Un marché de l'emploi qui repose en partie sur des mini boulots et qui fait envie pour son faible taux de chômage... des exportations toujours aussi importantes, malgré la crise, grâce à une réorientation vers les marchés asiatiques. L'économie allemande a plus qu'honorablement tiré son épingle du jeu depuis le déclenchement de la crise financière et économique en 2008. Elle le doit à sa politique économique. Elle le doit aussi à certains facteurs structurels, antérieurs aux fameuses réformes Schroeder dont on a tant parlé sur la libéralisation du marché du travail. Ce sont d'ailleurs des facteurs tout autant structurels, comme la démographie ou sa place au sein de la zone euro, qui peuvent à l'avenir constituer autant de menaces. Guillaume Duval, rédacteur en chef de la revue Alternatives économiques, et auteur de "Made in Germany",détaille pour nous les points de force et les faiblesses de l'économie allemande à l'ère d'Angela Merkel
Comment se porte l’économie allemande après deux mandats de Angela Merkel?
L’économie allemande ne va pas mal, surtout si on la compare aux autres économies européennes, mais il ne faut pas surestimer sa bonne santé pour autant. Si on prend comme référence 2008 avant la crise, le PIB allemand devrait être cette année, selon les prévisions de la Commission européenne, de 2,9% de plus qu’en 2008. Les Américains en sont à 5,4%. C’est vrai qu’elle va mieux que toutes les autres économies européennes, pour autant elle n’a pas fait des étincelles. Pour le reste de l’Europe tout semble aller bien pour Berlin. Ce qui va bien, et c’est indéniable, c’est la réduction du chômage. Avec un peu plus de 5% de chômage, c’est un rapport du simple au double avec nous, voire bien plus avec certains comme les Italiens ou les Espagnols.
Une baisse du chômage grâce notamment aux fameux mini-jobs et à une certaine précarité
Oui, il faut bien mesurer que ce chômage a été acquis par le développement de beaucoup de petits boulots. Payés 450 euros par moi, on ne paie pas de cotisations sociales ou très peu, mais on n’a pas de retraite derrière. On en compte, selon les calculs, environ 6 millions aujourd’hui. Cela s’est beaucoup développé depuis le début des années 2000. Si on prend les emplois qui paient des cotisations sociales, les « vrais » emplois, ce n’est qu’en 2010 que l’Allemagne a retrouvé le niveau d’emploi qu’elle avait en l’an 2000. Donc, la bonne santé du marché du travail allemand tient pour une part non négligeable au développements des petits boulots dans un contexte où le marché du travail allemand est très dual.
Le contexte allemand n’est pas non plus comparable au contexte français…
Ce n’est pas comme chez nous où 98% des salariés du privé sont couverts par une convention collective, en Allemagne c’est 55%. Car les conventions collectives en Allemagne ne s’appliquent qu’aux entreprises qui appartiennent à un syndicat patronal qui les a signées. Dans le secteur des services, on compte beaucoup de ces petits boulots et l’absence de convention collective et donc pas de smic puisqu’il n’y a que des accords de branche. Donc à l’heure actuelle, on dénombre 3 millions de personnes qui travaillent pour moins de 6 euros de l’heure. C’est un des points qui a été au cœur de la campagne électorale et c’est un des sujets sur lesquels, quel que soit le résultat, on peut penser qu’il y aura des changements.
On parle explicitement d’introduire le smic…
Oui, les chrétiens démocrates et les sociaux démocrates ne sont pas d’accord sur les modalités mais ce dossier devrait évoluer car les Allemands eux-mêmes y sont très sensibles.
Ce n’est pas le smic à la française que Merkel a en tête lorsqu’elle parle de salaire minimum…
Le SPD veut un smic à la française, une loi instaurant un Smic unique. Mme Merkel des Smics de branche, régionaux, donc variables selon les situations. De toute façon, même la solution Merkel permettra de sortir d’une situation actuelle de far west pour beaucoup de gens sur le marché sur travail.
Il y a aussi une forte inégalité homme/femme sur ce point des mini-jobs.
Oui, un des points qui restent problématiques en Allemagne, c’est effectivement la disparité homme-femme. Une nette majorité de ces petits boulots concernent des femmes. En France, on considère souvent que l’Allemagne est un pays social-démocrate. En fait, c’est un pays très conservateur et qui a été géré depuis 140 ans le plus souvent par la droite. Et ce pays est juste en train de sortir, maintenant, du modèle de l’homme qui gagne bien sa vie dans l’industrie et de la femme qui reste à la maison pour garder les enfants. Mais il en sort de manière très inégalitaire. Le niveau d’activité des femmes allemandes reste élevés, mais ce sont elles qui occupent les emplois précaires, peu payés, à temps partiel. Un salarié allemand travaille environ une heure de moins chaque semaine qu’un salarié français en moyenne. Tandis qu’une femme salariée allemande travaille trois heures de moins qu’une femmes salariée française. Les femmes sont entrés sur le marché du travail mais dans des conditions peu régulées. Et cela pose problème.
La faible démographie allemande est un lourd handicap..
Oui, l’Allemagne a perdu 400 000 habitants depuis le début des années 2000 et la France en a gagné 4,9 millions. Et ils en ont probablement perdu plus puisqu’avec le dernier recensement ils viennent de se rendre compte qu’il y en avait 1,5 million qui avait disparu on ne sait ni quand ni où.. . Donc moins de jeunes arrivent sur le marché du travail chaque année en Allemagne qu’en France, bien que la population soit supérieure. Ceci aide aussi les résultats sur le plan de l’emploi. Ce déclin démographique a constitué un des atouts économiques majeurs de la dernière décennie. Les Français sont toujours convaincus que c’est très bien d’avoir plein d’enfants, que c’est une preuve de dynamisme… C’est sans doute vrai pour l’avenir, mais dans l’immédiat cela coûte très cher. L’autre impact positif, c’est que cela a évité à l’Allemagne de connaître une bulle immobilière. Les prix de l’immobilier n’ont pas bougé en Allemagne depuis 15 ans, ils commencent maintenant à bouger et c’est d’ailleurs un des sujets de la campagne électorale. Alors qu’en France, ils ont été multipliés par 2,5.
C’est déterminant par rapport au pouvoir d’achat et à la comparaison en matière de salaire ?
Oui. Sur L’immobilier, l’écart est massif. Aujourd’hui, un logement neuf en Allemagne en 2011 valait 1300 euros du m², on était à 3800 en France. A Paris on est maintenant au-dessus de 8000 euros le m², à Frankfort, la City allemande, c’est 2300 euros. On est dans un ratio de 1 à 3 assez considérable. Cela explique, selon moi, beaucoup plus que tout le reste, que les réformes Schroeder, le fait que les Allemands aient accepté une austérité salariale.
La cogestion, c’est un point totalement méconnu des Français.
Oui, dans les entreprises allemandes, au-dessus de dix salariés, les employés ne sont pas seulement consulté pour avis mais doivent donner leur accord dans la plupart des décisions managériales. Ils n’ont pas de délégués du personnel, de délégués syndicaux .Dans toutes les entreprises de plus de 2000 salariés, les conseils de surveillance sont composés pour moitié de représentants des salariés pour moitié des actionnaires qui, gardent, certes, une voix prépondérante. Mais vous voyez, le cadre est profondément différent de ce qui se passe en France. Un troisième élément dans la gouvernance des entreprises, qui est moins souvent souligné mais qui est tout aussi central, c’est qu’en Allemagne il n’y a pas de PDG. Il y a toujours un conseil de surveillance avec un président de ce conseil, et un directoire avec un directeur général opérationnel. Il faut toujours que ces deux personnes s’entendent pour les grandes décisions stratégiques. Un gars qui devient PDG d’une grande entreprise comme en France, parce qu’il a fait l’Ena et qu’il a été dans un cabinet ministériel, qui vent de l’eau et des services publics locaux, qui trouve pas cela rigolo, qui voudrait avoir un appartement à New York et devenir chef d’une Major d’Hollywood et qui fait cela en deux ans… c’est simplement pas possible en Allemagne. Institutionnellement, cela ne passerait pas. C’est un des facteurs décisifs pour la stabilité , la continuité, le long-termisme des industriels allemands.
Qu’est-ce qui dans la politique économique de Merkel explique sa popularité ?
Je ne suis pas sûr que la cause réside dans sa politique économique. L’Allemagne a bénéficié depuis la crise de trois facteurs. 1° les réformes Schroeder du marché du travail n’ont pas du tout marché. En 2009, les Allemands ont eu une récession à peu près deux fois plus forte que la nôtre. -5% sur leur PIB. Nous on a perdus 480 000 emplois cette année-là, l’Allemagne en a perdu zéro. Ils ont gardé tout le monde. Ils se sont débrouillés avec le chômage partiel, avec les accords dans les entreprises pour contenir les coûts. Cela n’a rien à voir avec les réformes Schroeder du marché du travail. Schroeder était un grand admirateur de Blair et il voulait rapprocher le marché du travail allemand de celui anglo-saxon, introduire l’intérim, les petits boulots etc… Ils ne se sont pas servis de cette flexibilité. C’est pour cela que la demande intérieure allemande a bien tenu et que l’industrie a pu repartir dès que les commandes sont revenues. Dès que les Chinois ont fait un grand plan de relance et sollicité les industries allemandes, les gens étaient là. Ils n’ont pas eu besoin d’embaucher ou de former du personnel.
Donc, c’est bien un choix de politique économique ?
Merkel, en fait, l’a surtout accompagné. Le second élément, c’est que l’Allemagne a bénéficié depuis la crise de taux d’intérêt extrêmement bas. Aujourd’hui, ce sont les investisseurs qui paient l’Etat allemand pour avoir le droit de détenir sa dette en termes réels. Cela a été un atout formidable. M. Schäuble a sorti un papier disant que Berlin avait gagné grâce à cela 40 milliards d’euros. Je pense que c’est très sous-estimé. J’ai fait le calcul. Si les taux d’intérêts sur la dette publique allemande étaient restés ceux de 2008, l’Allemagne aurait payé en plus, comme intérêts, de 2009 à 2012, environ 100 milliards d’euros de plus.
Donc ce n’est pas la faute aux Grecs ?
Les Allemands pleurent beaucoup sur l’argent qu’ils doivent prêter aux Grecs, aux Irlandais, aux Portugais, mais si vous faites le calcul, vous verrez qu’ils sont engagés aujourd’hui à hauteur de 70 milliards d’euros pour Grèce, Irlande, Portugal, Espagne et Chypre. Et ce sont des prêts, pas des dons. Des prêts qui rapportent 4% alors qu’ils empruntent à 0%. Ils ne seront pas tous remboursés, mais la majorité le sera. La crise a été plutôt une bonne affaire pour les finances publiques allemandes jusqu’ici. Mais c’est aussi une bonne affaire pour les acteurs privés. Les ménages allemands paient des intérêts inférieurs aux ménages français (en juillet c’était 2,5% en Allemagne contre 3,1% en France pour acheter un logement). C’est vrai aussi pour les entreprises. Ces taux très bas ne sont pas un comportement très rationnel de la part des investisseurs. L’Allemagne reste un pays menacé par une implosion démographique. On a en France 1900 milliards d’euros de dette publique, l’Allemagne 2200. Pour l’instant, ils sont plus nombreux pour la rembourser, mais les courbes démographiques vont se croiser, il y aura plus de Français que d’Allemands. Enfin, troisième élément, Mme Merkel a bénéficié de quelque chose dont elle ne se vante pas, c’est que l’euro a baissé par rapport au dollar. L’euro était à 1,6 dollar en 2008, il tourne aujourd’hui à 1,3. Il faudrait qu’il baisse encore pour ramener vraiment de l’industrie en Espagne, au Portugal. Mais dans l’immédiat, ce mouvement a surtout profité à l’industrie allemande dans la mesure où c’est elle qui exportait déjà le plus hors zone euro, leur exploitation hors zone euro a été celle qui a augmenté le plus.
On a d’ailleurs assisté à un basculement des exportations allemands, de la zone euro vers l’Asie…
Oui, l’excédent extérieur allemand s’élevait à 181 milliards d’euros en 2007, il portait à 62% sur la zone euro. L’an dernier, c’était 185 milliards d’euros, mais il était fait à 32% sur la zone euro. Donc les Allemands ont plus que compensé en exportations supplémentaires hors zone euro ce qu’ils ont perdu sur le marché intérieur du fait de la crise de la zone euro. Ceci dit, c’est une phase particulière. Si le reste de la zone euro reste en récession, l’Allemagne va avoir des problèmes. Les Chinois ne vont pas indéfiniment acheté des machines comme dans le boom de l’industrialisation des émergents depuis dix ans.
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