Même dans la Russie de Vladimir Poutine, même dans ce pays tenu d'une main plus que ferme, depuis douze ans, par l'ancien colonel du KGB soviétique, les scénarios les mieux verrouillés peuvent déraper.
Et c'est peu dire que le scénario du règne sans fin de Poutine et des siens paraissait déjà écrit, il y a trois mois encore. Président de 2000 à 2008, premier ministre depuis, faute de pouvoir briguer un troisième mandat d'affilée, l'homme fort de Moscou s'apprêtait à retrouver la plénitude du pouvoir après quatre années d'un interlude assuré par son homme lige, Dmitri Medvedev.Depuis trois semaines, pourtant, c'est une tout autre histoire qui s'esquisse. Le 4 décembre, contre toute attente, c'est un sévère désaveu que les électeurs ont infligé au tandem Poutine-Medvedev, dont les candidats à la Douma enregistraient une baisse de 15 points dans les urnes. Malgré une propagande omniprésente et des fraudes massives.
Le 10 décembre, quelques dizaines de milliers de manifestants contestaient ces résultats frelatés. Le 24 décembre, vingt ans presque jour pour jour après la disparition de l'Union soviétique, ils ont protesté, plus nombreux encore, sur l'avenue Sakharov, à Moscou. Le Kremlin misait ouvertement sur un essoufflement de la colère populaire. C'est l'inverse qui s'est produit. Il y a quinze jours, les manifestants protestaient contre les fraudes électorales. Dimanche, ils ont contesté directement Poutine et son régime "d'escrocs et de voleurs".
Comme l'a martelé Garry Kasparov, ancien champion d'échecs et opposant : "Le pouvoir a peur parce que nous n'avons plus peur." Sans doute est-ce beaucoup dire. Pour l'heure, en effet, cette opposition paraît encore bien fragile face à la "verticale du pouvoir" poutinien. Disparate, elle rassemble des forces très hétéroclites. Hormis pour contester le Kremlin, l'on imagine mal libéraux, conservateurs, communistes ou ultranationalistes capables de se mettre d'accord sur une alternative.
A l'exception peut-être d'Alexeï Navalny, l'avocat blogueur et rageur acclamé dimanche à Moscou, elle ne dispose pas d'un champion capable de rivaliser avec Vladimir Poutine. Enfin, elle n'a pas de stratégie évidente et a prudemment renvoyé à la mi-janvier, après les fêtes du Noël russe, le moment de dessiner la suite qu'elle entend donner au mouvement.
Il n'empêche : le pouvoir sans partage érigé depuis 2000 par Poutine est au moins ébranlé, sinon menacé. S'il a encore le soutien de la population âgée et rurale et des bénéficiaires du système, le divorce paraît consommé avec la Russie plus jeune, formée et informée, des villes et des réseaux sociaux. Le "printemps arabe" a démontré que ce genre de divorce peut être fatal pour les autocraties.
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