Vous avez déjà essayé de courir dans l’eau ? Epuisant n’est-ce pas ? Au bout de quelques pas, je me dis que j’irai plus vite en marchant. Alors je marche. Comme je n’ai jamais pris la peine de me chronométrer, je ne sais ce qu’il en est réellement, mais la sensation d’aller plus vite et plus loin est bien là. Et quoi de plus subjectif que le temps ?
Je ne supporte plus vos promesses, vos analyses, vos décisions, votre éducation, votre culture, votre économie, votre politique, vos médias.
Socialistes, je ne vous supporte plus ni en peinture, ni en photo, ni en dessin.
Voilà, c’est écrit, c’est annoncé, c’est officiel. (P’tain, qu’est-ce que ça fait du bien.)
Le PS est-il encore fréquentable ?
Cela n’a pas toujours été le cas, croyez-moi. Je me souviens encore lorsque, membre du PCF, nous collions dans les rues les affiches de la section locale du PS qui n’avait - paraît-il - pas vraiment de militants pour ça. On se moquait d’eux, c’est vrai, mais c’était comme on se moque d’un copain qui vient à un week-end de randonnée avec des chaussures de ville. Ce côté décalé, légèrement à côté de la plaque, maladroit mais plein de bonne volonté. Sa souffrance à aller de l’avant finit par faire de la peine, et tout le monde ralentit pour l’attendre. On lui prêterait bien une paire de chaussures de marche, mais qui aurait pensé que... ? En tous cas, c’est comme ça que je voyais les choses.
C’est dire si je les connaissais mal.
Comprenez-moi bien : ce n’est pas leur positionnement politique stricto sensu que j’ai fini par haïr, après tout, il m’arrive de trouver des gens « sympas » de pratiquement tous les bords politiques. Engueulez-moi si vous voulez mais, dans le camp adverse, j’ai une petite affection pour Bayrou, par exemple. Je crois que c’est un type bien, comme on dit. Ah, on sera probablement jamais membres du même parti, mais j’aime les gens cultivés (il l’est), propres sur eux (il le paraît), aux véritables convictions (il me semble). C’est quelqu’un, divergences politiques mises à part, qui m’inspire confiance, avec qui j’aurais envie de discuter un brin. Oui, je sais, je peux me tromper, mais en attendant, c’est comme ça.
Eux par contre... plus jamais. Non, ce qui me débecte chez eux, c’est leur façon d’être, leurs façons de faire, ce sentiment, à l’origine diffus mais qui a pris corps, qu’ils ne sont jamais ce qu’ils prétendent être (qui n’est déjà en soi pas toujours reluisant). Ce sentiment que tous leurs propos (notamment pré-électoraux) sont contrôlés par une partie de leur cerveau qui a coupé tout contact avec la partie qui contrôle leurs faits et gestes.
Ils sont si peu regardants qu’ils n’ont même pas changé le nom de leur parti. Ou alors ils le gardent sciemment dans un objectif inavoué. Lequel ? Faire perdre un maximum de crédibilité au mot « socialiste » ? Attirer le gogo de passage ? Pour ratisser large ? Peut-être qu’ils n’y prêtent même plus attention. Peut-être ne l’ont-ils même pas remarqué. Peut-être se rachètent-ils une sorte de bonne conscience, comme un ivrogne qui prendrait sa carte à Alcooliques Anonymes ? Toujours est-il que « mystère ».
Les soupapes sociétales du Capitalisme
Il y a des années, j’ai lu une interview de Noam Chomsky où on lui demandait quelle était la différence entre le Parti Démocrate et le Parti Républicain. Sa réponse (de mémoire) fut laconique : « le sexe ». Il faisait le constat que sur pratiquement tous les domaines, les positions du Parti Démocrate et du Parti Républicain se recouvraient. Le seul domaine – à l’époque – où existait encore une véritable distinction était les questions de sexualité (homosexualité, notamment) et d’une manière générale, tout ce qui concernait la sphère de la vie privée. La position plus « progressiste » du Parti Démocrate faisait qu’il était plus ou moins soutenu par tout un aréopage de mouvements progressistes qui s’accrochaient à ces questions face à un Parti Républicain nettement plus conservateur. On trouvait donc dans le sillage du Parti Démocrate, des mouvements de libération divers et variés, les milieux culturels et médiatiques, ainsi que Hollywood, etc. Pour tout le reste, rien ne pouvait réellement distinguer le Parti Démocrate du Parti Républicain. Chomsky faisait même remarquer que, du point de vue historique, ce sont plutôt des Démocrates qui déclenchent les guerres et les Républicains qui les arrêtent (les choses ont changé depuis).
Toujours est-il que pour aboutir à une fusion idéologique totale, il suffisait que le Parti Républicain franchisse le Rubicon en quelque sorte, c’est-à-dire qu’il abandonne son homophobie, par exemple. Mais que les Républicains franchissent ou non le Rubicon importait peu en réalité dans la mesure où – encore une fois – les deux partis avaient la même politique. Mieux encore, la position sociétale réactionnaire du Parti Républicain pouvait même être utile au système en donnant l’impression d’une alternative, d’une véritable opposition entre deux camps qui s’étripaient avec d’autant de virulence que leur accord sur pratiquement tous les autres sujets était total.
Il s’ensuit que, puisque le parti au pouvoir et le parti dans l’opposition étaient d’accord sur la politique économique, sociale et internationale, le champ de discussion se trouvait de plus en plus rétréci, pour la plus grande satisfaction des pouvoirs économiques et politiques en place. A ma droite, un bon vieux parti bien « réac » (et encore), à ma gauche, un parti « progressiste » (et encore). Chez l’un et l’autre, la même servilité au système. A l’extérieur, réduits au silence et exclus des médias et du champ « réaliste » et « raisonnable » du débat, tout ce qui pouvait remettre en cause la distribution du pouvoir et des richesses.
La main-mise idéologue du capitalisme devenait ainsi totale, grâce aux questions sociétales qui opèrent comme une soupape de sécurité sans pour autant remettre en cause les rapports de pouvoirs. En France, selon moi, la dernière soupape en date fut le mariage pour tous, qui a permis le passage en toute discrétion de l’abominable ANI.
Notons au passage qu’il me semble qu’il ne reste plus beaucoup de « soupapes sociétales ». L’interdiction de quelques groupuscules d’extrême-droite ? Le vote des étrangers, peut-être ? Et après ? Pas grand chose. C’est pour vous dire que si vous ne pensez pas que l’heure est grave, le Capitalisme, lui, doit commencer à en être convaincu.
Ah si, il reste au Capitalisme une grosse soupape, son joker, son va-tout : le Front National. " Nan, jamais", pensez-vous. Alors réfléchissez à ceci en pensant à ce qui précède : le Front National est plus probablement plus proche du pouvoir qu’on ne le pense en général, car il lui suffirait de "franchir le Rubicon" sur quelques questions sociétales (nous avons vu que ça mangeait moins de pain que les étrangers) pour que sa fréquentabilité explose et que les appels incantatoires contre son racisme et sa xénophobie perdent leurs derniers pouvoirs de résistance. Gageons que s’ils organisaient un gay-pride à la fête bleu-blanc-rouge, Libération trouverait Marine Le Pen métamorphosée et très "in". Je sais, c’est triste, mais comme ça. En tous cas, si j’étais à la tête du Front National, c’est ce que je ferais, avec un petit clin d’oeil à la base pour leur faire comprendre que c’est "pour du faux".
La proximité idéologique entre le PS et la Droite n’empêche nullement la confrontation. On pourrait même dire que plus les idéologies se ressemblent, plus la confrontation se doit d’être exacerbée et « théâtralisée » pour justifier son appartenance à une des équipes tenants du système en place – sinon, à quoi bon avoir plusieurs partis ? Une confrontation qui relève plus de supporters de foot se bagarrant entre eux qu’à de véritables enjeux de société. La confrontation peut donc être virulente et sincère, tout en paraissant ridicule aux yeux des passants et des spectateurs non concernés. Deux camps de supporters qui se battant pour leurs équipes respectives, le tout au nom d’un même sport joué avec les mêmes règles. Et il n’est pas dit qu’ils ne s’unissent le temps de tabasser un fan de basket qui passerait par là.
Une dérive qui rétrécit le champ du débat
Observons à présent un phénomène : la dérive droitière du PS, à l’instar de son courroie de transmission la CFDT, s’opère au fur et à mesure que la crise du capitalisme et du libéralisme économique s’amplifie, ce qui constitue en soi un étrange paradoxe. Qui peut sérieusement croire que plus de droite résoudrait une crise fondamentalement de droite ? Les caciques, porte-voix, idéologues, etc, du PS ne sont ni des « pragmatiques » ni des « réalistes » mais des médecins de Molière. S’il fallait démontrer que le PS n’a jamais été (ou n’est plus, comme vous voulez) de gauche, ce simple constat suffit en lui-même, car qui rallierait l’idéologie adverse au moment même où cette dernière est malmenée ?
Pour ceux qui n’ont pas compris l’ampleur de la dérive, je les invite à interrompre leur lecture de ce texte et de (re)lire le Programme Commun de gouvernement, signé par le PCF, le PS et les Radicaux de gauche et qui date de 1972. Un des partis signataires était un parti "de centre-gauche".
C’est ainsi que la dérive du PS provoque le même rétrécissement du champ de discussions, la même exclusion du champ du « raisonnable » et du « réaliste ». A tel point que la question des (re)nationalisations de certaines entreprises est devenue une question littéralement taboue, y compris (et surtout ?) au PS. C’est comme si la porte de discussion se refermait derrière le PS au fur et à mesure qu’il dérive de plus en plus à droite.
Et j’appelle à la barre des témoins l’actualité récente, qui vient de révéler comment la véritable gauche se faisait désormais étiqueter de « extrême ». Etre de gauche aujourd’hui, c’est être « extrême ». Le piège tendu depuis des années est donc en train de se refermer, et la caution politique et morale de ce piège n’est ni plus ni moins que le PS.
Alors partons d’un constat : le Parti Socialiste est aujourd’hui plus à droite que la droite que nous combattions jadis, et que nous traitions de « réactionnaires » même et, allez, pendant qu’on y est, de « facho ». Oui, on était jeunes, on était beaux, on sentait bon la lutte des classes.
Une dérive en forme de chantage
Cette dérive s’opère par une manœuvre relativement simple : plus la droite se droitise, et plus le PS peut se droitiser, tout en prétendant être plus « à gauche » (ou « moins à droite ») que la droite officielle... A tel point que c’est devenu apparemment sa seule raison d’être (Qui a oublié la mémorable campagne du PS en 1986 qui n’avait comme argument sur ses affiches que « Au secours ! La droite revient ». Tu parles.)
Cette dérive soulève évidemment la question suivante : jusqu’où ? Question qui s’adresse en réalité plutôt à nous qu’au PS. Après tout, si le PS a envie de dériver, qu’il dérive - et nous agiterons des mouchoirs sur le quai en proférant des « Adieu », des « Farewell » et des « Vaya con Dios » (personnellement, j’opterai pour « crève charogne », mais vous n’êtes pas obligés de me suivre).
Parce que nous n’avons jamais tracé de ligne (celle que nous aurions tracée jadis si nous avions su), celle-ci se trouve déjà très loin derrière nous...
Cette question est d’autant plus importante pour nous que le PS entraîne dans cette débâcle tous ceux qui sont accrochés à lui par ces liens qu’on appelle la « discipline républicaine » et le « vote utile »... Accrochés, à l’instar d’un parachutiste qui tombe en vrille et qui n’arrive pas à décrocher le parachute défectueux... A moins de couper la lanière et de prier que le parachute de secours veuille bien s’ouvrir. Manœuvre qu’il faut évidemment effectuer avant qu’il ne soit trop tard.
Une élection après l’autre, la « discipline républicaine » et le « vote utile » auront été les passe-droits d’un Parti Socialiste qui n’aura même pas eu au passage la reconnaissance du ventre. Fort de son chantage systématique d’être « un moindre mal », fort de la véritable impunité dont il a bénéficié au cours de toutes ces années, il est devenu comme tous ceux qui estiment n’avoir de comptes à rendre à personne – ni à la population, ni aux militants qui se sont sacrifiés pour l’amener là où il est. Et s’il ne nous crache pasouvertement à la figure, c’est uniquement parce qu’il sait qu’après une élection, il y en aura une autre, puis une autre... et à chaque fois rebelote.
Ce qui soulève une question brûlante : qu’allons-nous faire de ce parti ?
Cette pénible sensation de courir dans l’eau
Appeler à voter Hollande au second tour pour dégager Sarkozy, ça c’est une décision tactique. Les décisions tactiques valent ce qu’elles valent, elles sont prises ou pas et le cours des événements suit le plan, ou pas. Pas de quoi se crêper le chignon. Le vote utile et la discipline républicaine tactiques sont des outils parmi d’autres, qui ne sont ni à jeter ni à sacraliser. Mais lorsque la discipline républicaine et le vote utile deviennent systématiques, totalement prévisibles donc, et par conséquent inconditionnels, cela devient une stratégie. Et une stratégie, ça se discute. Et le cas échéant, ça se change. De préférence avant qu’il ne soit trop tard. Sinon, on finit par appliquer la discipline républicaine et surtout le vote utile pour apporter des voix à des candidats que appliquent une politique nettement plus à droite que la droite pour laquelle « jamais au grand jamais » nous n’aurions apporté la moindre voix...avant.
La droitisation du PS couplée à la discipline républicaine et le vote utile nous droitise à notre tour – puisque nous apportons nos voix à un parti de plus en plus à droite. Se distancer verbalement du PS, tout en accompagnant électoralement sa dérive, ne fait qu’amplifier le grand écart entre nos discours et nos actes (un des reproches que nous faisons au PS, justement).
La première étape consisterait à arrêter de se raconter des histoires : non, le PS ne changera pas. Et pourquoi changerait-il ? S’il devait changer, ce serait parce qu’il estimerait qu’il n’aurait plus le choix et non pas parce qu’il en aurait envie ou qu’il y croirait ou qu’une lueur bleutée serait tombée du ciel pour l’envelopper d’un halo de béatitude progressiste. Et si malgré tout, il changeait, ce serait dans sa nature et fidèle à ses manœuvres de changer « juste ce qu’il faut » pour désamorcer la crise de confiance. Il changerait pour une question de survie d’appareil, pour pouvoir encore et encore profiter de la discipline républicaine, du vote utile, de son image de moindre mal, tout en préparant la Nième trahison, donc la Nième déception, donc la Nième fuite des électeurs vers quelque chose de « différent ».
Le PS ne changera pas pour une question de principes ou d’idées, parce que si ce parti était capable de principes ou d’idées, il ne serait pas le PS dont on parle et je ne serais pas en train d’écrire ceci.
Des générations entières de militants (y compris du PS, faut-il le préciser), les forces vives du changement, ont été épuisées et s’épuisent encore à tenter de faire gagner une "gauche" en compagnie d’un PS dont la nuisibilité et la nuisance sont établies.
Autant se battre pour une cause et contre un adversaire peut se révéler une activité stimulante, autant jouer à ce numéro de « je t’aime, moi non plus » avec un PS cocufieur est une activité épuisante et démotivante. Combien de temps encore allons-nous nous épuiser à tenter de courir dans l’eau ?
Et pour ceux qui ont encore des doutes sur les limites de cette dérive, rappelons au passage que lors des dernières élections au Venezuela, le « socialisme » a préféré se rallier derrière Capriles, le candidat d’extrême-droite - ce qui constitue une position assez récurrente des partis dits socialistes à travers le monde.
Avant qu’il ne soit trop tard
Ceux qui pensent ou espèrent que la gauche pourrait profiter du discrédit du PS sur-estiment la culture politique de la population – nourrie en majorité à du TF1. Car le PS est, aux yeux de la très grand majorité, un parti de gauche, point barre. Vous et moi sommes de gauche. Donc nous sommes « comme le PS ». Alors, à moins de bien faire comprendre que nous ne sommes en rien « comme le PS »... Comment ? D’abord en le faisant savoir et, surtout, en le faisant bien comprendre. A la France, et aussi au PS. De préférence avant qu’il ne soit trop tard.
Commençons par nous débarrasser définitivement de la « discipline républicaine » et du « vote utile » stratégiques. La discipline et le vote s’appliqueraient désormais au coup par coup, candidat par candidat, circonscription par circonscription, en considérant le bilan et les votes à l’Assemblée Nationale de chacun. Qu’avons-nous à perdre ?
C’est sûr, nous aurions dû réagir plus tôt, et plus vigoureusement, mais nous sommes comme celui qui souffre d’une rage de dent et qui ira « demain » chez le dentiste. Hier, c’eut été un plombage. Aujourd’hui, ce sera une couronne. Demain...
Avec un PS posé comme un verrou sur la porte menant à tout véritable changement, nous n’avons que trois options :
1) trouver la clé
2) faire sauter le verrou
3) défoncer la porte.
Du point de vue historique, il me semble que la première option est définitivement perdue et que nous sommes actuellement très précisément devant la deuxième. Quant à la troisième, que répondre, à part « en attendant le rapport de forces nécessaire » ? D’ailleurs, c’est pas moi qui le dit, c’est l’Histoire. Généralement, elle sait de quoi elle parle, même lorsqu’elle bégaie.
Viktor Dedaj
« marre de jouer à pierre-feuille-ciseaux avec le PS »
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