lundi 6 août 2012
Croissance contre austérité : un faux clivage que la gauche a réussi à imposer à la droite
Le vrai combat idéologique devrait plutôt concerner les partisans de la dépense à ceux de la réforme...
Souvenez-vous : il y a tout juste 8 mois, le
Parti Populaire européen se réunissait à Marseille lors d’un Congrès
extraordinaire et célébrait une nouvelle victoire électorale, celle de
Mariano Rajoy et de son Partido Popular. A ce moment-là, la droite (PPE
ou conservatrice) était au sommet de l’Europe : en décembre 2011, seuls quatre pays de l’UE restaient gouvernés par la gauche,
avec ou sans participation de la droite (Chypre, Autriche, Lettonie et
Slovénie, cette dernière basculant à droite début 2012 suite à une
élection assez confuse, alors même que la Belgique se dotait d’un
Premier ministre socialiste).
Le problème, comme
tout coureur cycliste le sait, c'est que toute montée appelle une
descente – et lorsqu’on a atteint le sommet, il n’y a qu’une seule
direction possible. Et c’est ainsi que, sans grande surprise, le début de l’année 2012 s’est montré particulièrement difficile pour la droite en Europe,
avec une débâcle électorale en Slovaquie (où le parti SMER de Robert
Fico a obtenu la majorité absolue des sièges au parlement face à une
droite en pleine déconfiture), un premier basculement à gauche en
Roumanie avec la sortie peu glorieuse d’Emil Boc, une défaite courte
mais sans appel de Nicolas Sarkozy face à François Hollande, et les
difficultés de Néa Dimokratía à former un gouvernement en Grèce, avec en
prime une pression de plus en plus forte d’une extrême gauche en plein
essor.
Et la deuxième partie de l’année ne
s’annonce pas mieux, avec des élections en Lituanie (parlement) qui
s’annoncent très difficiles et un scrutin sénatorial en République
tchèque qui pourrait mettre la coalition actuelle de droite en
difficulté, tandis que la droite roumaine vit en ce moment même une
période critique, entre le référendum sur l’impeachment du Président
Basescu (prévu le 29 juillet) et l’éclatement possible du PDL si les
élections parlementaires du mois de novembre se terminent par une
déroute pour la droite.
Bref, les prochains mois
s’annoncent difficile pour la droite européenne, et c’est somme toute
logique : si l’on excepte le cas particulier de la Grèce, la droite perd
aujourd’hui avant tout par une volonté d’alternance démocratique de
l’électorat, après de nombreuses années de domination de la droite.
Là où le bât blesse, c’est que la gauche européenne a très rapidement compris l’avantage qu’elle pouvait tirer en donnant un ton idéologique à ses victoires.
D’où la dichotomie dont la presse française (dont l’orientation à
gauche est connue bien au-delà des frontières hexagonale) nous rabat les
oreilles depuis quelques mois : on parle déjà d’un basculement de
l’ensemble de l’Europe à gauche (alors qu’on en est encore loin), mais
aussi et surtout d’une victoire plus générale, celle de la
« Croissance » contre l’ « Austérité ».
L’histoire est belle, si belle pour des idéologues de
gauche habitués à tant de déroutes intellectuelles depuis trente ans.
Ainsi donc, le rêve d’un New-New Deal se réaliserait, avec une vraie
gauche taxant-et-dépensant à tout va pour sauver une croissance mondiale
mise à mal par les plans d’austérité de la droite, et surtout avec la
renaissance tant attendu du keynésianisme ou du socialisme pour sauver
le capitalisme de lui-même.
Le discours est beau,
tellement beau que Barack Obama, en difficulté dans les sondages à
quelques mois du début de la campagne présidentielle, s’est empressé de
relayer, faisant appel au bon sens des Américains pour faire confiance à
son plan de croissance face aux coupeurs de budget du parti républicain
(avant de se rendre compte qu’il était beaucoup plus efficace de taper
sur le passé de Mitt Romney pour assurer sa réélection).
Le problème dans cette belle histoire, c’est que la
gauche utilise cette dichotomie croissance vs. austérité comme d’une
arme de propagande pour acter une victoire idéologique qu’elle est
actuellement loin d’avoir gagné. Et la réalité est loin de
confirmer ce contraste droite-gauche : d’abord, contrairement aux idées
reçues véhiculées un peu partout, la droite européenne ne voit pas
l’austérité comme une fin, mais bien comme un moyen pour assainir les
finances publiques et créer le climat de confiance nécessaire pour un
retour à la croissance.
A ce titre, il est
d’ailleurs intéressant que, face aux mesures de « croissance »
(comprenez « dépenses ») proposées par Francois Hollande, Angela Merkel a
donné son feu vert, à condition que les bénéficiaires s’engagent à un
paquet de réformes structurelles douloureuses mais majeures pour rendre
leurs économies plus compétitives. Fait assez peu relevé dans les médias
hexagonaux, Paris a répondu à Berlin par une fin de non-recevoir.
La
réalité, c’est qu’aujourd’hui le vrai contraste qui existe en Europe,
c’est celui de la compétitivité, et force est de constater que la
division Nord-Sud a remplacé la division Est-Ouest que nous connaissions
jusqu’à présent. Le vrai problème de l’Europe, ce n’est pas l’austérité
ou la « croissance », c’est qu’alors que nous faisions l’Euro, le Nord
du continent s’est lancé dans un effort souvent difficile de
restructuration et de refonte du système économique pour améliorer sa
compétitivité, alors que l’Europe du Sud, empêtrée dans ses
contradictions et un mode de gestion extrêmement conflictuel, est restée
accrochée à un modèle où l’équilibre économique se faisait par
dévaluations (avant 2000) et montages financiers (après 2000).
Aujourd’hui, la belle cigale Europe du Sud appelle à l’aide, et l’austère fourmi du Nord accepte de l’aider sous condition.
Pour une partie de la gauche du continent (et surtout
la gauche latine), c’est bien cette réalité qui est inacceptable : d’où
l’idée de proposer le mythe de la gauche défenseure de la prospérité
pour masquer une réalité bien moins glorieuse : à défaut d’avoir trouvé
son New Deal, la gauche Européenne se croit pro-croissance là où elle est pro-dépense.
Sous prétexte que l’argent est là, en Europe du Nord, il doit être
utilisé pour un nouveau plan de relance qui sauvera les pays du Sud du
continent et apportera la croissance.
Le seul
problème, c’est que cette politique de dépense à tout va a déjà été
essayée entre 2008 et 2009, avec le résultat que l’on sait : à l’époque,
d’énormes plans de relance ont certes maintenu l’activité pendant
quelques mois, mais ont aussi et surtout creusé déficits abyssaux et
déclenché crise de la dette que nous connaissons actuellement).
Le
fait est là : une politique de dépenses sans limites aujourd’hui
n’aurait aucun effet positif à moyen terme, car nous ne sommes pas en
1929, mais en 2012, et parce que la crise européenne actuelle ressemble
beaucoup plus à la «décennie perdue» du Japon dans les années 1990
(décennie au cours de laquelle le pays a dépensé des fortunes en
politiques de relance sans aucun autre effet que de multiplier sa dette
jusqu’à la rendre incontrôlable) qu’à celle l’occident de 1929 ; à ceci
près que nous savons maintenant que certains pays (pays scandinaves,
Allemagne, Pologne, etc.), certains secteurs (le secteur automobile
américain par exemple) ont déjà montré la voie.
Certes,
ces réussites se sont faites au prix d’efforts parfois très durs
(restructuration de l’ensemble de l’ex-RDA en Allemagne, réformes
douloureuses en Occident, changements complets de méthodes de travail
dans l’industrie automobile US), mais le résultat est là, et il est
impossible de le nier.
La question, la
vraie, n’est donc pas un combat entre « la croissance » de gauche et
« l’austérité » de la droite, mais bien entre le retour de « la
dépense » et « la réforme ». Si la droite veut retrouver le
chemin de la victoire dans les urnes, elle devra ramener le débat sur ce
deuxième terrain, car elle n’a aucune chance en se complaisant dans un
débat politique où elle aurait laissé l’avantage moral à la gauche. À ce
titre, les performances des Républicains aux Etats-Unis à l’automne ou
de Høyre en Norvège pourraient être fort instructives pour la droite
européenne.
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