TOUT EST DIT

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lundi 9 mai 2011

Comment les Grecs se sont mis au régime sec

Reconnaissant avoir vécu au-dessus de leurs moyens, les Grecs réduisent leurs dépenses.
Beaucoup doutent du résultat de leurs efforts, même s’ils sont décidés à rebondir.

Un an après son appel à l’aide financière, la Grèce vit sous le signe de l’austérité, sous la houlette de l’Europe et du Fonds monétaire international (FMI). Les Grecs apprennent désormais à vivre avec moins d’argent. Entreprises comme particuliers. Portraits.

« Nous avons vécu au-dessus de nos moyens »  Fotis, 52 ans, ancien vendeur de voitures

Voilà six mois que Fotis a liquidé son entreprise près de Thessalonique, dans le nord du pays. Ses ventes de grosses berlines avaient baissé de 80 % et les banques avaient coupé ses lignes de crédit du jour au lendemain pour restaurer leurs propres finances.  Il le reconnaît : « Nous avons vécu au-dessus de nos moyens. Avec l’argent de l’Europe, nous sommes passés presque du jour au lendemain d’une société qui subvenait tout juste à ses besoins, à un train de vie parfois luxueux, grâce au crédit bancaire. Les banquiers suppliaient entreprises et particuliers de contracter des emprunts : 80 % de mes voitures étaient vendues à crédit et je gagnais 8 000 € par mois. Le gouvernement lui-même nous encourageait à consommer, alors qu’il connaissait parfaitement la situation. »
Aujourd’hui, il en est revenu. « Si j’avais su, j’aurais préféré toucher moins et voir perdurer l’entreprise familiale créée il y a cinquante ans. » Avec sa femme, ils vivent aujourd’hui des loyers (2 200 € en tout) d’appartements qu’elle possède, comme beaucoup de Grecs. « Nous ne sommes à l’abri de rien : si je n’arrive pas à vendre mon local commercial à un bon prix, je croulerai sous les dettes », s’inquiète ce père de deux enfants, qui se dit pourtant bien décidé à « rebondir ».

« Nous n’achetons plus de nouveaux habits » Alexia, 39 ans, femme de ménage

Avec un salaire de 925 € net par mois, un mari au chômage depuis six ans et deux fils aussi en quête d’un emploi, Alexia n’a jamais pu s’accorder d’« extra ». Mais avec la crise, les hausses d’impôts et la flambée du coût de la vie, le maigre pouvoir d’achat de cette femme de ménage salariée a encore fondu. Pour la deuxième année consécutive, elle a dû renoncer aux seules vacances que la petite famille s’accordait auparavant : quelques jours « au village », à Kartidsa, à trois heures de route de la capitale, pour fêter Pâques avec ses parents.
Lorsqu’elle quitte son travail dans un foyer d’étudiantes du quartier populaire de Neos Kosmos, elle croise depuis quelques mois des personnes qui fouillent dans les poubelles à la recherche de métaux, papiers et tissus, afin de les vendre à des entreprises de recyclage. « Je n’avais plus vu cela depuis des années, souligne-t-elle. Jusqu’ici, la pauvreté concernait surtout les immigrés. À présent, certaines familles grecques en viennent à fréquenter les soupes populaires organisées par les paroisses. » Cette mère de famille avoue son « inquiétude » pour ses enfants. « Comment pourront-ils fonder une famille, se loger, s’ils ne trouvent pas d’emploi ? », demande-t-elle en astiquant nerveusement les meubles du réfectoire.
Dans ce pessimisme ambiant, elle nourrit tout de même un espoir. « Mon mari a perdu son poste de mécanicien parce que les gens, pendant longtemps, achetaient une voiture neuve plutôt que de réparer l’ancienne. Désormais, les garagistes vont retrouver de l’activité… » Avec la baisse des loyers, son mari pourrait même, échafaude-t-elle à haute voix, « ouvrir son propre atelier avec son fils aîné… »

« On ne sait pas si nos sacrifices améliorent la situation » Tania, 53 ans, avocate

Son bureau et ses archives sont parfaitement ordonnés. « Trop », soupire Tania, incapable de se rappeler depuis quand elle n’a pas reçu de nouveau client dans son petit cabinet d’avocate. « Il n’y a plus de transactions immobilières et les gens divorcent moins pour cause de crise… » Ses revenus sont passés de 1 500 € mensuels à zéro, mais elle doit toujours acquitter 300 € de loyer. « Désormais, seul le salaire de mon mari (2 500 €) nous fait vivre, avec nos deux filles étudiantes. Et la vie ici est presque aussi chère qu’en France, voire plus ! »
Tania exerce une profession accusée de frauder le fisc. « C’est vrai, 50 % de mon activité n’était pas déclarée, reconnaît-elle. Mais si j’avais du travail, je ferais aujourd’hui la même chose. Voler l’État, c’est normal ici : notre argent part dans les poches des politiciens ou pour embaucher des fonctionnaires à tour de bras. » D’ailleurs, après un an de rigueur, pas question pour elle de faire des efforts supplémentaires. « Je ne vois pas comment, répond-elle brusquement. Et on ne sait même pas si nos sacrifices améliorent la situation. Le gouvernement ne nous donne aucune perspective. C’est très angoissant. » Originaire d’une île des Cyclades, elle sait que des magasins y ferment. Les agriculteurs qui s’étaient lancés dans la construction ou le tourisme doivent retourner à la terre. Les insulaires rachètent des poules et des cochons. Certains jeunes veulent revenir sur leur île où la vie reste quand même un peu plus facile. « On s’y crée moins de besoins superficiels. »

« Je suis prête à des efforts supplémentaires » Maria, 45 ans, fonctionnaire

Depuis près d’un an, la fiche de paie de Maria affiche un salaire mensuel net de 1 050 €, contre 1 200 € avant la rigueur imposée par le gouvernement de Georges Papandréou. Ingénieur dans un laboratoire de recherches universitaire spécialisé en urbanisme, dans la région de Thessalie, cette fonctionnaire a vu son traitement réduit, comme toute la fonction publique, tandis que ses primes de Noël et Pâques ont été fortement diminuées.  Bientôt, une loi va augmenter son temps de travail de 37,5 heures hebdomadaires à 40 heures. « Ce ne sont pas de gros efforts, comparés au secteur privé, estime-t-elle. Mon mari, qui tient sa petite entreprise d’équipements électromécaniques, a vu son activité baisser de 30 % en 2010. » Elle a lu récemment qu’un tiers des entreprises du pays ont trois mois de retard dans le paiement des salaires…
Comme beaucoup de familles, le ménage et leurs deux enfants ont dû ajuster leurs dépenses. « Cet hiver, nous avons chauffé la maison à 17°, contre 20° les hivers passés. Nous réduisons aussi notre budget alimentaire. Et avec un super sans plomb à presque 1,70 € le litre, la voiture reste le plus possible au garage. Nous privilégions les transports en commun ou le covoiturage… Mes collègues de travail ont acquis les mêmes réflexes ! »
Finies, évidemment, les vacaaances à l’étranger une fois l’an. « Je serais prête à fournir des efforts financiers supplémentaires, assure-t-elle, mais je crains que ce soit insuffisant face au niveau de la dette. Il faut trouver d’autres recettes, comme une taxe sur les transactions financières. »

« Rien ne sera plus comme avant » Christina, 49 ans, chef d’entreprise

Christina en est persuadée. « Rien ne sera plus comme avant. On ne retrouvera pas la croissance passée de sitôt », affirme cette chef d’entreprise. Jusqu’ici florissante, sa société de conseil a perdu 40 % de revenus entre 2009 et 2010, explique-t-elle, livres de comptes à l’appui. Situé à Maroussi, une banlieue proche et cossue d’Athènes, l’immeuble aux façades vitrées qui abrite son siège social, peut aisément faire illusion.
Pourtant, Christina a dû engager une impitoyable réduction des coûts, renégocier le loyer et changer d’opérateur téléphonique et de compagnie d’électricité… Car l’environnement a changé : les clients allongent unilatéralement leurs délais de paiement de trois à cinq mois et le gouvernement réclame le paiement anticipé de certaines taxes. Cette mère de quatre enfants a dû se résoudre à licencier quatre de ses huit consultants.  La survie de l’entreprise étant vitale pour elle, son mari et leur fille aînée, avec lesquels elle travaille. Mais aussi sa belle-sœur, réceptionniste dans ses bureaux depuis la faillite en 2009 de l’entreprise de son frère, désormais sans emploi. « Et nous aidions déjà mes beaux-parents, dont la toute petite retraite a été gelée dans le cadre du plan de rigueur ! La famille constitue un ciment majeur de la société en Grèce », souligne-t-elle.
La traque au gaspillage s’est invitée à la maison. Les enfants doivent « éteindre la lumière en sortant d’une pièce, ne plus appeler les téléphones portables depuis une ligne fixe… », énumère cette femme élégante qui fait désormais ses courses dans une enseigne de discount – « inimaginable il y a quelques mois ! ». « Nous ne sommes pas les plus à plaindre. Je crains une explosion sociale. »

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