lundi 10 juin 2013
Patrons : le double langage de Hollande
Divorce. Les chefs d’entreprise ne comprennent plus François Hollande. Entre l’HEC professeur d’économie et l’énarque ennemi de la finance, qui est vraiment le président ?
Ce patron d’une jardinerie de province n’en revient pas. Il vient de recruter un vingt et unième collaborateur, franchissant pour son malheur le seuil fatidique des 20 salariés. Il lui en coûte en charges sociales supplémentaires trois fois ce que serait censé lui rapporter le crédit d’impôt compétitivité emploi ! « Ce crédit d’impôt, parlons-en !nous dit un autre patron de PME. C’est une usine à gaz qui n’intéressera que les grandes entreprises ! Encore faudra-t-il attendre 2014 pour en bénéficier, sauf à se lancer dans une procédure complexe d’avance auprès de la Banque publique d’investissement. Même chose pour la nouvelle taxation des plus-values : elle n’entrera en vigueur qu’en 2014. Et encore ! Dieu sait ce qu’il restera de la réforme une fois passée au Parlement ! »
L’écho n’est guère plus favorable auprès des patrons de grandes entreprises, dont certains n’étaient pas a priori hostiles à la gauche.
Il y a l’amertume de ceux qui se sentent désignés à la vindicte populaire parce qu’ils gagnent trop bien leur vie — Stéphane Richard s’apprête à diminuer sa rémunération pour ne pas faire supporter à France Télécom la taxe qui pénalise les salaires supérieurs à un million d’euros par an. Mais aussi le sentiment d’injustice de ceux qui sont montrés du doigt comme responsables de la montée du chômage. Le doute gagne quant à la capacité de François Hollande et de son gouvernement à définir un cap et à s’y tenir. « Sa ligne économique et sociale manque de cohérence », constate la présidente du Medef, Laurence Parisot. Ne sachant pas où vont le président et son gouvernement, les chefs d’entreprise limitent au minimum leurs investissements productifs en France et attendent avec appréhension le prochain budget.
« La ponction fiscale pratiquée sur les créateurs de richesse a atteint le niveau d’asphyxie », s’inquiète Henri de Castries, le président d’Axa, dans un entretien aux Échos. « Aujourd’hui, il y a danger de voir la France et l’Allemagne diverger », s’alarme le président d’EADS, Tom Enders, dans le Monde, tandis que Christophe de Margerie se désole de pouvoir chercher du gaz de schiste partout sauf en France et qu’Henri Proglio, le président d’EDF, est sommé de fermer la centrale nucléaire de Fessenheim alors même que l’Autorité de sûreté nucléaire la déclare bonne pour le service.
Banquiers et assureurs, eux, se plaignent de voir la France soutenir une taxe sur les transactions financières qui, appliquée en l’état, ruinerait ce qui reste de la place financière de Paris.
L’audience du président de Radiall, Pierre Gattaz, soutenu par le président de la Scor Denis Kessler, désigné par ses pairs de l’UIMM comme candidat à la succession de Laurence Parisot au Medef, traduit ce ras-le-bol des grands comme des petits patrons, des PME traditionnelles comme des start-up face à ce qu’Henri de Castries qualifie d’immense gâchis, les impôts en cascade sur les entreprises comme sur les particuliers (les patrons sont souvent des redevables de l’ISF) et l’absence totale de perspective de sortie de crise. « Il y a une totale incompréhension de la part de ceux qui nous gouvernent, une incompréhension des principes de base de l’économie », constate Pierre Gattaz. François Hollande a compris le risque de cette fronde des producteurs de richesse : comment parvenir à inverser la courbe du chômage, comme il s’y est imprudemment engagé pour la fin de l’année, sans le concours des entreprises ? Jamais les contrats de génération dans la fonction publique et dans le monde associatif n’y suffiront.
Mais comment les entreprises peuvent-elles recruter quand elles ne savent ni à quel régime fiscal elles seront accommodées l’an prochain, ni quel sera le niveau de leurs cotisations sociales pour renflouer l’Unedic, ni à quel âge leurs salariés pourront partir à la retraite ? L’immobilisme en matière de réformes structurelles amène sans cesse à repousser la date d’un hypothétique retour des finances publiques à l’équilibre tandis que la baisse du niveau de vie des Français grippe la consommation, dernier moteur qui maintenait encore un souffle de croissance.
L’absence de visibilité des patrons va de pair avec une désespérance croissante des salariés qui fait de la France le pays le plus pessimiste du monde et de François Hollande le plus impopulaire des présidents de la Ve République avec seulement 25 % de satisfaits.
Le chef de l’État tente de retrouver la confiance des chefs d’entreprise. Le 29 avril, les recevant à l’Élysée à l’occasion de la clôture des assises de l’entrepreneuriat, il les a cajolés : « Ce sont les entreprises qui créent la richesse, ce sont les entreprises qui créent de l’activité, ce sont les entreprises qui créent de l’emploi », ajoutant qu’il valait mieux rappeler ce qui semble aller de soi. « Vous qui créez, qui agissez, qui développez la richesse et l’emploi, vous qui faites l’économie de tous les jours », leur a-t-il encore dit en les assurant de sa lucidité sur la situation, de son sérieux dans la gestion budgétaire ou encore de la nécessité de reconnaître la réussite sous toutes ses formes et de récompenser le talent…
C’est bien le langage que le monde de l’entreprise souhaitait entendre. Les mesures annoncées, principalement l’adoucissement du régime d’imposition sur les plus-values de cession, ne pouvait que faire plaisir à une audience qui l’attendait avec impatience (lire aussi “Pour bien défiscaliser”, page 71).
Sans doute aura-t-elle été moins convaincue par le rappel des réformes déjà lancé comme le pacte pour la compétitivité et l’emploi, l’accord sur la sécurisation de l’emploi passablement édulcoré par son passage au Parlement ou encore la création de la Banque publique d’investissement — à laquelle certains ne voient d’autre utilité que de donner voix au chapitre à Ségolène Royal et à quelques autres notables régionaux socialistes sur le financement des entreprises.
Mais était-ce bien aux patrons que s’adressait ce discours, et pas plutôt aux amis de François Hollande qui le lendemain déposaient à l’Assemblée nationale une proposition de loi obligeant un chef d’entreprise qui veut fermer un site à chercher d’abord un repreneur(lire notre encadré) ?
C’est bien là tout le drame des rapports entre les chefs d’entreprise et François Hollande. Rien ne prédisposait nécessairement le monde de l’entreprise et le chef de l’État à ne pas s’entendre. Certes, il y avait eu quelques paroles malheureuses à l’encontre des riches pendant la campagne, mais n’était-ce pas seulement que des propos de campagne ? Après tout, n’avait-on pas pour la première fois à l’Élysée un ancien HEC qui avait enseigné l’économie en troisième année à Sciences Po ? Énarque, certes, mais tant de grands patrons ne sont-ils pas issus de la haute administration et n’ont-ils pas fait leurs classes au cabinet de ministres socialistes ?
Pierre Pringuet, le directeur général de Pernod Ricard, président de l’Afep (Association française des entreprises privées), est un ancien du cabinet de Michel Rocard. Stéphane Richard, le président de France Télécom, avant d’être au cabinet de Christine Lagarde avait oeuvré à celui de Dominique Strauss-Kahn. Frédéric Saint-Geours, ancien numéro deux de PSA et président de l’UIMM, la plus importante fédération patronale, avait dirigé le cabinet d’Henri Emmanuelli, ministre socialiste du Budget.
Ils auraient donc pu trouver un terrain d’entente. Dès août, François Hollande avait envoyé Jean-Marc Ayrault ouvrir l’université d’été du Medef pour rassurer les patrons : « J’estime les chefs d’entreprise. Je suis pleinement conscient de leur apport décisif à notre économie. Le gouvernement que je dirige souhaite résolument encourager et mobiliser la France qui entreprend. Parce que c’est la condition de la croissance, c’est la condition aussi de la production de valeur et c’est bien sûr la condition de création d’emplois. » Même discours qu’aujourd’hui.
Le 20 septembre dernier, François Hollande remettait le prix de l’Audace créatrice. Il promettait alors : « Je veux assurer une stabilité fiscale. Rien n’est pire que les changements incessants de dispositif et de régime. De douter de la pérennité d’un mécanisme, de penser qu’il y a un effet d’aubaine qui doit être saisi parce que demain la donne peut être modifiée. »
Derrière ces beaux discours, un budget est venu faire des entreprises françaises les plus imposées d’Europe. L’obstination de Hollande à mettre en oeuvre les 75 % sur les rémunérations au-dessus de un million, même si elle ne concernait qu’une infime minorité de dirigeants, a été perçue en France et surtout à l’étranger comme un règlement de comptes personnel avec ces riches que le président disait ne pas aimer. Peut-on ne pas aimer les riches et estimer les créateurs de richesse ?
François Hollande a évoqué à deux reprises dans son discours aux chefs d’entreprise du 29 avril un « malentendu » à propos de la taxation des plus-values. Il y a eu malentendu en effet de la part de certains cercles de dirigeants qui n’ont pas cru que le chef de l’État était vraiment socialiste et qui se sont étonnés de le voir tenir ses promesses de campagne. Il y a eu aussi malentendu de la part du chef de l’État, qui s’imagine encore pouvoir compter sur les entrepreneurs pour créer la richesse que lui et les siens partageront au plus grand profit d’une sphère publique qu’il ne se décide pas à réduire. Mais aucun entrepreneur ne se risquera à produire pour voir le fruit de ses efforts confisqués.
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