lundi 13 octobre 2014
qui gouverne ce pays ?
Philippe Tesson dénonce "l'incohérence cafouilleuse" au plus haut sommet de l'État qui dure depuis deux ans et demi et dont les effets sont dramatiques.
Qui gouverne ce pays ? Il n'y a déjà plus de président, ou presque plus. Voilà que désormais il n'y a plus de Premier ministre, ou presque plus. Depuis hier, le chef, c'est le ministre de l'Économie, Emmanuel Macron. Dans une retentissante interview au JDD, il se désigne comme le patron, celui qui est chargé de partir à l'offensive, de relancer l'activité économique d'ici à la fin de l'année, d'intensifier les réformes, de recréer la confiance chez les entrepreneurs et dans les ménages, de créer avant six mois une nouvelle donne en Franceet en Europe, de libérer l'économie, de moderniser les conditions de travail, de s'attaquer aux professions réglementées, de trancher la question du travail de nuit et celle du travail du dimanche, d'en finir avec les réglementations obsolètes, de revoir l'assurance chômage... Tout cela est dans le texte, excusez du peu ! Un véritable programme de gouvernement. Vite fait, bien fait ! Avant six mois, la France aura retrouvé son crédit, la croissance, la prospérité, l'emploi, et en mai 2017, elle reconduira François Hollande. Que ce dernier n'a-t-il eu plus tôt l'idée géniale de confier à ce phénix des hôtes de ces bois les intérêts du pays ? Tant de temps perdu ! Valls, c'était donc un leurre !...
Mais soyons sérieux, à défaut qu'ils le soient. Que signifie ce nouvel épisode intempestif de la déjà longue histoire ubuesque du mandat de François Hollande, jalonné de bourdes ? Une gaffe délibérée ? Une provocation ? Une manoeuvre ? En tout cas, un désordre de plus. Était-ce le moment, alors que les témoignages d'un affaiblissement de notre économie se multiplient, alors que le crédit du président de la République est au plus bas, alors que la majorité est au bord de la fracture, alors que la confiance du peuple dans l'avenir est mise à mal par les sinuosités, les louvoiements, les contradictions du pouvoir de gauche, était-ce le moment de laisser un jeune ministre inexpérimenté jeter dans le marécage français un pavé aussi inopportun ?
Est-il destiné à donner un gage aux dirigeants de la Commission européenne à la veille de la mise en surveillance à laquelle ils vont soumettre la France ? Il faut vraiment les considérer comme des imbéciles pour croire qu'ils vont prendre pour argent comptant l'extravagant catalogue de projets, d'ambitions et d'engagements que décline M. Macron, quand on sait l'absence de crédit politique et de moyens financiers dont ils disposent, lui et son gouvernement. Est-ce pour envoyer un signe ? Et à qui ? Au Medef, qui a tout compris depuis qu'ils le couvrent d'hommages indécents après l'avoir si longtemps stigmatisé ? Au pays, qui ne croit plus en rien qui vienne d'eux ? Aux pauvres, qu'ils ont bernés ? En fait de signes, c'est un nouveau défi insultant qu'ils lancent à la gauche radicale en en rajoutant sur l'inflexion libérale qu'ils impriment à leur politique. Ils ajoutent à la maladresse le cynisme. Ou bien alors cherchent-ils la rupture définitive avec cette partie de leur électorat, hypothèse inconcevable lorsqu'on évalue les risques politiques qu'elle induirait.
Mais le comble est dans le mépris que les propos du ministre de l'Économie traduisent vis-à-vis de l'autorité du président de la République. Ce comportement frise l'inconscience, l'irresponsabilité. M. Macron porte à son sommet le désordre qui règne dans l'exercice du pouvoir depuis l'élection de François Hollande. Tenons-nous-en au dossier de l'assurance chômage. La semaine dernière, Manuel Valls évoque en plusieurs occasions et avec insistance la nécessité de réformer le système de l'indemnisation, idée qui lui est chère depuis longtemps. Aussitôt, Hollande le recadre : la réforme attendra 2016.
Mercredi, à Milan, il déclare : "Il y a suffisamment de sujets pour que nous soyons bien occupés. On ne fait pas des réformes pour des réformes." Le lendemain, jeudi, à Lille, Valls répond au président : "La seule chose que je peux vous dire, et c'est ce que le président de la République a dit, il faut des réformes... et, croyez-moi, je suis très déterminé à les poursuivre." Et hier, Macron enfonce le clou de la discorde : "Il ne doit pas y avoir de tabou ni de posture... Il y a eu une réforme, elle est insuffisante... Comme l'État garantit financièrement le régime, il peut aussi reprendre la main si les blocages sont trop lourds." C'est ce que l'Élysée appelle "une totale harmonie". C'est ce que nous appelons une incohérence cafouilleuse, qui dure depuis deux ans et demi et dont les effets sont dramatiques. Qu'elle cache des intérêts politiques et des jeux d'ambition personnelle ne grandit pas ceux qui l'entretiennent.
Au point dangereux où en est aujourd'hui la France, le président de la République, qui est toujours là, comme il le dit avec un humour d'un goût douteux, ne terminera son mandat que s'il met désormais un minimum de clarté dans ses intentions, ses actes et ses paroles, et un minimum d'autorité dans la conduite de son personnel. Quelques mois ont suffi pour que s'installe l'ambiguïté dans sa relation avec le Premier ministre. Quelques jours ont suffi pour qu'un jeune ministre s'arroge le pouvoir de parler comme un Premier ministre et ajoute sa voix, avec une immodestie ou une naïveté infantiles, au concert d'illusions qui berce la France depuis mai 2012.
Car qui peut croire un instant qu'il relancera avant six mois l'activité du pays, ce qui suppose qu'il maîtrise un contexte économique plus que jamais défavorable, qu'il convainque Bruxelles de la faisabilité de son projet, qu'il muselle la fraction rétive de sa majorité et qu'il vienne à bout des corporatismes auxquels il entend s'attaquer. Ce n'est pas que ses intentions soient mauvaises, et pas davantage celles de Manuel Valls, authentique réformateur. C'est que trop de pesanteurs les hypothèquent, budgétaires, sociales, politiques et culturelles, à commencer par le complexe de gauche qui les amènera à céder, par habitude, par faiblesse et par démagogie, aux oppositions qu'ils rencontreront dans leur action réformatrice.
Ils ont trop dit qu'ils étaient socialistes et qu'ils continuent de l'être pour avoir le courage de mener jusqu'au bout une politique réputée de droite, fût-elle conforme à l'intérêt de la France et à leur propre conviction. Cette équivoque ne se dissipera qu'avec le temps. Pas dans six mois, n'en déplaise à M. Macron.
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