation à laquelle on assiste aujourd'hui, c'est que les jeunes qui sont dans la rue se disaient jusque-là apolitiques. Le sentiment du Russe ordinaire, et il y en avait aussi dans les manifestations des Russes d'en-bas, c'est qu'on l'a humilié parce qu'on lui a volé son vote. Mais à vrai dire, cette contestation pourrait très bien s'essouffler.
Une page a quand même été tournée. Car le mythe du dirigeant bien-aimé, du chef de la nation, s'est fissuré. Le point de départ de ce sentiment, c'est l'annonce, le 24 septembre 2011, que Vladimir Poutine allait revenir au Kremlin pour six ans. Le premier ministre est d'ailleurs allé à la Commission électorale centrale au lendemain des législatives pour poser sa candidature à la présidentielle du 4 mars 2012. Le fait d'annoncer avant les élections qu'il revenait au Kremlin en prenant Dmitri Medvedev comme premier ministre avait tout l'air d'un arrangement conclu de longue date derrière les murailles du Kremlin, avant l'assentiment des électeurs. Le mythe de Poutine adulé s'est brisé lors d'un combat d'arts martiaux au stade Olympiiski, quand il a été hué par une bonne partie du public.
Michel Eltchaninoff : Y a-t-il un risque que les ultra-nationalistes s'allient avec les "nouveaux indignés" et l'opposition démocratique ?
Marie Jégo : Oui, c'est un risque. Par exemple, le blogueur anti-corruption, Alexeï Navalny, très populaire chez les internautes, ne cache pas ses sympathies pour les ultra-nationalistes. L'extrême-droite, qui est comme les mouvements de l'opposition non-parlementaire, marginalisée, ne manquera pas ce rendez-vous.
Cyril : Ces manifestations font-elles transparaître une scission générationnelle entre la population vieillissante et nostalgique des années URSS et la jeunesse "Internet/média" ?
Marie Jégo : Oui, on voit aujourd'hui l'émergence d'une jeunesse qui n'a pas connu l'URSS, qui voyage, est informée, mais apolitique. Sa caractéristique, c'est qu'elle n'a pas peur et qu'elle est tout de même un peu mieux organisée grâce aux réseaux sociaux. Samedi 10 décembre, des manifestations sont prévues à Saint-Pétersbourg et dans des villes de province. Mais le mouvement, bien sûr, est nourri avant tout par la jeunesse urbaine.
Yohann : Le régime russe se sent-il vraiment menacé par ces manifestations ? A-t-il des raisons de s'inquiéter ?
Marie Jégo : Oui, le régime russe a des raisons de s'inquiéter surtout quand on lit les commentaires abondants à propos des falsifications sur Internet. Il y a surtout une chose qui revient, c'est le sens de l'humour. Il y a énormément de blagues sur le tandem Vladimir Poutine et son protégé Dmitri Medvedev. Un dirigeant politique dont on se moque ne peut pas être un dictateur.
On a vu ces jours-ci les autorités inquiètes qui font pression sur les sites d'information, les sites des ONG, les journalistes de la télévision avec des propositions de limiter l'accès aux réseaux sociaux. Par ailleurs, le directeur du Facebook russe, Pavel Dourov, a confié subir d'importantes pressions du FSB (les services de sécurité) pour bloquer les interventions des opposants.
Harry : Quelles falsifications sur Internet ?
Marie Jégo : Sur Internet, les observateurs indépendants ont mis des vidéos, des documents. Par exemple, ils ont donné les bordereaux des résultats qu'ils avaient signés pour leurs bureaux de vote. Quand on compare avec les résultats officiels, publiés sur le site de la Commission électorale centrale, cela n'a plus rien à voir. Les experts, ici, soulignent que la falsification la plus importante, c'était la réécriture des bordereaux de décompte des voix. Il y a aussi beaucoup de témoignages de gens ordinaires qui font état de pression de leur hiérarchie pour voter pour le Parti Russie unie qui l'a emporté avec 49,5 % des votes. Selon l'ONG "Le Citoyen observateur", 20 % des votes auraient été falsifiés. Il y a eu aussi des votes multiples quand des électeurs sont amenés en bus dans plusieurs bureaux de vote. L'AFP cite le témoignage d'un jeune homme, à Saint-Pétersbourg, qui aurait voté dix fois contre une somme d'argent.
Yann : Qu'est ce qui pousse les Russes à descendre dans la rue ? Ce n'est pas la première fois qu'une élection est falsifiée en Russie...
Marie Jégo : Il y a toujours eu des falsifications, c'est vrai. Paradoxalement, les élections les plus propres étaient celles de 1989-1990. C'est-à-dire à l'époque de Gorbatchev. Cette fois-ci, quand même, les autorités y sont allées un peu fort. Par exemple, la Commission électorale centrale a donné, le soir du vote, des résultats par région, avec les pourcentages des votes pour chaque parti. Ces images ont été diffusées et commentées à la télévision. Le plus incroyable, c'est que lorsque l'on fait le total des votes par région, on obtient 147 % pour Rostov, 129 % pour Boronej et 115 % pour Sverdlovsk. Les gens se sentent humiliés par ces mensonges éhontés. Et par la propagande du pouvoir. De là, le sursaut citoyen.
Ces falsifications sont vécues comme une humilitation. De plus, le Kremlin a perdu la bataille sémantique. Partout, dans la blogosphère et dans la rue, les gens ne disent plus "Russie unie" mais "le Parti des voleurs et des escrocs".
Acaila : Peut-on espérer une intervention d'ordre "juridique", de la part de l'Europe, concernant ces élections, une commission d'enquête ?
Marie Jégo : L'Europe se montre très prudente. Beaucoup plus prudente que les Etats-Unis, car elle ne veut pas froisser Moscou. Il y avait quand même des observateurs de l'OSCE et du Conseil de l'Europe. Leur rapport fait état de bourrages d'urnes et de fraude. Ce qui a suscité des critiques de la direction russe. L'Europe, engluée dans ses problèmes financiers, ne risque pas de mener la bataille pour des élections honnêtes en Russie. Et d'ailleurs, le mouvement de contestation, qui a surgi après les législatives à Moscou et à Saint-Pétersbourg, n'est en rien manipulé de l'extérieur, comme voudrait le faire croire Vladimir Poutine. Mais ces allégations rendent l'Europe encore plus timide car elle ne veut pas entrer en conflit avec la Russie. Il n'y a pas de vraie politique étrangère européenne à l'égard de la Russie. Et les autorités russes favorisent les relations bilatérales.
Harry : Poutine accuse les Etats-Unis d'influencer ce mouvement. A-t-on plus d'informations sur l'implication potentielle américaine ?
Marie Jégo : En disant cela, ce qui est à l'évidence une bêtise, Vladimir Poutine montre d'où il vient, c'est-à-dire du KGB soviétique dont la principale marotte consistait à voir partout des espions étrangers. A la veille du vote, un film a ainsi été montré à la télévision NTV pour salir l'ONG Golos, active dans la formation d'observateurs. Dans ce film, il était dit que cette ONG agissait pour le compte des Etats-Unis. Or, elle est financée, certes, par la Commission européenne et par les think-tanks américains, mais ce n'est pas pour autant qu'elle est en quoi que soit dans les falsifications. De plus, il y avait beaucoup d'autres observateurs, notamment de l'ONG russe Citoyen observateur.
Guest : Un nouveau suffrage est-il aujourd'hui envisageable ?
Marie Jégo : Des opposants aujourd'hui demandent l'organisation d'un nouveau scrutin là où les falsifications sont avérées. Toutefois, il y a peu de chance que cela ait lieu, ou très partiellement. Les autorités nient toute fraude à grande échelle. Elles ont donc intérêt à minimiser leur ampleur. Quand bien même il y aurait une Commission d'enquête, elle sera confiée, le président Medvedev l'a déjà dit, à la Commission électorale centrale, laquelle est soupçonnée les avoir orchestrées. Comme la Russie n'est pas un Etat de droit, les manifestants, même s'ils parviennent à faire entendre leurs voix, sont assurés d'échouer. Il n'y a pas de recours possible.
Pour la manifestation, même s'il s'agit d'un mouvement d'ampleur, par rapport à ce que l'on voyait ces dernières années, 34 000 personnes c'est peu pour une grosse ville comme Moscou qui compte 12 millions d'habitants. A Kiev, en 2004, il y avait 1 million de personnes sur Maydan, la place centrale. A l'échelle de Moscou, il en faudrait 2 millions. Mais même si le mouvement de protestation est limité aux villes, on peut dire qu'il y a un sentiment de ras-le-bol, largement partagé, même en province où la population ne ménage pas ses critiques envers Russie unie, le parti de Poutine.
Xavier : Pensez-vous qu'une escalade violente des manifestations est à craindre ? Le déploiement massif des forces de sécurité russe est-il suivi d'une répression brutale ou s'agit-il "simplement" d'éviter les débordements ?
Marie Jégo : La manifestation de samedi 10 décembre est autorisée. Il ne devrait donc pas y avoir de débordement dès lors que les manifestants restent dans le périmètre autorisé. D'importantes forces de l'ordre seront déployées, comme toujours, pour empêcher justement les débordements. Ici, à Moscou, nombreuses sont les personnes qui disent craindre une provocation. On ne peut malheureusement rien exclure. Mais mon sentiment, c'est que l'opposition et le Kremlin n'ont pas intérêt à jeter de l'huile sur le feu.
Il y a une incertitude. La manifestation était au départ prévue place de la Révolution pour 300 personnes, car en Russie, les autorités et les organisateurs doivent s'entendre sur le nombre de participants avant la manifestation. Comme la place de la Révolution est petite, lorsque 34 000 personnes ont répondu présent, la municipalité de Moscou a proposé un autre lieu, la place du Marécage, plus vaste. Des opposants obstinés, comme Edouard Limonov, chef du Parti "L'Autre Russie", a appelé ses militants à aller place de la Révolution et à marcher dans Moscou vers l'autre lieu de rassemblement. Si cela se passe, il y aura probablement des échauffourées.
Chat modéré par Hélène Sallon

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