Lundi soir se tenait sur France 2 l’émission hebdomadaire « Mots croisés », présentée par Yves Calvi. Petit florilège.
Hier, le thème de l’émission abordait une problématique centrale, qui mérite l’attention attentivement attentive de l’ensemble des citoyens éclairés, des politiques, des intellectuels de tout bord. La crise ? Non ! Le chômage de masse ? Non ! La viande de cheval bien sûr ! Parmi les invités de cette palpitante émission, Benoît Hamon, Ministre de la consommation, et Périco Légasse, journaliste et chroniqueur gastronomique (le mari de Natasha Polony, pour ceux qui lisent la rubrique people des journaux).
jeudi 14 février 2013
Mots croisés/affaire Findus : l’inutilité de Benoît Hamon, les bêtises de Périco Légasse
À ce moment, il est légitime d’avoir une pensée émue pour notre Ministre. Benoît Hamon, ancien Président du Mouvement des Jeunes Socialistes, considéré comme appartenant à « l’aile gauche du PS », a certainement dû imaginer, lors de ses débuts en politique, qu’il allait essayer de changer le monde. Réduire la pauvreté et les inégalités, apporter plus de Justice dans ce monde imparfait, organiser la prospérité, etc. Des buts tout à fait louables, même si les lecteurs assidus de Contrepoints savent que les méthodes qu’il emploie pour cela n’obtiendront jamais les résultats escomptés. Mais voilà, la politique étant à présent ce qu’elle est, Benoît Hamon s’est retrouvé, à partir de 23h et pendant deux longues heures, à débattre sur le fait qu’un obscur fournisseur roumain s’est amusé à remplacer du bœuf (de la vache, en réalité, des bœufs il n’y en a plus) par de la vieille carne hippique. Il a donc joué le rôle qu’il pouvait, c’est-à-dire celui de protecteur du peuple outragé, en affirmant que « les contrôles allaient être renforcés » pour que cela ne se reproduise plus, que « le Gouvernement allait être vigilant », et que d’ailleurs une réunion de crise s’était tenue aujourd’hui entre membres du gouvernement, représentants de la filière incriminée et associations de consommateurs. Ce qui, traduit en langage courant, signifie que le Gouvernement fera semblant de s’intéresser à ce problème tout le temps que durera la polémique, avant qu’un autre scandale ne balaie cette éphémère actualité.
Mais la palme de la bêtise, il faut quand même le dire, revient sans conteste à Périco Légasse. Pour lui, le coupable est tout trouvé : « L’Europe néolibérale », accusation répétée plusieurs fois tout au long de l’émission. Inutile de revenir sur le terme néolibéral, qui est décidément utilisé partout mais défini nulle part. Ce qui n’est pas surprenant lorsqu’on sait qu’il n’a aucune signification pertinente, puisqu’il s’agit d’une invention des antilibéraux pour attaquer le soi-disant libéralisme dérégulé que l’on a pourtant bien du mal à observer. Le raisonnement de Périco Légasse est le suivant : les institutions européennes organisent la concurrence inéquitable entre les pays, et cette concurrence pousse les prix vers le bas au point que, forcément, les fournisseurs sont conduits à tromper le consommateur en remplaçant les ingrédients des plats préparés par des composants de basse qualité pour augmenter leurs marges. À cet instant, plusieurs éléments peuvent, en quelques lignes, être mobilisés pour montrer que M. Légasse n’a absolument rien compris à ce qu’il raconte.
D’une part, l’existence de la PAC, 40% du budget européen, dont la France est la première bénéficiaire, ne consiste rien de moins qu’à perturber durablement la logique de marché en subventionnant les agriculteurs de pays à hauts salaires qui sont amenés à produire des quantités bien plus grandes que le marché ne peut absorber. Subventions dont on ne sait pas très bien si elles contribuent réellement à moderniser l’agriculture mais qui conduisent à des gaspillages certains (lire l’article à ce sujet). Difficile de trouver là une quelconque inspiration libérale.
D’autre part, si l’on poursuit la logique de Périco Légasse, la solution serait donc de relocaliser l’ensemble de la filière agroalimentaire. Mais, sans compter le fait qu’on ne voit pas très bien comment cela serait possible sans méthode très coercitive, il est difficile d’imaginer que cela permettrait de limiter ce genre de fraude. En effet, le renchérissement des coûts, confronté à la volonté légitime des consommateurs de limiter leur budget alimentation ne pourrait conduire qu’à augmenter encore la tendance des fournisseurs mal intentionnés à tromper leurs clients.
Enfin, le sous-entendu principal des affirmations péremptoires de M. Légasse consistait à dire que les industriels de l’agroalimentaire ne sont « que des banquiers » (une « insulte » qui en dit long sur le sérieux du personnage), uniquement intéressés par l’argent, et prêts à empoisonner le consommateur pour quelques euros de plus. Pourtant dans cette affaire, ce sont bien les « banquiers » (qui curieusement, tiennent à leur réputation) qui ont découvert le pot-aux-roses, ourdi par le producteur roumain. Enfin Yves Calvi fera remarquer à juste titre que bien que l’affaire fasse des remous, elle n’est pas représentative des centaines de millions d’autres produits écoulés chaque année sans le moindre problème.
Et c’est bien là le danger de ce type d’émissions. En invitant des personnes qui ne cessent de s’exprimer sur des sujets qu’elles maitrisent peu, on en vient au syndrome du « gros micro mou. » Un pseudo-journaliste qui s’improvise économiste lance ces banalités au mieux sans aucun fondement, au pire véritablement dommageables si elles étaient appliquées au pied de la lettre. Le téléspectateur lambda, qui n’a pas forcément les outils nécessaires pour prendre du recul par rapport à ces affirmations, pensera peut-être que M. Légasse ne fait qu’avancer des idées de bon sens. Malheureusement, c’est tout le contraire.
En mot de conclusion, la journaliste de Libé Laure Noualhat, également invitée, reprenait les mots du philosophe Jacques Ellul : « Je veux moins de complexité, de technicité » ; « il faut remettre de la simplicité dans ce monde ». Hier, à "Mots croisés", oui-oui était de sortie.
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