Pour un Etat, faire faillite ne signifie pas, comme pour une entreprise, se retrouver en liquidation judiciaire. Aucun risque, donc, de voir les colonnes du Parthénon s'en aller orner les halls d'entrée des banques allemandes et françaises – les principales créancières de la Grèce. Mais, à en croire Wolfgang Schäuble, le ministre des finances allemand, une faillite d'Athènes – une incapacité à honorer le remboursement de sa dette – pourrait avoir "des conséquences encore plus dramatiques que l'effondrement de Lehman Brothers", banque américaine dont la banqueroute, en septembre 2008, avait déclenché une crise financière mondiale.
Soulager la Grèce du poids de sa dette abyssale – près de 350 milliards d'euros – sans qu'elle soit considérée en défaut de paiement : tel est l'enjeu des discussions quotidiennes entre les grands argentiers de la zone euro et le cabinet de Georges Papandréou. Entre le maintien d'un statu quo intenable et ce défaut de paiement, des pistes existent.
Sortir de l'euro. A une autre époque, la Grèce aurait pu dévaluer la drachme pour diminuer la valeur de sa dette et redonner de la compétitivité à l'économie nationale. Mais la drachme n'existe plus et une telle solution impliquerait une sortie de l'euro : trop coûteux pour Athènes, inenvisageable pour les Européens.
Soutenir financièrement la Grèce. C'est pour l'heure la ligne que suivent les partenaires d'Athènes : en 2010, l'Union européenne et le FMI ont débloqué 110 milliards d'euros pour permettre au gouvernement grec de continuer à fonctionner sans avoir besoin de se tourner vers des marchés financiers devenus inaccessibles. 53 milliards d'euros ont été versés à ce jour et de nouveaux fonds devraient être dégagés les 23 et 24 juin lors du Conseil européen à Luxembourg. Le chiffre de 60 milliards d'euros est évoqué.
Ces prêts ont deux objectifs : permettre à la Grèce de fonctionner au quotidien ; montrer aux investisseurs que la zone euro est solide et solidaire, et par là garder leur confiance pour que les autres pays ne soient pas victimes d'une éventuelle défiance. C'est cet aspect qui fait de la Grèce, selon les mots de l'économiste William de Vijlder, une sorte de "cobaye".
Privatiser. Déjà engagé, le plan de privatisations ne peut être qu'un complément à des plans plus ambitieux. Mais son ampleur devrait permettre de dégager des sommes non négligeables : allant de l'énergie aux transports en passant par les banques et les télécoms, ce vaste plan est censé rapporter 50 milliards d'euros d'ici à 2015. Jérôme Crill, économiste à l'OFCE et professeur à ESCP-Europe, met toutefois en garde contre des privatisations si massives qu'elles se solderaient par une prise de contrôle étrangère sur le pays : "La Grèce est déjà un pays sous quasi tutelle, ce serait dangereux qu'elle perde en plus le contrôle de ses grandes entreprises et s'expose à des délocalisations."
La piste chinoise. Fin 2010, une délégation emmenée par le premier ministre chinois, Wen Jiabao, était à Athènes. Pékin s'était alors engagé à soutenir la prochaine émission d'obligations grecques, sans qu'il soit possible de savoir si cette promesse a été tenue. Rien d'étonnant à ce soudain intérêt chinois pour la Grèce, explique Nicolas Dromel, chercheur au CNRS, associé à l'Ecole d'économie de Paris, qui rappelle que les fonds souverains chinois ont déjà acheté des parts des dettes portugaise et espagnole : "Cela rentre dans une stratégie chinoise de devenir les prêteurs du monde. Les Chinois ont de grandes capacités d'épargne et sont patients, ils n'ont pas besoin de récupérer leur mise rapidement. Ils peuvent se permettre d'être moins frileux que les autres pays."
Rééchelonner la dette. Accorder plus de temps à l'emprunteur pour rembourser ses dettes, soit une restructuration "douce" : une solution défendue notamment par Berlin – qui souhaiterait accorder un répit de sept ans à Athènes – ou par le chef de file des ministres des finances de la zone euro, Jean-Claude Juncker. Un tel rallongement des échéances de remboursement doit recueillir le soutien des créanciers publics comme privés. Ces derniers semblent prêts à des concessions : plusieurs banques françaises et allemandes ont indiqué récemment soutenir une telle initiative si elle était appuyée par une large base d'investisseurs. Cette hypothèse paraît donc la plus crédible à court terme.
Mais aussi "douce" soit-elle, cette solution constitue déjà un aveu de faiblesse propre à provoquer l'effet domino tant redouté. La Banque centrale européenne s'y oppose, estimant qu'elle sèmerait le doute chez les investisseurs quant à la crédibilité de la zone euro. La BCE insiste par ailleurs sur le caractère "purement volontaire" de la participation du secteur privé à ce plan, faute de quoi les marchés risqueraient de s'affoler.
Pour Jérôme Crill, l'enjeu d'un tel plan est "presque d'ordre sémantique" : "Objectivement, tout plan qui implique une restructuration revient pour les Européens à s'avouer vaincus, à reconnaître que la zone euro, si riche soit-elle, n'a pas les moyens de se défendre : l'objectif serait alors uniquement de minimiser la catastrophe, de la faire passer pour autre chose qu'un défaut de paiement." L'agence de notation Standard & Poor's a d'ores et déjà prévenu qu'elle n'était pas dupe en indiquant qu'elle considérerait un rééchelonnement "de facto comme un défaut" et baisserait encore sa note sur la Grèce. Elle vient déjà de la dégrader à CCC, faisant du pays le plus mal noté au monde.
Négocier une décote de la dette. C'est la version "dure" de la restructuration, qui consiste à négocier un "haircut" avec les créanciers, une réduction pure et simple des montants qui leur sont dus. Les créanciers, conscients qu'il vaut mieux récupérer une partie de la mise plutôt que de tout perdre, doivent toutefois donner leur accord. L'hypothèse est pour l'instant taboue : le risque de contagion serait immense et toute l'Europe pâtirait de cet aveu de faiblesse. Les décideurs européens estiment aussi que cette solution mettrait en danger les banques de tout le continent et particulièrement les banques hellènes, grandes créancières de la Grèce.
Nombreux sont ceux qui croient pourtant cette solution inéluctable, tant la dette grecque est importante (de l'ordre de 140 % du PIB). Certains l'appellent même de leurs vœux, comme Nicolas Dromel. Pour lui, il s'agit d'un "mal nécessaire" pour en finir avec le surendettement : "Continuer à aligner les prêts et les aides ne suffira pas, puisque Athènes n'arrive pas à accroître ses revenus et à diminuer suffisamment ses dépenses pour retrouver une situation équilibrée. Autant une restructuration dure n'était pas envisageable l'année dernière, en sortie de crise financière, autant elle l'est cette année." Une telle solution, qui verrait la Grèce disqualifiée pour plusieurs années sur les marchés, serait aussi un signal fort envoyé aux autres pays en difficulté et les pousserait à une gestion plus rigoureuse. Ils comprendraient, explique Nicolas Dromel, qu'"on ne peut pas sauver tout le monde tout le temps".
Un consensus : réformer. Si ces solutions de court terme ne s'excluent pas nécessairement entre elles, les observateurs s'accordent pour dire qu'elles doivent toutes s'accompagner d'un programme de réformes extrêmement sévère, le seul qui permettrait au pays de retrouver une stabilité à long terme. Les aides accordées depuis 2010 par l'UE et le FMI s'accompagnent d'ailleurs de dures contreparties – des "sacrifices" pour Jérôme Crill : hausse des taxes, baisse du salaire des fonctionnaires, baisse des pensions, fin du treizième mois... Des mesures censées rapporter des milliards d'euros, mais à un horizon assez lointain.
Pour Jérôme Crill, il serait bien plus intéressant de lutter contre l'évasion et la fraude fiscales, estimées fin 2010 à "environ 30 % du produit intérieur brut", selon la brigade financière grecque. Surtout, surmonter ce problème serait "plus efficace en terme de revenus et plus facile à accepter par la population qu'une mesure comme la suppression du treizième mois", assure l'économiste de l'OFCE.
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