Le leader du Front national l'affirme au Figaro Magazine: malgré les résultats inattendus de son parti aux régionales, il ne sera pas candidat à la présidentielle de 2012, laissant les militants trancher entre sa fille, Marine, et son lieutenant, Bruno Gollnisch.
«Non... je ne serai pas candidat en 2012.» Les mots sortent, comme arrachés au forceps. L'aveu lui coûte. Jean-Marie Le Pen a semblé hésiter, marqué une pause, repris son souffle, avalé sa salive, puis consenti à un «c'est peu probable», avant de sourire et de lâcher prise. «Non.» Presque malgré lui, le président du Front national met un point final aux espoirs de ses amis. Depuis les élections régionales, en effet, nombreux sont ceux qui le voyaient continuer à ferrailler, porté par son score, le meilleur du FN, au premier tour en Paca, et être tenté - pourquoi pas? - par une dernière campagne présidentielle en forme de baroud d'honneur.
Jean-Marie Le Pen aurait peut-être aimé laisser encore planer le doute et l'incertitude. Ce «non» change tout. La réponse est nette. Ferme. Définitive. Le seul élément qui pourrait le faire renoncer à cette décision serait la tenue d'une élection présidentielle anticipée. Il se «réserve, dit-il, l'hypothèse», comme on préserverait un pré carré présidentiel. Parce qu'«une élection anticipée se tenant, par définition, en quelques semaines, aucun autre candidat n'aurait déjà la notoriété suffisante pour l'être». Assise face à lui, dans le bureau de son père, à Nanterre, Marine Le Pen tique un peu, fronce les sourcils, mais ne relève pas. A quoi bon, quand les jeux sont presque faits et qu'il ne lui reste plus qu'à attendre un peu? La succession est désormais ouverte. C'est bien tout ce qui lui importe aujourd'hui.
«Ce n'est pas le désert derrière moi»
Jean-Marie Le Pen le redit. Il n'est pas dans ses intentions de briguer une nouvelle présidence du FN à l'issue du congrès de son parti qui devrait se dérouler entre l'automne 2010 et le printemps 2011. Il entend juste rester aux commandes jusqu'à la fin de son mandat. Etonnamment calme, serein, dans son éternel blazer bleu marine, il dit même: «Je pars le cœur tranquille parce que ce n'est pas le désert derrière moi.»
Et pour cause. Le FN, que l'on donnait pour mort et enterré depuis les législatives de 2007, sort le vent en poupe des élections régionales. Pour la première fois de son histoire, le parti d'extrême droite a vu ses scores progresser de manière significative, «considérable», insiste Marine Le Pen, entre le premier et le second tour. «On a parlé du triomphe des Verts. Ils n'ont fait que 1% de mieux que leFN alors qu'ils avaient un boulevard médiatique devant eux», relève le président du Front national.
«On mesure encore mal les ressorts du renouveau duFN, ajoute Marine Le Pen. Il n'y a pas d'analyses précises. Les politologues à poils longs, qui la ramènent toujours avant les élections, rarement après, n'ont encore rien dit du retour d'un électorat que l'on n'avait pas vu depuis très longtemps auFN: l'électorat dit bourgeois.» Elle souligne que le meilleur score obtenu par le FN à Paris l'a été dans le XVIe arrondissement. «Ce n'était pas arrivé, de mémoire, depuis1986.» Même phénomène au Touquet, dans le Nord-Pas-de-Calais, «que l'on présente sans cesse comme une terre ouvrière, populaire, alors qu'il ne faut pas se tromper, il y a des communes très à l'aise. Ainsi nous réalisons près de 17% au Touquet, un score bien supérieur à tout ce que nous avions pu réaliser dans le passé».
Pour la vice-présidente du FN, ces résultats viennent confirmer l'idée qu'«un électorat bourgeois, qui va au-delà de celui qui avait dérivé en2007 vers Nicolas Sarkozy, est venu s'associer à un électorat populaire. Dans le même ordre d'idées, on observe le retour de ceux qui, dès les années90, voyant que leFN n'avait plus de députés, s'étaient tournés vers leRPR».
Autre signe de la vitalité du parti frontiste: sa capacité à faire émerger une nouvelle génération de cadres. La moitié des 118 conseillers régionaux élus le 21 mars dernier l'ont été pour la première fois. Des trentenaires, des quadras... De là à voir l'émergence d'une génération Marine! Jean-Marie Le Pen minimise ces chiffres, soulignant qu'il est celui qui a remis à flot le parti, au point de pouvoir envisager avec une certaine quiétude de se retirer. «Quand la barque est remise à flot, ou le train sur les rails, ou l'avion sur la piste, selon la métaphore choisie, alors, en effet, à ce moment-là -je ne demande pas la perfection totale-, je ne vais pas remettre un trésor, non, mais un mouvement qui ne sera plus dans une grande difficulté financière.»
«Les adhérents FN doivent prendre en compte les électeurs»
Pour autant, Jean-Marie Le Pen s'interdit d'évoquer à haute voix sa succession. Entre Marine, sa fille, et son fidèle lieutenant, Bruno Gollnisch, tous deux candidats déclarés à la présidence du FN, il ne veut rien laisser percer de son choix de cœur ou de raison. «C'est aux adhérents de trancher», se contente-t-il de déclarer, une fois, deux fois, dix fois.
Il n'est pas difficile de voir où va pourtant sa préférence. Mais adouber sa fille, c'est prendre le risque d'être accusé de chercher à transformer le Front national en un front familial. La vice-présidente du FN elle-même juge la question perverse et ne se montre finalement pas si pressée d'être désignée comme l'héritière. Elle fait juste observer qu'il ne serait pas anormal, même si les régionales ne constituent pas des primaires, que «le choix des adhérents suive le vote des électeurs». Jean-Marie Le Pen opine de la tête, résumant son avis d'un «Vox populi, vox Dei».
A 82 ans et après presque quarante ans de présidence du Front national, Le Pen ne craint pas cette période qui s'ouvre. Il en a vu, des congrès, et de plus musclés ! Mais, surtout, il est intimement convaincu que cette succession n'attisera pas de nouvelles rancœurs, parce que «nos candidats sont d'une sagesse politique telle que ce risque-là ne sera pas pris». Marine Le Pen ne dit pas autre chose, considérant que, de toute façon, le mode de scrutin choisi pour le congrès garantit la légitimité du futur candidat du Front national à la présidentielle. «Avant, il y avait des grands électeurs qui étaient élus dans les fédérations; aujourd'hui, les adhérents votent directement. Tous les adhérents. Il y aura très probablement des tristesses ou des amertumes. Mais je crois que, et Bruno et moi, pour avoir vécu dans l'histoire du Front national des divisions, des scissions, nous savons que celles-ci sont à éviter à tout prix. Et chacun doit prendre l'engagement au fond de lui-même, et le dire, que le résultat n'est pas un résultat exclusif. On fait partie de la même famille politique. Nous avons travaillé des années ensemble et ça va continuer. Quel que soit le résultat du congrès, nous avons une volonté de préserver notre mouvement parce qu'il est essentiel à la France.»
Mais, alors qu'elle s'obstine à ne pas vouloir définir la ligne du parti frontiste si elle venait à être élue, se contentant chaque fois de répondre «encore une fois, il est un peu tôt pour parler de ça», Jean-Marie le Pen se permet gentiment de la recadrer. «Grosso modo, quand même, du moins j'ose espérer que l'essentiel programmatique est déjà tracé. Ou bien les candidats y seront fidèles, ou bien ils n'y seront pas. Moi, je suis partisan de continuer dans la ligne qui a été définie par nos différents congrès et sous réserve que le congrès ne la modifie pas dans son essence.» Ce faisant, Jean-Marie Le Pen se révèle dans son nouveau rôle, celui de gardien du temple des idées nationales.
Il ne fait pas autre chose en écrivant ses Mémoires, auxquels il réserve désormais régulièrement ses matinées. Quand il en parle, son œil s'anime. Sa parole redevient passionnée, parfois provocante. «Je commence par l'histoire de mes parents et l'histoire de mes grands-parents, parce que je ne suis pas né comme cela, je n'ai pas franchi la frontière en catimini, je suis né natif d'une famille.» Il veut raconter l'histoire, son histoire de France, celle du XXe siècle, qu'il a traversé de bout en bout, ou presque, depuis sa naissance à La Trinité-sur-Mer en 1928, alors capitale européenne de l'ostréiculture, jusqu'à nos jours. Il parle sans fin, dans une abondance de mots, de «l'efflorescence de petits cabanons, dans lesquels les gens plaçaient des tuiles, les grattaient, plaçaient des essaims. Tout a disparu, a changé. Si je ne le raconte pas, qui s'en souviendra. Qui se souviendra de la ferme de ma grand-mère et de ses quinze hectares dont cinq de landes, de cette ferme dans laquelle il y a trois pièces, la plus grande étant l'écurie, la deuxième, la salle de bains, la cuisine, le salon, salle à manger et les deux lits des parents et, à côté, la troisième, la chambre à coucher où dorment sept enfants.» Son histoire. Sa dernière contribution à ce qu'il considère comme l'écriture du roman national, parce que «tant qu'il y aura une nation française, avec les sentiments que suscite une patrie, il y aura unFN. Il s'appellera comme cela ou autrement. Il sera grand ou petit, mince, fort, puissant, torrentiel, mais il existera.»
samedi 10 avril 2010
Jean-Marie Le Pen : «Je pars le cœur tranquille»
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