lundi 10 décembre 2012
À l'écoute
À l'écoute
Une interlocutrice se faisait, tout récemment, cette remarque étonnée : « C'est bizarre : plus on communique et moins on s'écoute ! »
Paradoxale, en effet, cette situation dans laquelle voisinent un
tsunami de communications et un sentiment de mortelle solitude. La peur
d'être seul porte à être en permanence relié à son réseau et une simple
heure de déconnexion finit par donner l'impression de ne plus exister.
On estime à une centaine le nombre des textos et messages SMS envoyés
chaque jour par les plus jeunes. Ce qui fait un bon rendement horaire,
au risque de provoquer des tendinites du pouce ! Un signe : pour la
première fois, cette année, j'ai dû prier certains de mes étudiants
d'éteindre leurs écrans le temps du cours. Leur esprit était ailleurs.
Mais plus se multiplient les messages et plus s'accroît, dans bien
des cas, le sentiment de solitude qui pousse alors à les surmultiplier
jusqu'à la pathologie addictive. « Jamais seul », telle est la devise
qui vire en fait à la complète illusion. La raison en est simple : on
émet des informations sur un mode plutôt simplifié, on parle et on
entend, mais on n'échange guère et cela, au fond, parce qu'on ne
s'écoute pas.
N'exagérons pas : ce n'est pas un problème que l'on découvre aujourd'hui. Lorsque Plutarque estimait au IIe siècle que « le commencement du bien-vivre, c'est de bien écouter » et que Pasteur, au XIXe, ajoutait « guérir parfois, soulager souvent, écouter toujours »,
ils signalaient un problème universel. Mais à l'heure actuelle, il
s'est notoirement aggravé, dans la vie ordinaire comme dans le monde du
travail, privé et public.
Un rapport remarqué de Lachmann, Larose et Pénicaud - « Bien-être et
efficacité au travail » (février 2010) - souligne, parmi ses
propositions d'amélioration, l'urgence de « redonner de la place à l'écoute sur les lieux de travail », d'instituer, « à côté des managers, des responsables des ressources humaines de proximité » et de réserver « du temps au dialogue au sein des équipes ». Ce qui fait écho aux intuitions du sociologue Michel Crozier dans son ouvrage de 1989, L'entreprise à l'écoute.
Il y a, sans nul doute, un apprentissage technique de l'écoute. Il
demande la mise en oeuvre de savoirs adaptés. Mais rien ne se passe tant
qu'on ne comprend pas qu'elle est d'abord une affaire de disposition de
l'être tout entier dans sa relation à autrui. Une forme d'hospitalité
supposant de laisser disponible, en soi-même, un espace de résonance
pour sa parole. Pas d'écoute possible sans cet « après vous » que l'on
dit au passage d'une porte, sans cette capacité à se taire pour entrer
en vraie sympathie attentive à ce qui se dit et justifie d'être à son
tour entendu.
Hemingway a exprimé cela : « J'ai beaucoup appris en écoutant attentivement. La plupart des gens ne sont jamais à l'écoute. » Et le théologien Maurice Bellet va encore plus loin lorsque, à propos d'un ami psychanalyste, il écrit : « Cet homme n'a fait que m'écouter, et pourtant, c'est de lui que j'ai reçu l'essentiel. » Étonnant.
Et c'est parce que cette disposition est assez rare qu'il faut
exprimer notre gratitude à celles et ceux qui, soit par métier, soit par
engagement associatif, se donnent pour mission d'être « à l'écoute ».
Avec ici une pensée toute particulière pour SOS Amitié, qui vient de
couronner son action, discrète et si indispensable, par une troisième
journée nationale sur le thème « Face à l'exclusion, l'écoute ».
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