TOUT EST DIT

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vendredi 8 juillet 2011

Cameron-Murdoch, les liaisons dangereuses

Les révélations se succèdent sur les écoutes pratiquées par le tabloïd britannique News of the World. Elles pourraient affaiblir le Premier ministre David Cameron, très proches de la coterie sociale du baron de la presse Rupert Murdoch, note le principal commentateur politique du Daily Telegraph. 

Tous les premiers ministres connaissent un tournant dans leur carrière. Ils ou elles finissent par commettre une erreur fatale, dont il est impossible de se remettre. Pour Tony Blair, il s’est agi de la guerre en Irak, et de l’incapacité à découvrir des armes de destruction massive. Pour John Major, ce fut le Mercredi Noir, et l’expulsion de la livre Sterling du système monétaire européen. Harold Wilson a quant à lui vu sa réputation torpillée par la dévaluation de la livre en 1967.
A chaque fois, le schéma est étonnamment semblable. Avant, on est face à un nouveau dirigeant dynamique et intègre sur lequel reposent tous les espoirs de la nation. Après, on se retrouve avec un Premier ministre qui peut chanceler pendant des années, de plus en plus compromis : c’en est fait à jamais de son aura d’enthousiasme et de confiance.
David Cameron est aujourd’hui confronté exactement à une crise de cet ordre. La succession de révélations écœurantes au sujet de ses amis et relations au sein du groupe News International de Rupert Murdoch a durablement et irrévocablement porté atteinte à sa réputation. Jusqu’à maintenant, on pouvait affirmer sans grand risque que Cameron s’appuyait comme il convient sur des valeurs solides. Malheureusement, cette assertion ne tient plus. Car il a commis non pas une, mais toute une série d’erreurs de jugement personnelles et chroniques.

Des amitiés compromettantes

Jamais il n’aurait dû engager Andy Coulson, le rédacteur en chef de News of the World, comme directeur des communications. Jamais il n’aurait dû entretenir de liens avec Rupert Murdoch. Et — la pire erreur de toutes — jamais il n’aurait dû devenir l’ami de Rebekah Brooks, directrice exécutive du géant des médias News International, dont la disgrâce et le départ de l’entreprise ne sont plus qu’une question de temps.
Cameron s’est laissé entraîner dans une coterie au milieu de laquelle personne de respectable ne souhaiterait être vu, même mort, a fortiori un Premier ministre britannique. On les appelait la bande de Chipping Norton, cohorte incestueuse de Londoniens interlopes, riches, obsédés par le pouvoir et sans aucune moralité, qui gravitait parmi les conservateurs de l’Oxfordshire. Brooks et son mari, l’ancien entraîneur de chevaux de course Charlie Brooks, vivent dans une maison à guère plus d’un kilomètre de la résidence locale de David et Samantha Cameron. Les deux couples se rencontrent souvent, et ont continué à le faire même après que le scandale des écoutes téléphoniques a éclaté.
Matthew Freud, entremetteur dans les relations publiques, qui a épousé la fille de Murdoch, Elisabeth, fait lui aussi partie de la bande de Chipping Norton. Quand Cameron est tombé sur Freud au mariage de Rebekah Brooks il y a deux ans, les deux hommes se sont joyeusement tapé dans la main, comme pour mieux afficher leur amitié exclusive.
Le Premier ministre, en guise de défense, ne peut prétendre s’être retrouvé en toute innocence au milieu de ce cercle. Il a été prévenu — à maintes reprises. Peu de temps avant les dernières élections, d’aucuns lui ont fourni des détails explicites sur les gens qu’il fréquentait. Alan Rusbridger, rédacteur en chef du Guardian, s’était entretenu avec l’un des plus proches conseillers de Cameron. Il l’avait très précisément mis en garde contre Coulson, lui soumettant nombres d’informations troublantes qui ne pouvaient alors entrer dans le domaine public. Puis Rusbridger avait contacté Nick Clegg, aujourd’hui vice-Premier ministre. Par conséquent, tant Cameron que Clegg, le Premier ministre et son vice-Premier ministre, savaient tout de Coulson avant les négociations sur la formation de la coalition en mai dernier. Et pourtant, ils l’ont nommé directeur des communications de Downing Street.
Le Premier ministre est donc dans la mouise. Pour le dire de façon plus imagée, il est même dans le caniveau. Reste à savoir maintenant s’il va réussir à s’en extraire et à sauver au moins une partie de sa réputation d’honnêteté et de bon sens. Car cet épisode pourrait être fatal. Que doit faire David Cameron ? D’abord, il doit de toute urgence couper les ponts avec Rebekah Brooks. Pour l’heure, celle-ci affiche la même ligne de défense qu’Andy Coulson quand il était le principal conseiller du Premier ministre à Downing Street : elle ignorait tout de ce qui se tramait. Quand bien même nous accepterions cet argument (et il n’y a aucune raison que nous l’acceptions, avec tous les mensonges publiés par News International au cours de cette sordide saga), il ne tient pas. C’est bien Rebekah Brooks, d’abord comme rédactrice à News of the World et au Sun puis, aujourd’hui, comme directrice générale de News International, qui a fixé les règles. Des règles qui, comme chacun sait, étaient d’une abjection sans nom, et dont elle est largement responsable.

Une décision "nauséabonde"

Certes, il peut être dangereux pour Cameron de lâcher Rebekah Brooks. Elle pourrait en effet avoir accumulé beaucoup d’information sur le Premier ministre et les membres les plus en vue de son gouvernement, au cours de ces paisibles dîners de Chipping Norton mais aussi par d’autres voies plus pernicieuses. Rebekah Brooks est au pied du mur, et elle pourrait lancer son offensive. Mais c’est un risque que David Cameron doit prendre.
Ensuite, le Premier ministre doit répondre de ses actes. Il doit nous expliquer comment il en est venu à embaucher Andy Coulson, quelles vérifications ont été faites, quels conseils ont été pris. Une liste de ces rencontres mondaines pas si innocentes avec Rebekah Brooks doit nous être fournie. Pour l’heure, Downing Street garde aussi le silence sur les rencontres entre David Cameron et Rupert Murdoch, qui aurait été l’un des premiers à rencontrer après son entrée en fonctions comme Premier ministre. Là aussi, ces rendez-vous doivent être portées à la connaissance du public.
Il est essentiel que ces informations soient accessibles à tous, parce que le gouvernement de coalition a pris la semaine dernière une décision choquante : autoriser Rupert Murdoch à asseoir plus encore son monopole sur les médias britanniques en acquérant les 61 % de l’opérateur de télévision par satellite BskyB qu’il ne possédait pas encore. Cette décision a pris une odeur nauséabonde, et le gouvernement doit revenir dessus.
Hier, David Cameron a marmonné quelques phrases vagues sur une éventuelle enquête publique, montrant qu’il n’a pas encore pris conscience que le monde a profondément changé au cours des 48 dernières heures. Les révélations atterrantes, selon lesquelles des journalistes de Murdoch ont pu mettre sur écoute le téléphone de l’adolescente assassinée Milly Dowler et même ceux des familles de nos militaires tombés au combat, montrent que les pratiques illégales de News International ont atteint un nouveau niveau d’abomination.
David Cameron s’est laissé atrocement compromettre par ses liens avec News International et ses collaborateurs. Il doit de toute urgence retrouver la raison et la moralité qui avaient fait de lui un candidat si séduisant au poste de Premier ministre. Il doit saisir cet affreux scandale, qui est une humiliation pour tous les journalistes, comme une occasion unique de moraliser la vie publique en Grande-Bretagne. A en juger à ce qui s’est passé hier, notre Premier ministre, pourtant gravement affaibli, ne montre aucune véritable volonté dans ce sens.

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