jeudi 5 mai 2011
Le pari arabe des Européens
On n'arrête pas la marche de l'Histoire. Nous en avons fait l'expérience, après la chute du Mur de Berlin, avec la réunification allemande. Tous ceux qui n'en voulaient pas n'ont rien pu faire pour s'y opposer. Ils ont finalement eu la sagesse de l'accompagner, ainsi que d'accueillir dans l'Europe des peuples qui en avaient été coupés artificiellement. La jeunesse européenne, aujourd'hui, circule et échange comme jamais. En dépit de sérieuses difficultés économiques et politiques, l'Europe de demain se fait là.
De même, nous sommes devant un tournant dans le monde arabe et sans doute africain. Dans sa Géopolitique des émotions (Flammarion 2008), Dominique Moïsi a montré que cette partie de la planète était habitée par un sentiment d'humiliation, que Ben Laden tentait d'utiliser. Les révoltes actuelles sont une tentative de surmonter cette humiliation. Les Tunisiens et les Égyptiens d'abord, les Libyens et les Syriens aujourd'hui, ont affirmé qu'ils aspiraient aux valeurs démocratiques de liberté et de responsabilité. Ils veulent tenter l'expérience de les incarner dans leurs cultures propres, notamment marquées par l'islam.
Nous nous en sommes réjouis, dans un premier temps, accueillant ces révoltes comme un soulagement . Mais la peur est là également. Les débats autour de l'islam et de l'immigration en sont marqués. Les peuples européens se sentent menacés. Dans leur identité et dans leur sécurité matérielle. La mondialisation a mis en question l'ancienne domination politique et économique occidentale. Et pourtant, le mouvement qui anime le monde arabe est une chance pour nous.
Depuis des années, de part et d'autre de la Méditerranée, nous peinons à digérer l'histoire coloniale et la décolonisation. Les ressentiments et la méfiance n'ont cessé de rendre les relations difficiles. Voilà que nous pouvons nous découvrir des valeurs communes, autour de la démocratie et des libertés. Qui plus est, il se trouve parmi les jeunes élites arabo-musulmanes, comme on l'a vu avec les nouveaux ministres tunisiens venus à Paris ces jours derniers, des personnalités remarquables, ouvertes, disposées à envisager l'avenir de manière dynamique et sans oeillères.
Nous sommes devant une occasion historique de réconcilier les deux rives de la Méditerranée. Nous avons tout à y gagner : la jeunesse du monde arabe représente un potentiel formidable de progrès et de développement, qui peut apporter un indispensable contrepoids à la puissance asiatique, en particulier chinoise. Pourtant, c'est une image de fermeture et de mépris que nous renvoyons avec les interpellations de migrants par centaines, comme cela s'est produit à Paris et à Marseille. Comme si nous craignions d'être assaillis par des hordes incultes et misérables !
S'il faut avoir peur, c'est plutôt de décevoir les espoirs de ces peuples. Pensons à ce que signifierait pour eux le sentiment d'être rejetés aujourd'hui. Craignons de confirmer chez eux, pour l'avenir, le ressentiment et la méfiance du passé. Plutôt que de dresser des barrières, qui, en dépit de tous les contrôles policiers, n'arrêteront pas les flots de migrants, il importe que nous tissions des liens de collaboration, et que nous facilitions la circulation dans les deux sens... Souvenons-nous que l'Europe est née de l'intelligence de ceux qui ont cru que les ennemis héréditaires ¯ la France et l'Allemagne ¯ pouvaient se réconcilier et travailler ensemble. C'est le pari auquel nous sommes invités avec le monde arabe.
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