L'amateur aux destin de la France..... |
D'où la question qui doit faire peur à chacun désormais : qui va payer ces "centaines de millions" que le gouvernement doit trouver tout à trac pour faire la paix avec le monde de l'entreprise ? L'idéal serait que ce coût soit compensé par de nouvelles économies sur les dépenses de l'Etat, mais vu les conditions délicates dans lesquelles se sont passés les derniers arbitrages budgétaires (qui ont fâché Cahuzac avec la plupart des ministres dépensiers), cela paraît peu probable. Les dindons de la farce risquent donc d'être d'autres contribuables, sur qui sera prélevé le montant nécessaire pour tenir les comptes du budget dans l'épure prévue. D'autres mauvaises surprises fiscales sont donc à attendre cet automne, d'autant qu'entre l'Assemblée nationale et le Sénat, la navette va faire durer le suspense jusqu'à la fin de l'année. Le dernier juge de paix sera, dans les derniers jours de décembre, le Conseil Constitutionnel, qui a déjà adressé un carton jaune à la majorité de gauche lors de l'adoption du collectif budgétaire en juillet. En effet, le Conseil Constitutionnel, où siègent une majorité d'hommes politiques de droite, dont en principe les trois anciens présidents de la République (Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Chirac et ... Nicolas Sarkozy), sous la présidence de Jean-Louis Debré, a prévenu le gouvernement qu'il n'acceptera pas de dispositions fiscales ayant un caractère « confiscatoire », menaçant donc de les faire annuler.
Confiscatoire, c'est bien ainsi que les entrepreneurs ont jugé la décision du gouvernement de plus que doubler, à 64,5% dans certains cas, la taxation des plus-values lors de la cession des parts de leur société. D'où leur révolte, au motif qu'une telle taxation du capital les désinciterait à créer des entreprises en France et ce au détriment de la croissance et de l'emploi en France. Ils ont fait valoir que la nouvelle économie internet a déjà permis de créer 750.000 emplois en dix ans en France et constitue un réservoir de croissance pour l'avenir, en raison de la rapidité des changements dans ce secteur.
Le ministre du Budget a fait une autre déclaration, à peine croyable, dans "Le Monde" : « je ne pensais pas que ce que nous proposerions serait à ce point peu compris et mal interprêté ». Un spécialiste de la fiscalité comme Jérôme Cahuzac, ancien président de la commission des finances de l'Assemblée nationale et lui-même chef d'entreprise (puisqu'il a fondé une clinique de chirurgie esthétique), est pourtant bien placé pour comprendre ce qu'il y avait de choquant dans la mesure proposée dans le projet de loi de finances qu'il a lui-même concocté. Si le gouvernement a fait dans ce dossier des erreurs de communication, il n'a à s'en prendre qu'à lui-même. Aligner la taxation du travail et du capital est peut-être juste sur le principe, mais dans ses modalités, le diable se cache toujours dans le détail. Le ministre du Budget reconnaît d'ailleurs être en difficulté sur le caractère rétroactif de sa mesure, censée s'appliquer au 1er janvier 2012. « Budgétairement, remettre les compteurs à zéro au 1er janvier 2013 serait plus intéressant (...) Mais, à l'égard des investisseurs, tenir compte de la durée de détention serait plus loyal », ajoute-t-il. Plus loyal ? Comment mieux dire que dans cette affaire, le ministère des finances ne l'a pas été, en cherchant des recettes en apparence faciles, provoquant l'inquiétude de tous les (de plus en plus rares) « investisseurs. Auront-ils encore envie de le faire en France dans des conditions fiscales aussi incertaines et rocambolesque ? Conscient qu'il y a là un vrai sujet, le président de la République a d'ailleurs promis d'assurer la stabilité fiscale à partir de 2014. S'il parvenait à assurer la stabilité du projet de loi de finances 2013, ce serait déjà bien...
Et ce n'est pas fini. Cette affaire a affaibli considérablement la capacité d'action de François Hollande. Sa majorité, déjà réticente à accepter de voter le traité budgétaire européen qui installe l'austérité pour cinq ans en France, a du mal à comprendre comment le président a pu céder aussi rapidement et facilement devant une mobilisation de patrons sur internet. Le président court désormais le risque de voir se lever face à lui tous les mécontements que suscite sa politique fiscale. Après les entrepreneurs du net, les petits patrons et les professions libérales sont à leur tour en train de se mobiliser contre le tsunami de hausse de charges sociales qui s'apprête à s'abattre sur eux. Difficile dans ces conditions de convaincre que la France va prendre le tournant de la compétitivité.
Le gouvernement est par ailleurs très divisé sur la suite des réformes. Faut-il vraiment engager un choc de compétitivité, comme le réclament les patrons de l'automobile. En se fermant la piste de la TVA sociale, Hollande n'a plus d'autres voies que la hausse de la CSG et/ou de la fiscalité écologique. Or, même en contrepartie d'une baisse des charges patronales (qui ne seront guère répercutées dans une hausse des salaires ou une baisse des prix, sinon cela ne changera rien aux marges des entreprises), la perspective d'un fort relèvement de la CSG n'enchante guère dans les rangs de la majorité.
Enfin, le dernier dégât collatéral de la révolte des "Pigeons" est syndical et social. La CGT, qui avait appelé les salariés à manifester ce mardi "pour l'emploi et l'industrie" afin de faire pression sur le gouvernement alors que le chômage explose, n'en attendait sans doute pas tant. Son leader, Bernard Thibault s'est déjà engoufré dans cette brêche pour dénoncer une politique qui cède aux revendications des patrons, mais pas à celles des salariés... Jean-Claude Mailly, chez FO, a lui-aussi estimé que "le gouvernement recule bien facilement". "Une pétition sur internet et il recule. On va voir si socialement c'est la même chose, quand il y aura des problèmes", a-t-il ajouté.
François Hollande est donc pris entre deux feux. D'un côté, le divorce se creuse avec le monde de l'entreprise, obligeant le Medef à hausser le ton. Il est déjà loin le temps où fin août, le gouvernement et le patronat "roucoulaient" de concert à l'université d'été du Medef. Laurence Parisot, qui est d'autant plus virulente qu'elle a pris le train des "Pigeons" en marche avec retard, parle de "racisme anti-entreprise" de la part du gouvernement et évoque ouvertement un risque d'exil fiscal de la part des créateurs d'entreprise et des dirigeants. Elle s'oppose aussi de plus en plus ouvertement à Arnaud Montebourg dont elle dénonce l'interventionnisme social. Dernier sujet de conflit ouvert : la loi Montebourg sur la cession de sites rentables, qui est qualifiée par le Medef de casus-belli.
Et de l'autre côté, les syndicats montent en pression contre une réforme du marché du travail qui ferait la part trop belle à la flexibilité demandée par le patronat, et se montrent à leur tour de plus en plus revendicatifs dans un climat social tendu par la multiplication de plans sociaux très emblématiques du déclin industriel de la France (PSA, Arcelor...).
Une croissance en panne, un pays divisé, des réformes difficiles et courageuses à mettre en place avant la fin de l'année, un gouvernement sans état de grâce et qui donne des signes d'amateurisme.
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