lundi 15 avril 2013
Le doute et la défiance
Le doute et la défiance
La rupture est-elle consommée, en France, entre le peuple et les élites ? Assurément, ce n'est pas la publication du patrimoine des ministres, ce matin, qui va éteindre l'incendie allumé par l'affaire Cahuzac. Les Français savent parfaitement que la transparence n'est pas un gage de probité : elle favorise les plus habiles des menteurs et fait le miel des plus malins manipulateurs.
Dans le meilleur des cas, l'opinion publique restera dubitative sur les intentions et la vérité de la démarche. Dans le pire, assez probable, cet étalage offrira matière à de nouveaux doutes, à des rumeurs, à des jalousies. La plus grande des fautes de l'ex-ministre du Budget, c'est d'avoir, par son mensonge, avalisé l'idéologie du soupçon généralisé, qui dévore comme un cancer le pays et ruine toutes les tentatives de redressement.
Le soupçon n'est pas né avec l'affaire Cahuzac. Il vient de plus loin et déborde la sphère politique au sein de laquelle il frappe à droite et à gauche. Avec la crise dessubprimes qui a éclaté en 2007 aux États-Unis et a rapidement contaminé la planète, ce sont les élites économiques ¯ acteurs et analystes ¯ qui ont vu s'effondrer leur crédibilité. Les uns avaient pris des risques inconsidérés, fascinés par l'appât du gain, les autres n'avaient rien vu, rien compris.
La crise bancaire européenne actuelle ne fait qu'aggraver les choses. Les affaires qui ont éclaté dans les industries agroalimentaires et pharmaceutiques s'ajoutent à des niveaux de rémunérations choquants de certains dirigeants ou hauts cadres d'entreprise pour faire tomber le discrédit sur le secteur privé alors que le chômage atteint des niveaux historiques !
En 2005, l'échec du référendum français sur le Traité européen manifestait que l'Europe était entrée dans une crise de confiance majeure. Le plus grand projet mondial, à la fois politique, économique et culturel, de la seconde moitié du XXe siècle avait perdu sa force d'entraînement ! Le « non » traduisait un doute profond sur la qualité des élites européennes.
Même les responsables spi-rituels n'y échappent pas. La confiance dans l'Église catholique a été profondément atteinte par les actes pédophiles commis par des prêtres et trop longtemps couverts par leur hiérarchie, jusqu'à ce que le pape Benoît XVI ne redresse la barre. Tout récemment, les raisons, certes moins graves, qui ont conduit à la mise en congé du grand rabbin de France, Gilles Bernheim, font planer un doute sur la sincérité de ceux qui sont en charge non pas des biens, mais des âmes, dont on attend plus encore qu'ils soient irréprochables...
La méfiance qui s'étend rend plus difficile la lutte contre le chômage, car elle paralyse l'esprit d'entreprise, et privilégie la dénonciation d'éventuels coupables sur la recherche de solutions. Elle divise, là où il faudrait rassembler. Elle pousse à l'affrontement, là où il faudrait réunir les forces et les intelligences, pour coopérer. Son arithmétique irrationnelle est implacable : les doutes ne se retranchent pas les uns des autres, ils s'ajoutent, se renforcent et se multiplient.
« Tous pourris » ? Certes non. Mais l'ombre du doute ne fait pas le tri des justes et des injustes. Elle moissonne sans discrimination. Dans le passé, de telles situations ont conduit à des déflagrations politiques et internationales majeures. Il faudra bien plus qu'une problématique transparence pour regagner la confiance. Au moins faudrait-il que les citoyens ordinaires aient le sentiment que les élites ne sont pas exemptes du sort commun. On en est loin.
(*) Éditeur et écrivain.
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