mardi 14 juin 2011
Les agences de notations dépréciées
Les agences de notation veulent-elles la peau de l’euro ? Après avoir dégradé à tour de bras, depuis dix-huit mois, les dettes publiques des pays périphériques de la zone euro, dont certaines ont été ramenées au rang d’obligations pourries, elles menacent désormais de déclarer la Grèce en défaut de paiement. Pourquoi ? Parce que les Etats européens ont osé envisager une participation volontaire des institutions financières privées (banques, assurances, fonds de gestion, etc.) au sauvetage de ce pays. Une façon d’interdire une solution qui permettrait de sauver la Grèce d’une faillite qu’elles estiment, pur hasard, quasi certaine.
Comme si les marchés n’étaient déjà pas suffisamment nerveux, les agences s’attaquent aussi au club très fermé des Etats notés AAA, la note la plus élevée (ils sont quatorze). Elles ont ainsi annoncé au cours de ces dernières semaines que la France ou encore l’Autriche pourraient perdre, à plus ou moins long terme, leur triple A qui leur permet de se financer à moindre coût sur les marchés.
Mais la zone euro n’est pas la seule visée par cette frénésie : dans la foulée, elles ont menacé de dégradation les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Beaucoup d’économistes se demandent à quel jeu jouent les agences. «Si l’actif le plus sûr, la dette américaine, n’est plus sans risque, on change de monde», juge Laurence Boone, professeure d’économie à l’Ecole normale supérieure de Cachan (Val-de-Marne). Les agences prennent le risque de déstabiliser la planète financière qui sera privée de placements sûrs, ce qui pourrait précipiter une nouvelle crise mondiale. Même si les agences répondent qu’elles font le travail pour lequel elles sont payées et que le marché n’a pas besoin d’elles pour se faire une religion, deux études démontrent leur responsabilité directe dans l’instabilité financière actuelle. Elles émanent du Fonds monétaire international (FMI) - étude datée de février - et de la Banque centrale européenne (BCE) - étude publiée il y a quelques jours.
Dans les deux cas, la conclusion est la même : les dégradations, qui ratifient les craintes du marché autant qu’elles les suscitent, ont un effet direct sur les investisseurs qui exigent automatiquement des taux d’intérêt plus élevés pour se couvrir du risque supplémentaire. Surtout, dans un marché de la dette très intégré comme l’est celui de la zone euro, ces dégradations ont un effet déstabilisateur sur l’ensemble des autres pays, y compris les mieux notés. En particulier parce que leurs établissements financiers possèdent de la dette de tous les pays de la zone euro : une dégradation affecte donc automatiquement leur solvabilité.
Les agences ont non seulement été incapables de voir venir la crise américaine des subprimes en juillet 2007, des produits notés triple A jusqu’au jour de leur effondrement, mais aussi de prédire la crise de la dette souveraine de la zone euro, comme le souligne le FMI. Une analyse que partage Michel Barnier, le commissaire européen chargé du Marché intérieur et des Services : «Je pense même qu’elles sont l’une des causes de la crise parce qu’elles ont mal évalué les risques. Elles ne sont pas les seules à s’être trompées, mais elles ont clairement échoué dans leur mission», a-t-il déclaré hier à Libération. Une erreur qu’elles tentent depuis de faire oublier par une frénésie de dégradations.
L’historique est accablant : pendant dix ans, les agences, en particulier les trois géants du secteur, Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch, ont systématiquement ignoré les problèmes structurels des économies périphériques. Ce n’est qu’à partir de décembre 2009, soit après que le gouvernement grec a reconnu avoir menti sur l’ampleur de son déficit public, que le cycle des dégradations a commencé. A l’époque, la Grèce était notée A, soit la cinquième meilleure note sur une échelle en comportant une vingtaine. Dix-huit mois plus tard, elle se retrouve au rang d’obligation pourrie : le 9 mai, Standard & Poor’s a dégradé la note grecque en obligations spéculatives, suivies le 31 mai par Fitch, et le 2 juin par Moody’s. La descente aux enfers de l’Irlande et du Portugal a été identique, même si leur dette se situe encore juste au-dessus du niveau spéculatif.
Tout comme les canards sauvages, les agences volent en groupe. A chaque fois, elles dégradent un pays à quelques jours d’intervalle et livrent au mot près les mêmes analyses. Elles suivent souvent les peurs du marché, mais elles les anticipent aussi, ce qui donne de belles prédictions autoréalisatrices. La dégradation oblige les investisseurs à vendre en vertu des règles prudentielles, ce qui fait baisser la valeur des obligations et confirme le marché dans sa peur d’un effondrement de la dette…
«On peut se poser de sérieuses questions sur le rôle qu’elles jouent dans la crise de la zone euro, observe Barnier. Et notamment si elles tiennent compte de l’existence d’une solidarité financière considérable.» La zone euro et le FMI ont mis la Grèce, l’Irlande et le Portugal, en mobilisant plusieurs dizaines de milliards d’euros, à l’abri d’un défaut qu’ils écartent politiquement. «Mais, pour les agences, l’aide assure seulement la liquidité pour un an et non la solvabilité», explique Laurence Boone. C’est notamment pour cela que les agences estiment que la probabilité de défaut de la Grèce est «d’au moins 50%» d’ici trois à cinq ans. Au risque de déstabiliser toute la zone euro. La Commission européenne n’entend pas laisser faire. Et Barnier d’agiter un premier carton jaune : «Il faut réguler les agences bien davantage qu’elles ne le sont aujourd’hui.»
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