Les négociations furent dures, les tractations âpres et longues, mais le résultat est là : le syndicat de patrons et les syndicats de salariés ont finalement trouvé vendredi soir un accord visant à relancer l'emploi. Et cet accord fut trouvé juste avant que l’État n'intervienne, ce qui aurait immanquablement marqué le début d'une opération de carpet bombing juridique qui se serait terminé dans un bain de sang économique. Maintenant, y a-t-il réellement de quoi se réjouir comme le fait toute la presse ces derniers jours ?
Déjà, à partir du moment où la presse semble unanime sur un sujet, c'est qu'il existe probablement une bonne et solide raison de craindre le pire. L'impression est confirmée lorsque les appareils syndicaux signataires se félicitent eux-mêmes de l'accord trouvé et que
le MEDEF déclare, entre deux rots d'une digestion rendue difficile par de capiteux nectars engloutis pendant ces pénibles réunions d'apparat, déclare benoîtement :
"Les partenaires sociaux ont placé la France en haut des standards européens en matière de marché du travail et de relations sociales. L'accord auquel ils sont parvenus est tout sauf un accord a minima."
Dans le fond, on entend nettement les gens lucides pouffer amèrement, sentant qu'en définitive, la facture leur sera adressée : imaginer que la France puisse, avec un accord syndical, se retrouver du jour au lendemain "en haut des standards européens en matière de marché du travail et de relations sociales", c'est une façon assez phénominable de se moquer du monde en dolby surround. Et il n'y a pas besoin de faire appel aux deux éternels non-signataires des gaudrioles syndicales, FO et CGT, émanations momifiée d'un syndicalisme du 19ème siècle, qui n'hésitent évidemment pas à dire tout le mal qu'ils pensent de ces vilains accords signés sans eux.
En pratique, il suffit d'éplucher les propositions phares qui se dégagent des discussions pour comprendre que la France sociale et salariale va continuer de trotter allègrement dans la mauvaise direction et qu'elle vient d'ajouter une paire d'enclumes supplémentaires à ses chevilles déjà bien encombrées.
Par exemple, quel organe de presse ne déverse pas des brouettées de louanges lorsqu'il s'agit d'évoquer les mutuelles collectives ? Le nouvel accord imposera en effet qu'au plus tard le 1er janvier 2016, toutes les entreprises devront en proposer une et prendre la moitié du coût en charge. Et bien évidemment, ceci est présenté comme une avancée magnifique et extraordinaire pour le salarié français, voire une victoire personnelle de Hollande. malheureusement, si l'on peut éventuellement minimiser le coût de la mesure en se disant qu'une mutuelle d'entreprise ne sera pas trop chère et permettra une meilleure couverture des salariés, force est de constater que cela reste tout de même une charge supplémentaire pour les entreprises, et une décision collective de plus imposée au salarié ; ce dernier n'y trouvera pas systématiquement son bonheur, loin s'en faut.
Encore une fois, tout montre qu'on a troqué une part de liberté des entrepreneurs et des salariés pour une sécurité collective imposée. Comme il s'agit d'un mouvement global de la société française, personne n'y trouvera à redire, mais le malheur socialiste est justement fait de ces micro-compromissions qui aliènent toutes un peu plus l'individu. Accessoirement (et ça, personne n'en parle), si l'on pousse aussi vigoureusement les mutuelles d'entreprises, c'est bien devant l'état catastrophique de l'assurance maladie de base dont les cotisations augmentent à mesure que la couverture et la qualité se réduisent comme peau de chagrin.
Un autre point de cet accord, qui a d'ailleurs pas mal focalisé l'attention, est le principe d'une
taxation des contrats courts, qui prévoit de porter les cotisations employeurs à l'assurance chômage de 4 à 7% pour les contrats d'une durée inférieure à un mois et à 5,5% pour ceux d'une durée comprise entre un et trois mois, avec quelques exceptions (CDD de remplacement, contrats saisonniers et CDD d'un salarié ensuite en CDI). En contrepartie, un contrat à durée indéterminée conclu pour l'embauche d'un jeune de moins de 26 ans serait exonéré des cotisations d'assurance chômage pendant une durée de trois mois, s'il se poursuit au-delà de la période d'essai.
L'idée est ici transparente : inciter les entreprises à embaucher des jeunes en contrats longs, et notamment en défavorisant les contrats courts. On retrouve la même idée avec les temps partiels : il ne devrait plus être possible de proposer un contrat de travail inférieur à 24 heures par semaine.
Cependant, comme la raison intrinsèque (difficultés à licencier lorsque le candidat ne convient finalement pas ou plus au travail, nécessaire adaptation de la masse salariale à l'activité, qui n'est pas toujours cyclique ou saisonnière) qui pousse les entreprises à recourir aux contrats courts n'a été modifiée qu'à la marge, on peut s'attendre à un changement très pastel dans les comportements des entrepreneurs à ce sujet.
De surcroît, l'ensemble du dispositif revient de facto à accroître le coût des contrats courts pour l'employeur. Tant que ce coût reste inférieur au bénéfice retiré par une embauche, on peut espérer que les CDD continueront de fleurir. Dès lors que ce n'est plus le cas, on peut s'attendre non pas à un basculement sur des CDI ; c'est, certes, le rêve humide de nos constructivistes syndicaux, mais c'est évidemment contraire à la bête logique économique, le CDI restant encore bien plus contraignant que le CDD. À l'évidence, à force d'ajouter des coûts (sociaux ou financiers) sur le CDD, ceux-ci s'approchent du moment où l'embauche n'aura tout simplement pas lieu du tout. Le nombre de chômeurs va donc mécaniquement augmenter, sous les pleurnichements de nos syndicalistes des deux bords (patronat et salariat) qui ne comprennent pas que les grands accords génériques ainsi pondus ne conviennent absolument pas à faire retrouver la moindre souplesse au tissus économique français qui a besoin, en pratique, d'exactement le contraire.
On peut ajouter à ces fausses bonnes surprises le fait qu'au-dessus de 9 licenciements économiques, l'entreprise devra engager un plan de sauvegarde de l'emploi. Youpi ! Plus de paperasserie, voilà qui réjouira évidemment le futur entrepreneur qui sommeille (pour ne jamais se réveiller) chez les Français les plus inconscients.
C'est donc devant ce mélange de bricolages hasardeux et de bonnes intentions dont on doute qu'elles pourront, à elles seules, redresser les courbes de l'emploi en France, que toute la presse applaudit plus ou moins chaudement les syndicats pour avoir enfin réussi à trouver un terrain d'entente. Mais ce n'est évidemment pas le plus triste. Parce que l'accord signé et ratifié par le Parlement (voilà qui promet encore quelques péripéties juteuses), l'application de ces textes promet quelques grands moments de flous : entre les juges des prud'hommes souvent
souples et intelligents et une inspection du travail
bien finaude qui ne manquera pas d'oublier de se mettre à la page, on sait déjà que la moindre souplesse que ce texte aurait pu envisager d'introduire dans un code du travail pléthorique sera en pratique enfouie sous des monceaux de jurisprudence au mieux contradictoire et indécise, au pire farouchement opposée.
Il faut se résoudre à l'évidence : les accords syndicaux donnent une assez bonne image de la vie sociale et de l'emploi en France. Des décisions sont prises en petit groupe, qui descendent de très haut, impliquent tout le monde (qu'il soit d'accord ou pas), et viennent s'empiler à des pratiques, des jurisprudences et des codes déjà touffus que personne n'ose seulement dépoussiérer. Je vois mal une victoire ou une avancée quelconque dans cette nouvelle strate de complexité.
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