La crise est un bon moment pour faire un examen de
conscience. Si une guerre éclatait aujourd'hui en Europe, y aurait-il
quelqu'un prêt à mourir pour les idées de Schuman ou pour la méthode
communautaire de Monnet ?
Projet politique élitiste
Les Américains ont leur Rêve et lorsqu'ils ils tiennent dans leur main le billet d'1 dollar avec George Washington, ils font partie de ce rêve, par-delà les préférences politiques, le statut social, ou l'endroit où ils sont nés. Un Allemand ou un Français ne ressent rien de semblable en serrant entre ses doigts un billet de 5 euros. Peut-être est-ce ainsi parce que le "rêve européen" a été imaginé par les pères de l'Europe, qui en ont fait un projet politique élitiste.Le rêve européen n'a jamais été le rêve des Européens. Et pourtant, nombreuses sont les réussites européennes qui ont fait notre fierté : notre système de santé universel, l'Etat-providence, une économie de marché contenue par des rênes sociales, et cet attachement absolu à la liberté d'expression. Tout cela nous unit plus que ne nous divisent nos différences liées à la langue, la tradition, l'histoire, le niveau de vie, ou notre rapport au travail. L'Union européenne a son propre drapeau et son hymne, mais il n’y a pas une opinion publique, un gouvernement, ni même un vrai journal européens.
Et il n’y en aura probablement jamais. Parce que les Allemands comme les Polonais et les Espagnols ne cesseront jamais d'être des Allemands, des Espagnols et des Polonais, s’occupant principalement des problèmes de l'Allemagne, de la Pologne et de l'Espagne. L'heure des Etats-Unis d'Europe n’a pas sonné. La "fédération d'Etats-nations", dont parle José Manuel Barroso, est déjà en large partie une réalité, mais acceptons une fois pour toutes que nulles sont les chances pour une véritable fédération en Europe. Au lieu de rêvasser, essayons de rendre l'UE aux citoyens, transformons l'Union européenne en union des Européens.
Fin en soi
Il nous faut redécouvrir le sens du vivre ensemble. L’argument selon lequel l'UE assure la paix et la prospérité sur le continent depuis des années, bien que vrai, ne suffit plus aujourd'hui. Une nouvelle réforme, introduite par un nouveau traité, ne pourra pas sauver l'Union. L'intégration ne peut pas être une fin en soi. L'intégration doit servir les citoyens. Les Européens ont aujourd'hui besoin de la protection sociale, d’emploi et d'un contrat précisant à quoi doit ressembler la solidarité européenne, ne serait-ce qu’à travers le budget de l'UE. Parler de l'avenir de l'Union, c'est parler de toutes ces choses-là.Par conséquent, des slogans rabâchés par des responsables politiques européens tels que "plus d'Europe" doivent se traduire par des résultats tangibles : plus de travail (le chômage des jeunes dans l'UE dramatiquement élevé), plus d'égalité des chances, plus de contrôle sur les banques, sur les établissements financiers et les gouvernements dont la politique irresponsable a largement contribué à la crise de la dette.
Les appels pour "plus d'Europe" ne doivent pas occulter la question de savoir si l'actuelle crise a enterré pour toujours le modèle européen de l'Etat-providence, ni celle de ce qui nous attend à la place. Ou mieux encore, ce que nous voulons construire en Europe à la place. Comment remplacer un système qui, pendant plusieurs décennies, a assuré la prospérité et la paix sociale en Europe occidentale et auquel ont tant aspiré les Polonais ?
Les réponses à ces questions ne peuvent être formulées uniquement dans le secret des cabinets, ni, pire encore, être la conséquence aléatoire des batailles menées contre la crise par des eurocrates et des dirigeants lors de sommets pour "sauver l'euro".
Le meilleur endroit sur terre
L'absence du débat sur l'avenir de l'Union européenne ne relève pas de la seule responsabilité des hommes politiques, mais aussi du manque d'intérêt élémentaire pour l'Europe dans les pays membres. Il existe des pays européens, comme l'Allemagne, où la Cour constitutionnelle sait rappeler avec insistance la nécessité d'un débat sur l'Europe. Toutefois, dans les pays où les problèmes européens semblent moins urgents, car ils ne se chiffrent pas en milliards d'euros dépensés pour sauver la zone euro, l'absence de débat risque de rendre l'Union toujours un peu plus éloignée.L'Union politique, fiscale, bancaire ... Traduire ces termes dans la langue des citoyens ordinaires, en montrant l'impact de ces réformes sur le futur marché de travail, sur les chances de réussite pour les jeunes, ou sur la façon de gérer l'argent des contribuables, n'est pas une tâche facile. Mais c'est un devoir pour les responsables politiques. Car ce sont avant tout les citoyens européens qui doivent décider des changements à venir et assumer les risques d'erreurs. Le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, vient d'adresser aux 27 gouvernements des questions précises relatives à la réforme institutionnelle de l'Union.
La plus grande menace de l'Union n'est ni la crise de la dette, ni le populisme anti-européen, ce qu'ont bien démontré les dernières élections aux Pays-Bas, où le pragmatisme a bel et bien vaincu la rhétorique de haine de Geert Wilders. L'Union sera réellement en danger et n'aura plus de sens quand les gens n'y croiront plus. Chacun d'entre nous devrait se poser la question cardinale : qu'est-ce que l'Union représente pour lui et pourquoi veut-on qu’elle survive ?
Nous sommes une communauté d'un demi-milliard de personnes vivant dans probablement le meilleur endroit sur terre. A l'occasion des élections au Parlement européen en 2014, cela vaudrait peut-être la peine de demander aux Européens s'ils veulent rester ensemble, ou s'ils préfèrent aller chacun de leur côté. Nous sommes plutôt sereins quant au résultat d'un tel référendum.
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