Alors que les commémorations de la disparition de Marilyn Monroe
il y a cinquante ans saturent l'actualité médiatique, le risque est de
voir l'essentiel – son talent inné d'actrice – aspiré dans le flot des
célébrations d'une trajectoire unique souvent résumée à quelques tags unanimement reconnus : icône pop, sex-symbol, légende hollywoodienne, mystère entourant sa mort et tutti quanti.
L'une des pires injustices rendues au talent de la comédienne demeure
néanmoins ce cliché qui voudrait que l'ex-mannequin ait trouvé dans ses
multiples poses pour des séances photos la liberté et la part créative
qu'elle n'a jamais pu obtenir sur un plateau de tournage. Si une part du
mythe de Marilyn repose effectivement sur sa prodigieuse photogénie, où
s'exprime et se cristallise une puissance de séduction à nulle autre
pareille, le jeu de l'actrice dans ses films est révélateur d'un génie
d'une tout autre ampleur.
Il faut revoir ces films où Marilyn n'a pas encore explosé comme sex-symbol universel, de son rôle de baby-sitter détraquée dans "Troublez-moi ce soir", d'une incandescence noire, à ses irruptions merveilleuses dans "Quand la ville dort" de Huston, "Eve" de Mankiewicz ou "Chérie je me sens rajeunir" de Hawks. Il révèlent déjà la nature même, étincelante, impétueuse et sauvage, du jeu de Marilyn : une présence qui détonne et fait éclater la fiction, pure aura de fraîcheur et de sensualité qui dérègle les limites du cadre et de la mise en scène.
Le miracle de la présence de Marilyn à l'écran est indiscutable, il y a en elle une évidence qui échappe à tout contrôle et touche à ces notions primitives d'apparition et de ravissement qui remontent à la source du cinéma : c'est la facette la plus connue d'un jeu qui trouvera dans les films de Billy Wilder ("Sept ans de réflexion" et surtout "Certains l'aiment chaud") son apothéose. À l'image de la mythique séquence où Marilyn enlace Tony Curtis ("Don't fight it. Relax."), rien ne résiste à ces mimiques, à cette voix, à ces gestes, à cette énergie qui affole tout ce qui se trouve dans son champ d'action.
Il y a un autre aspect, moins évident, du jeu de Marilyn : celui-ci tient à sa volonté névrotique de sortir des rôles comiques, ingénus et sensuels de blonde évaporée pour aller vers la profondeur. De la même manière qu'elle s'entraînait de manière olympique pour se perfectionner en chant ou en danse à ses débuts, on sait que la star célébrée dans tous les magazines people de la planète a tout fait pour muscler son rapport à l'art et à la culture par la suite.
Bricoler dans l'inconnu
Le résultat de cette démarche, suite à son passage à l'Actor's Studio dans la capitale "intellectuelle" new-yorkaise (où elle se liera pour toujours avec le couple Strasberg), pousse l'icône populaire vers des interprétations plus théoriques ou techniques (à l'image de son personnage dans "Bus Stop") et révèle surtout, au delà de son côté actrice-née, un rapport obsessionnel à une forme de maniérisme très sophistiqué.
Tout le génie de Marilyn se tient dans cet écart entre le naturel pur et cette sophistication capable des plus délicates nuances. Un film comme "Les Désaxés" de Huston, dans lequel l'actrice joue avec ses propres fêlures (le film ayant été écrit par son mari d'alors, Arthur Miller), est d'autant plus bouleversant qu'il porte à son paroxysme le mystère qui entoure le jeu tout de magie, de ruptures et de bizarrerie de Marilyn.
On y retrouve cette spontanéité et cette mélancolie qui se consument dans une sorte de cauchemar éveillé, mais aussi une manière de bricoler dans l'inconnu, en tâtonnant entre l'improvisation émotionnelle et la méthode hystérique de l'Actor's Studio qui allait bientôt envahir Hollywood. Toute la modernité du jeu de Marilyn Monroe trouve là un degré de grâce presque insupportable de beauté. Il était peut-être dit, dès ce tournage funeste et saturé de malédictions, que le génie dramatique de Marilyn ne se remettrait pas d'un tel sommet.
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