Bon, pour l’État, c’est dit, on va avoir de l’action, de la réforme, du changement même, c’est Valls qui le dit, et Valls, il fait des trucs avec ses petits bras musclés agités de façon spasmodique aux tribunes républicaines, donc, c’est que c’est du solide : tiens, on va sucrer une tranche d’impôt (peut-être), ce qui va mécaniquement améliorer les finances du pays. Voilà. Ça, c’est fait. Maintenant, le problème de l’État français enfin résolu, il reste celui des déficits chroniques de la Sécurité Sociale. Ne vous inquiétez pas, le gouvernement va aussi s’en occuper.
Pour cela, il a été très très clair en se fixant des objectifs finement étudiés, comme celui d’équilibrer les comptes d’ici à la fin du mandat de François Hollande, en 2017. Et chacun s’est donc mis au travail, en retroussant son collier et en donnant un coup de manches (ou l’inverse, peu importe), afin de remettre un peu d’ordre dans le bazar fumant qu’avait laissé la méchante droite. Et petit à petit, les dettes ont disparu … Ah euh non, les nouveaux déficits ont seulement rétréci, diminuant de 7 milliards en 2011, puis 3.5 milliards en 2012 puis 3.1 en 2013, pour s’y établir à 16 milliards, ce qui représente tout de même une somme assez coquette par les temps qui courent, mes petits amis. Mais ne nous formalisons pas : ce qu’il faut retenir, c’est que s’ils continuent de s’empiler, ils s’empilent moins vite, dans la bonne humeur et l’huile de coude d’un gouvernement tout attelé à la tâche.
Ah et puis zut, voilà que ces rabats-joie de la Cour des Comptes n’ont rien trouvé de mieux à faire que d’encore sortir l’un de ces épais rapports dont ils ont le secret et que personne ne lit. Flûte à la fin, alors que nous touchions au but et que régnait la sérénité que seule permet la certitude d’atteindre le but qu’on s’est fixé, poum, voilà le gouvernement tout embarrassé : avec l’inflation qui refuse de se redresser productivement, les comptes sont dans le rouge et ne font rien pour montrer leurs meilleurs atours. Et le pire n’est pas que ces comptes sont déficitaires (oh zut) encore une fois (oh zut) et au moins autant que l’année passée (oh zut), mais bien que, dans son rapport, la Cour estime que l’objectif fixé pour les dépenses d’assurance-maladie n’était pas assez rigoureux. Franchement, voilà qui est fort méchant pour un gouvernement (de combat) qui s’est tant donné pour arriver à ces résultats (grandioses) et qui se félicitait même de n’avoir cessé de faire ralentir la progression de la dépense en affichant toujours des déficits moins gros que leurs gargantuesques prévisions. Malheureusement, la Cour ne l’entend pas de cette oreille :
« Le taux de progression provisoire de l’ONDAM exécuté s’établit à ce stade en 2013 à +2,4%, comme celui annoncé en 2012 à la même période, ce qui traduit un coup d’arrêt dans le ralentissement des dépenses constatées ces dernières années. (…) Les dépenses d’assurance-maladie ont ainsi augmenté deux fois plus vite en 2013 que le PIB en valeur. »
C’est vraiment trop injuste. Non seulement l’inflation ne veut pas leur venir en aide, mais les dépenses continuent de croître plus vite que prévu, et plus vite que le PIB. Ce n’est vraiment pas la fotogouvernement.
Bon, soit, ce n’est pas totalement faux : le gouvernement actuel n’est pas entièrement responsable de la dérive constatée, qui est aussi le résultat de l’entêtement de tant de politiciens passés à maintenir le système en marche, par tous les moyens, et ce, quel qu’en soit le prix. En réalité, l’institution a, depuis longtemps, échappé à tout réel contrôle politique, et continue donc de faire du gras, dirigé par des organisations parasitaires syndicats tout-puissants qui entendent continuer à se servir la soupe tant qu’ils le pourront. Et lorsque la Cour des Comptes préconise quelques voies d’améliorations (au niveau des génériques, en modifiant la façon dont sont gérées les urgences, par exemple), tout le monde sait que la bataille qui devrait s’engager pour obtenir ces réformes est tellement dantesque qu’elle a épuisé, rien que d’y penser, les pauvres ministres qui se débattent déjà âprement dans les tourments d’une crise à laquelle ils ne comprennent plus rien depuis longtemps.
D’ailleurs, imaginez-vous vraiment ces braves bonshommes, rassemblant leur courage (à la pince à épiler) pour tenter de réduire les émoluments versés aux directions des cadres de la Sécu, dont on apprend qu’ils sont pourtant plus que roboratifs ou que leurs plafonds ne sont pas toujours respectés ? Non, vraiment, la lutte contre les déficits ne peut pas tout motiver, voyons…
Et cette imputrescibilité des déficits constatés commence à provoquer des problèmes.
Bien sûr, il y a le petit souci qu’une fois les déficits constatés, il faut tout de même payer les personnels, rembourser les malades qui ont cotisé, et tenter de reboucher les trous. Très concrètement, cela veut dire, d’une façon ou d’une autre, accroître les cotisations, diminuer les prestations ou faire des emprunts. Comme la diminution des dépenses est, on l’a vu, un problème aussi épineux qu’électoralement miné, on pourrait tenter de se rabattre sur l’augmentation des cotisations. Cela pose un souci grandissant : d’augmentation en augmentation, de tabassage social en bastonnade fiscale, le coût du travail en France est devenu tellement prohibitif qu’on pourrait se dire qu’il y a là une des raisons au chômage endémique dans le pays, et qu’il serait dangereux de l’augmenter encore. D’ailleurs, une récente étude (qui sera évidemment qualifiée d’ultra-néo-libérale, mensongère et caricaturale) du cabinet d’audit et de conseil BDO semble abonder en ce sens.
Enfin, si on ne peut pas réellement diminuer les dépenses ni augmenter les cotisations, il va donc falloir se résoudre à emprunter ce qui manque. Or ça, on le comprend, ça ne peut durer qu’un temps. Financièrement parlant, la France est déjà en situation délicate et tout nouvel emprunt précarise encore un peu plus l’ensemble des institutions qui en croquent. Dans la bouche de Migaud, le président de la Cour des Comptes, cela se traduit par cette phrase :
« La permanence des déficits sociaux est pernicieuse. Elle ronge comme un poison à effet lent la légitimité même de notre système de Sécurité sociale. »
Et là, ce problème dépasse largement le cadre financier puisqu’il touche à l’idéologique. De plus en plus de personnes se demandent où passent les piscines, que dis-je, les montagnes entières d’argent englouties dans un système dont le service rendu ne cesse de décroître en qualité et en quantité. De plus en plus d’assurés commencent à comprendre, encore confusément mais tout de même, que les 157 milliards (oui oui, 157 milliards) d’euros de dette sociale accumulée jusqu’à présent pèsent avant tout sur ces générations futures dont on ne se gargarise exclusivement que lorsqu’il s’agit d’emmerder le consommateur-pollueur-payeur. Et ils commencent à comprendre qu’en fait de soins et de couverture sociale, les générations futures auront droit à un magnifique bras d’honneur laissé par cette tripotée d’adulescents incapables d’équilibrer un budget, mais très capables de se constituer de solides fortunes personnelles.
Dès lors, comment s’étonner que, parmi cette foule grossissante de personnes voyant chaque mois la facture sous forme de cotisations sociales, certains individus choisissent, consciemment, d’arrêter les frais ? Comment ne pas comprendre que les trous constatés ne peuvent pas être suffisamment expliqués par une fraude qui démontre surtout les limites d’un système redistributif, sans contrôle, et depuis trop longtemps l’objet de manœuvre politiques et sociales ?
Combien de personnes ont, en effet, choisi de quitter qui le pays, qui le travail déclaré, qui les organismes sociaux étatiques, de façon légale ou pas, pour échapper enfin au sentiment de gâchis immense qui s’empare de celui qui, lucide, regarde la réalité en face ?
Les expatriés sont de plus en plus nombreux, et ce ne sont pas les plus oisifs qui partent. Le travail non déclaré, en pleine explosion, très délicat à traquer tant il se niche dans les plus petits recoins du quotidien, représente une fortune qui disparaît du radar social. Et ceux qui ont entamé, et réussi, les démarches pour quitter la Sécu et s’assurer auprès d’organismes privés (que ce soit les frontaliers ou, de façon grandissante, les professions libérales excédées des exactions du RSI) ferment la marche de cette génération qui en a eu assez de se faire spolier.
La Cour des Comptes peut bien, comme à son habitude, pointer du doigt les gabegies, gaspillages et problèmes structurels qu’il faudrait résoudre pour rétablir un peu de cohérence à l’ensemble. Elle peut bien espérer que ses conseils redonneraient quelques années à un système à bout de souffle. Mais la réalité est impitoyable, et tous les petits chatons mignons de ce billet n’y changeront rien : le système collectiviste d’assurance maladie empile les dettes, par nature. Par nature, il déconnecte ceux qui payent de ceux qui bénéficient et est donc voué à l’échec. Et par dessus le marché, comme tous les autres rapports, celui-ci sera lu, commenté, et aussi vite oublié.
Dès lors, aucun doute : ce système est foutu.
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