dimanche 1 mai 2011
L'extravagant retour de l'économie administrée
Au moment où tous les pays développés, sous la pression de l'impératif du désendettement, revoient à la baisse le rôle de la puissance publique et ses dépenses, la classe politique française rivalise dans l'étatisme. Avec, pour dernier avatar, l'obligation, pour toutes les entreprises de plus de 50 salariés qui affichent des dividendes en hausse, de verser à leurs salariés une prime exonérée de charges pouvant atteindre 1 000 euros. Cette résurrection de la politique des revenus, qui voit l'Etat se substituer aux entreprises pour décider des rémunérations, est aberrante. D'un point de vue économique, elle constitue une prime contre l'investissement et l'emploi, en incitant les grandes entreprises à figer les dividendes, ce qui ne manquera pas d'assécher à terme leurs fonds propres, et surtout à bloquer toute création d'emplois sur le territoire national. D'un point de vue social, elle accroît les discriminations entre les salariés des grandes et des petites entreprises, seules 16 % des PME distribuant des dividendes. Du point de vue des finances publiques, elle s'inscrit en parfaite contradiction tant avec la volonté d'éliminer les niches fiscales et sociales qu'avec la stratégie de compétitivité arrêtée dans le cadre européen, qui repose sur la réorientation de la croissance vers la production et l'investissement.
Cette prime, qui cible moins les actionnaires que les entreprises, est exemplaire de la calamiteuse réhabilitation de l'économie administrée et de la pseudo-exception française. Après le patriotisme économique, l'Etat s'est engagé dans la remise en place larvée d'un contrôle des prix et des salaires. Avec des conséquences désastreuses pour les entreprises et les consommateurs. Ainsi la loi Nome sur l'électricité réussit-elle le prodige de supprimer toute concurrence effective à EDF, érigé en monopole privé, et de prévoir une hausse de 30 % des prix d'ici à 2015, en plus de l'augmentation annuelle de 3 % instituée par le Grenelle de l'environnement au titre de la promotion des énergies renouvelables. Dans la même veine, l'Etat, à grand renfort de subventions atteignant plus de 10 fois les prix de marché et de crédits d'impôt, a fabriqué une bulle spéculative de 56 milliards d'euros sur l'énergie solaire, encourageant quelque 80 000 projets pour une puissance de 4 800 mégawatts. Puis il a brutalement décidé un moratoire qui a dévasté la filière industrielle, non sans donner la priorité aux micro-installations sur les projets rentables - notamment pour subventionner de manière indirecte les agriculteurs - et non sans autoriser ERDF et RTE à donner la priorité aux dossiers d'EDF Energies nouvelles au détriment de ceux de leurs concurrents. Enfin, le pilotage des prix du gaz par l'administration permet aux Français de payer toujours plus cher une énergie dont les prix de marché s'effondrent partout dans le monde, il est vrai grâce aux gaz non conventionnels dont l'exploration est en passe d'être interdite en France au nom du principe de précaution.
Les dirigeants français prétendent plus que jamais distribuer plus en produisant moins, traquant vainement le pseudo-trésor caché de l'économie française. Or, loin de regorger de richesses enfouies, la France est un pays appauvri par trente années de croissance molle, de chômage structurel et de dérive de la dette publique. Le partage de la valeur ajoutée est resté stable tout au long de cette période et demeure largement favorable aux salaires (67 %). A l'inverse, le taux de marge des entreprises a chuté de 33 à 29 % et les profits de 8,5 à 5,5 % du PIB depuis 2000, soit leur niveau le plus faible depuis 1985. Les fantasmes qu'alimentent les bénéfices et les dividendes du CAC 40, qui s'élèvent respectivement à 83 et 40 milliards d'euros, ne peuvent masquer ni le fait qu'ils sont principalement générés hors du territoire national ni la paupérisation de l'immense majorité des entreprises. La faiblesse de l'évolution des salaires en France n'est pas à mettre au compte des entreprises, mais bien de l'Etat. D'un côté, il a accaparé en totalité les faibles gains de productivité (0,7 %) pour alimenter l'inflation sans fin de ses dépenses (56 % du PIB). De l'autre, il a sanctuarisé un modèle d'économie corporatiste et administrée incompatible avec la mondialisation, le grand marché et la monnaie unique. Avec le consentement d'un patronat qui, alors que la compétitivité des entreprises s'effondre, concentre ses efforts sur la création d'un congé paternité obligatoire, qui ferait supporter à des entreprises exsangues une nouvelle charge de 750 millions d'euros tout en s'ingérant de manière insupportable dans la vie des couples.
L'Etat et ses satellites entendent reprendre en main l'économie et la société, au mépris de l'entreprise et de la famille, du marché et des citoyens. La seule prime authentique de la gestion publique est à chercher dans l'obsession du très court terme. En guise de sortie de crise, la France s'installe ainsi dans la régression, réhabilitant les mécanismes de l'économie administrée dont elle s'était affranchie avec retard au cours des années 80. Elle diverge du monde et de l'Europe. Et, par là même, elle remet à l'honneur la conception nihiliste du pouvoir partagée par François Mitterrand et Jacques Chirac, selon laquelle il n'existe aucune limite aux moyens employés pour sa conquête et sa conservation, ni aucune responsabilité dans son exercice. La campagne pour l'élection présidentielle de 2012 est bien mal partie, qui s'ouvre sous le signe du mensonge et de la démagogie. Mais, à trop tromper les Français, on s'expose à être trompé par eux. Souvenez-vous du 21 avril 2002.
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