TOUT EST DIT

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jeudi 2 juin 2011

Printemps arabe ou printemps turc ?

Moïse, Jésus, Mahomet y sont nés. Mais leurs collines inspirées et, au-delà, tout l'univers arabe restent soumis à la colère divine. Alors, depuis des lustres, des hommes de bonne volonté se cramponnent à tout ce qui semble pouvoir l'apaiser. Aujourd'hui qu'une jeunesse aux mains nues balaie à Tunis ou au Caire de vieux despotes, se bat en Libye contre le plus foutraque et ronge son frein en Syrie, à Bahreïn, au Yémen, son élan, sa ferveur nous font rêver. L'Occident y respire un "élan démocratique". L'olympe international du G8 vient, à Deauville, de bénir ce qu'il appelle le "printemps arabe". Comme si ses fruits allaient, un jour, conjurer la misère arabe, le fanatisme islamiste et l'épouvantable conflit israélo-palestinien. Sur tous ces paris euphoriques, croisons les doigts ! Car la promesse est fragile.

La France milite à l'avant-garde pour en gonfler la voile. Elle a, pendant un demi-siècle, beaucoup ménagé les dictatures arabes et caressé comme personne Saddam Hussein et Kadhafi. Sarkozy sonne donc le grand virage. Il recueille à Deauville les éloges d'une Amérique longtemps sceptique, distante et réticente. Obama aura laissé la France et la Grande-Bretagne s'échiner en première ligne contre un Kadhafi devenu le chien galeux du printemps arabe. Mais, pour finir, requinqué par l'exécution de Ben Laden, Obama paraît se raviser, se fait avenant, voire cordial, avec une Europe oubliée. Et, plus important sans doute, voici que la Russie de Medvedev, solide soutien de Damas et de Tripoli, se résout à lâcher la Libye et à mener benoîtement Kadhafi vers la sortie...

Cet engagement en faveur des rébellions arabes, ce virage présentent pour l'Occident l'avantage évident d'accorder enfin sa politique arabe à ses valeurs démocratiques. L'Occident parie que l'avenir arabe s'en souviendra. Et que la démocratie, si un jour elle se profile, n'oubliera pas ses bienfaisants parrains. Mais on n'en est pas là, et la realpolitik a encore de beaux jours. Ainsi, l'Amérique n'abandonnera pas de sitôt le régime le plus rétrograde de la région - l'Arabie saoudite -, qui fait, sur le marché pétrolier, la pluie et le beau temps.

Quant à l'Europe, stratégiquement inexistante, elle exhibe son habituelle irrésolution. Le pacifisme allemand refuse l'aventure libyenne, où la France et la Grande-Bretagne retrouvent quelques bonheurs perdus d'Entente cordiale.

Cela dit, le plus douteux reste, à coup sûr, l'avenir même du printemps arabe. L'élan libertaire de la jeunesse a éclipsé la sinistre fatalité économique de l'échec arabe. Et le malheur, tant au Maghreb qu'au Machrek, d'avoir 20 ans dans un pays sans pétrole. Dans cet ensemble, plombé par une productivité débile, 450 millions d'hommes exportent, hors pétrole, moins que la Suisse avec 8 millions d'habitants... Tout est dit !

On voit bien à l'avant-scène, et sur Facebook, la détresse de ces 70 000 jeunes Tunisiens diplômés d'enseignement supérieur et dont 50 % sont sans emploi, mais on aperçoit moins, vu de Paris, la détresse des millions de pauvres hères qui, hors Facebook, et loin de la côte, croupissent dans l'arrière-pays. C'est cette détresse qui inquiète au premier chef une Egypte de 70 millions d'hommes. L'armée qui la dirige continuera de la diriger. Avec un despotisme mieux "éclairé" et une corruption mieux contenue. Mais la réalité démocratique se fera attendre.

Est-ce que dans les élections, ici ou là retardées mais programmées, à Tunis et au Caire, les Frères musulmans se tailleront la part du lion ? Probablement, disent les experts, car l'armature morale et consolatrice de l'islam se révélera, dans la confusion, indispensable. Mais, nous assure-t-on, cet islam ne sera ni agressif ni xénophobe. Un islam, en somme, tolérant la laïcité de l'Etat, comme le turc, qui, peu à peu, impose son modèle. A se demander si le printemps arabe ne fait pas d'abord reverdir le printemps turc, et une renaissance ottomane ! Du reste, l'effondrement égyptien, l'affaiblissement de Téhéran, miné par les zizanies internes, et l'ébranlement de l'allié syrien ne font que souligner par contraste l'épanouissement de la Turquie.

Une allusion d'Obama aux frontières de 1967 comme périmètre d'un futur Etat juif aura, pour quelques heures, échauffé les esprits. A Washington même, où il se trouvait, Netanyahou en a retoqué sèchement la perspective. S'il a paru contrarier Obama, il n'en fut pas moins applaudi au Congrès américain. Le pouvoir israélien, en tout cas, n'est pas disposé aux nécessaires concessions où la terre entière paraît l'inviter. Le mode de scrutin israélien l'interdit. Le plus vraisemblable n'est donc pas la détente. Mais, au contraire, qu'une nouvelle et violente intifada palestinienne mette à nouveau le feu aux poudres. Et n'entraîne l'intervention internationale. La paix sur ces contrées paraît introuvable. Un jour ou l'autre, elle sera, qui sait, importée... Et, dès lors, imposée.

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