Un homme politique, à qui je souhaitais bon courage, me faisait récemment cette réponse : « Ce n'est pas le courage qui manque, mais le temps ! » On peut le comprendre. Mille sollicitations, mille obligations à honorer, un emploi du temps surchargé : comme beaucoup d'autres, il n'a pas une minute à perdre. Et comme le nombre des minutes dans une journée n'est guère compressible, la formule consiste à rendre plus dense le contenu de chacune d'elles par une accélération de la vitesse d'exécution.
Hartmut Rosa, qui consacre un ouvrage savant (1) à ce phénomène, rapporte des constatations très intéressantes. On savait, par exemple, que le débit de paroles à la radio et à la télévision avait augmenté ; on découvre que cela concerne aussi les hommes politiques dont la vitesse du discours a doublé en cinquante ans. C'est le rythme de la vie qui s'emballe, sur un mode à la fois plus concentré et plus haché. De trente secondes en 1971, la durée des spots publicitaires est passée à cinq secondes, la succession des images augmentant, là comme dans les films, de manière considérable, un phénomène aggravé par le zapping pratiqué en moyenne toutes les 2,7 secondes. D'où la « speedomanie » ambiante.
Vive le speed reading (lecture accélérée et souvent de plusieurs textes de front), le speed dating (recherche de partenaires dans des rencontres dont le temps est minuté) ! La possibilité est même offerte, aux États-Unis, de rendre visite aux défunts et de leur laisser un mot sans quitter le siège de sa voiture ! Et, comble de la vitesse, dans les restaurants, le quick et le fast ne l'étant plus suffisamment, un établissement japonais a inventé la formule du repas payé au temps passé. Règle du jeu : engloutir le maximum de nourriture dans le minimum de temps. On n'ose imaginer le spectacle !
Bien entendu, l'économie n'échappe pas à l'accélération : celle des transactions financières qui peuvent se jouer au centième de seconde ; celle du rythme de changement des dirigeants dans les entreprises (tous les six ans au lieu de huit ans en 2000). Cause : des résultats désormais appréciés trimestriellement, ce qui les maintient sur un siège constamment éjectable.
Le plus grave est que cette frénésie de vitesse a colonisé le temps libre. Au point que, là aussi, domine le sentiment de ne pouvoir s'arrêter de courir sur un tapis roulant ensorcelé. Conséquence : ce temps qui devrait servir à se refaire, à se recentrer, se recueillir, se trouve aspiré et déchiqueté par une tornade d'activités, souvent creuses et onéreuses.
À l'heure où la retraite est en débat, formulons un voeu : celui de voir un grand nombre de retraités cesser de se déclarer « surmenés ». Comme s'il y avait scrupule à s'arracher à l'emprise du travail, à entrer dans un tempo associant lenteur, attention, admiration : trois piliers d'une nouvelle sagesse dont nous avons tant besoin. Les seniors pourraient contribuer décisivement au freinage d'urgence qui s'impose, à la constitution d'« oasis de décélération » où les activités retrouveraient leur place, selon leur juste importance et leur potentiel d'humanité. Ils seraient alors, à leur manière, des prophètes.
(1) Accélération. Une critique sociale du temps (La Découverte). Voir aussi Jean-Louis Servan-Schreiber, Trop vite, Albin Michel.
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