La richesse fascine. Et l'immense richesse plus encore. Pour la quasi-totalité des Français, même les plus aisés, Liliane Bettencourt, troisième femme la plus riche du monde selon Forbes, vit à des années lumière, sur la planète sociale la plus éloignée de la leur. Patrimonialement parlant, l'icône capitaliste, héritière d'Eugène Schueller, créateur de L'Oréal, est une extra-terrestre. L'amusant paradoxe, par rapport à d'autres richissimes, est que la fortune ainsi amassée repose sans fard sur le succès commercial des innombrables flacons multicolores qui peuplent les salles de bains de millions de familles. A l'écart des codes économiques du luxe, les revenus de L'Oréal ont une base extraordinairement large. Liliane Bettencourt a longtemps incarné une forme de réussite sans tache qui rayonnait en quelque sorte sur tous les Français. Intouchable, la dame de Neuilly était une sorte de reine d'Angleterre à usage républicain, une Windsor sans couronne, toute entière dédiée à la méritocratie française. Une image dans son apparente modestie dont chacun, au fond, pouvait se croire fier. Le miroir tendu par l'affaire Banier a fait voler en éclat ce complaisant reflet. Il ne fait aucun doute que les Français se sont pris de passion pour cette affaire de soupçon d'abus de faiblesse, corsée de domestiques indélicats et de supposées faveurs politiques. Or le parfum dégagé par cette tambouille familiale n'est pas aussi nauséabond qu'on pourrait le croire. Moins putride en tout cas que les effluves des indélicatesses ministérielles resservies chaque mercredi. Les cigares sentent moins bon que les shampooings, c'est ainsi. Pourquoi cette absence de répulsion ? Le peuple, friand de tragédies familiales, n'a pas envie de voir s'exiler fiscalement une telle source de scénarios, cette machine à rêve cinématographique. Chaque famille française, dans notre pays vieillissant, ne peut que se sentir intimement concernée par le triangle de tensions que forment la dépendance, la séduction et le don. Il y a gros à parier que ce ne sont pas les manœuvres politiques, aux ficelles un peu épaisses, qui entretiendront le plus l'intérêt pour les secrets du tandem Banier-Bettencourt. Le ressort du drame est bien plus intérieur - et universel.
Antoine Latham
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