La tragédie où nous plonge le mauvais thriller new-yorkais de Dominique Strauss-Kahn dépasse la personne, la perversité diabolique des intérêts conjugués ou l'irrationalité des comportements humains, et évidemment le respect de la présomption d'innocence. Les collisions de l'actualité - inculpation du directeur général du Fonds monétaire international (FMI), restructuration de la dette grecque, perspectives de l'élection présidentielle française - posent la question de la cohérence de la politique financière mondiale et de ses incidences sur l'avenir des nations. La Grèce en est un exemple caricatural.
Le premier ministre socialiste grec, Georges Papandréou, poursuit le chemin de croix imposé par les instances mondiales, FMI en tête, pour tenter de redresser les finances publiques de son pays. Il y a du paradoxal chez cet homme de gauche à s'atteler à la correction d'errements politiques, pratiqués depuis des décennies, par des moyens qui relèvent en général des gouvernements les plus conservateurs : baisse de salaires, recul de l'âge de départ à la retraite, gel des pensions, augmentation de la TVA, allongement de la durée du travail, et surtout arrêt du recrutement de fonctionnaires et fermeture de services publics.
La liste est longue de mesures impopulaires, qui auraient en d'autres temps entraîné des manifestations énormes, des surenchères de syndicats surchauffés et des provocations d'extrémistes incontrôlables. Mais elles paraissent tomber sur un peuple frappé de stupeur et d'atonie devant la crise, peut-être convaincu de la justesse de la ligne de son leader, quand il déclare que c'est le pays qu'il faut restructurer et pas la dette.
Le risque, c'est que, à ce régime, le malade ne meure avant même d'avoir été guéri. Que les dirigeants grecs successifs et les élus, de droite comme de gauche, aient multiplié les prébendes inutiles dans les bureaux d'une fonction publique pléthorique, est indéniable. Elles ne compensent pas pour autant le manque criant de personnels qualifiés dans les services sociaux, médicaux, scolaires ou de la protection civile et dans la maintenance élémentaire de la sécurité dans les espaces publics. On n'est pas sûr d'ailleurs que la réduction drastique des ressources budgétaires tarisse des pratiques perverses aussi vieilles que la renaissance de l'Etat néohellénique.
Faire rentrer les impôts, c'est bien. Encore faudrait-il que l'argent tourne, et que les magasins ne ferment pas les uns après les autres dans les rues les plus commerçantes des villes grecques. C'est vouloir ignorer que la consommation des ménages fut le moteur de la croissance bien réelle du pays pendant des lustres. Et que dire de ces libéraux convaincus, qui admettent en privé qu'ils verraient bien un gouvernement autoritaire remettre de l'ordre dans le pays et dans l'immigration clandestine. L'erreur stratégique du FMI et de ses dirigeants est en l'occurrence de n'avoir pas compris qu'il ne fallait pas affaiblir l'Etat, mais le fonder, pas assécher l'innovation sociale, mais la réorienter.
Redistribution plus équitable
Le FMI et son directeur général répétaient à l'envi que la réduction du déficit public est une nécessité première des Grecs, comme demain de nos concitoyens. Or, loin de désendetter les générations futures, elle plombe leur avenir, si elle consistait à réduire les dépenses d'éducation, de santé, et les chances d'emploi dans l'économie réelle. Si le destin d'un homme peut convaincre que l'impasse dans laquelle s'enfonce la nation grecque dépasse le sort de ce pays, qu'elle témoigne d'un échec plus profond de la gauche européenne à proposer un modèle alternatif de croissance et de redistribution plus équitable du profit matériel et culturel, alors, le drame du héros n'aura pas été vain.
Puisque les socialistes veulent en 2012, non seulement gagner la présidentielle en France, mais "changer de civilisation", il est encore temps de ne pas confondre rigueur nécessaire et rigorisme financier ordinaire, rationalité économique supposée et logique de fonctionnement des sociétés.
Il est aussi l'auteur du "Miracle athénien au XXe siècle" (CNRS Editions, 2002)
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