"Et c’est vrai, ajoute Fotopoulos, sirotant une boisson énergisante qu’il fait passer avec un café. Nous allons continuer à manifester dans les rues parce que nous n’en avons pas fini avec le gouvernement et la troïka." C’est en ces termes qu'il fait référence aux trois bailleurs de fonds étrangers de la Grèce : le Fonds monétaire international, la Banque centrale européenne et la Commission européenne.
Le mois dernier, alors que la contestation basculait dans la violence, le Premier ministre Georges Papandréou est parvenu de justesse à faire passer au Parlement un nouveau train de mesures d'austérité, qui prévoient entre autres la vente d’actifs publics pour un montant de 50 milliards d’euros, une décision cruciale pour la refonte du secteur public pléthorique de la Grèce, assurent les économistes et la troïka.
Mais la capacité de Papandréou à mettre son plan à exécution dépend essentiellement de gens comme Fotopoulos. Son syndicat, Genop, représente les salariés de l'Entreprise publique d'électricité (DEI), détenue à la fois par le gouvernement et par des investisseurs privés. Le syndicat s’oppose fermement à la privatisation des services publics et est connu pour ses méthodes agressives. Les débrayages à la DEI ont entraîné des pannes d’électricité à répétition et auraient coûté entre 30 et 40 millions à la Grèce ces dernières semaines, d'après la société.
Le Genop a été créé par le parti socialiste au pouvoir
Genop est l’incarnation d’un problème particulièrement épineux pour Papandréou. Le syndicat a en effet été créé par le parti socialiste au pouvoir, lequel a contribué au fil des années à mettre en place ce système d’emplois contre des voix, favorable à la main d’œuvre, que le Premier ministre est aujourd’hui contraint de démanteler. Pour lancer les réformes, Papandréou va devoir frapper au cœur même de son propre parti. Or, reste à savoir s’il a les moyens, pour ne rien dire de la volonté de le faire.Le bras de fer avec les salariés de la compagnie de l’électricité et leur syndicat a un côté encore plus personnel pour lui. En 2007, Fotopoulos a soutenu Papandréou lors de son accession aux commandes du parti socialiste. Derrière son bureau, Fotopoulos montre des clichés où l’on voit Papandréou visitant les locaux de la DEI avec des syndicalistes. A côté se trouve une photo de Georges Papaconstantinou, actuel ministre grec de l’Energie et de l’Environnement, chargé, entre autres, de vendre un peu plus de la part du gouvernement dans l’entreprise.
Le gouvernement détient 51 % de la DEI et contrôle son conseil d’administration. L’Etat a vendu les 49 % restants lors d’une privatisation partielle en 2000. Fotopoulos explique que le syndicat avait soutenu la désignation de Papandréou à la tête du parti socialiste en 2007 parce qu’il avait l’air "plus abordable, plus chaleureux, plus proche et plus soucieux de nos problèmes." "Nous le respectons toujours, en tant qu’homme politique et en tant que personne, poursuit-il, mais nous pensons que cette politique est barbare et qu’elle est contraire aux intérêts du peuple grec."
Pour bon nombre d’analystes, la proximité du parti socialiste avec le syndicat est un signe annonciateur des difficultés auxquelles le gouvernement devrait se préparer avec la privatisation de l’entreprise prévue en 2012.
Contrairement à d’autres entreprises publiques grecques, l’opérateur d’électricité est rentable et a rapporté 557 millions d’euros à l’Etat sur ses 5,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2010. Les analystes redoutent toutefois une baisse de la profitabilité en raison d’incertitudes réglementaires et surtout du poids des syndicats.
Nombreux sont ceux pour qui la question n’est pas seulement de se séparer d’une entreprise d’Etat, mais surtout de transformer le secteur public grec. "Il ne s’agit pas de gagner de l’argent mais de changer de culture", explique Panagis Vourloumis, ancien responsable d’OTE qui détenait un monopole sur les télécommunications grecques sous le précédent gouvernement de centre droite.
Une "caste" protégée et surpayée
Les privatisations sont particulièrement mal perçues par une opinion publique qui craint une liquidation des biens de l’Etat et applaudit les initiatives de Genop et d’autres syndicats. Mais alors que l'écart se creuse entre employés du secteur privé et du secteur public, de plus en plus de Grecs considèrent les salariés de l’opérateur d’électricité comme une caste particulièrement protégée et surpayée. D’après Fotopoulos, les 21 000 membres du Genop gagnent en moyenne 1 396 euros par mois et ses 35 000 membres retraités touchent une pension de 1 497 euros, soit bien plus que la moyenne nationale."Les syndicats sont pires que les politiques, déplore Theodoros Yiannopoulos, vendeur ambulant dans le centre d’Athènes. Ils vont dans des hôtels cinq étoiles en Europe et ils envoient la facture ici."
Il fait allusion à un rapport communiqué il y a peu par l’inspecteur de l’administration publique grecque, qui conclut que depuis les années 80, la PPC a versé à Genop plus de 22 millions d’euros, essentiellement pour du "tourisme social" ou des vacances subventionnées — mais aussi pour financer des manifestations contre la société elle-même, une évolution surréaliste qui symbolise parfaitement les intérêts croisés indémêlables dont Papandréou peine tant à se dépêtrer.
Pour Fotopoulos, ce rapport s’inscrit dans une "campagne de calomnie". Il affirme que les subventions faisaient partie des accords négociés entre l’entreprise et le syndicat. D’autres estiment que l’affrontement est autant politique qu’économique. "Pour les politiciens, le plus grand défi est de croire qu’il y a quand même un avenir sans les syndicats", déclare Takis Athanasopoulos, qui a vécu de rudes affrontements avec Genop quand il occupait les fonctions de président de la DEI sous le gouvernement précédent.
Alors qu’il répond à nos questions au téléphone, brutalement, la ligne est coupée — suite à un débrayage orchestré par Genop.
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