(1) La vie privée en péril. Des citoyens sous contrôle, Odile Jacob, 2011.
lundi 30 mai 2011
Les parents et les « transparents »
Il n'est guère de semaine qui ne nous apporte une nouvelle technique de contrôle, de surveillance et de fichage au nom de la sécurité. J'ai ainsi découvert avec étonnement que mon appareil photo était équipé d'un GPS qui pourrait permettre de me suivre au gré de mes clichés. Aujourd'hui, presque toutes les entreprises de transport utilisent la géolocalisation. Et à terme, des puces électroniques placées sous la peau pourraient faire franchir une nouvelle étape dans le contrôle des individus. Déjà les nanotechnologies permettent d'envisager des dispositifs aussi gros qu'un grain de poussière, capables de voir, d'entendre et de communiquer à distance !
Quant à la vidéosurveillance en pleine explosion, nous en sommes, en France, à 600 000 caméras dont 45 000 publiques, loin, il est vrai, derrière la Grande-Bretagne dont les habitants sont filmés 300 fois par... jour. La tâche de surveillance par 4,5 millions de caméras est telle, que les particuliers sont invités à y participer moyennant prime, s'ils détectent des anomalies ou infractions.
Mais le plus inquiétant, c'est que cela paraît, aux yeux de beaucoup, et en particulier des jeunes nés dans cette culture, presque naturel et donc normal voire banal. Et pour trois raisons. Il y a, d'abord, le postulat selon lequel ce qui est commode est utile et donc bon. Ainsi du Pass Navigo, grâce auquel on entre dans le métro sans avoir à sortir sa carte, mais au prix d'un enregistrement du passage. Ainsi de la puce placée sous la peau, dans certaines boîtes de nuit, qui permet de consommer sans payer. Il suffit de passer l'avant-bras devant un lecteur.
Deuxième raison : l'axiome « Rien à se reprocher, rien à cacher », au nom duquel tout devient possible. Et enfin, ce qui inquiète le plus Alex Türk, le président de la Commission Informatique et libertés (1) : la perte du sens de la vie privée.
Dans la vie la plus ordinaire, conversations au portable infligées au voisinage dans les transports, avec les textes et images mis sur Facebook, Myspace ou Twitter. Un jeune sur cinq reconnaît s'être exhibé par « sextos », sur le Net ou par téléphone portable. 80 % des élèves de CM1 - CM2, soit 10-11 ans, sont usagers réguliers de Facebook.
Jean-Marc Manach, journaliste spécialisé dans les technologies de l'information et auteur de La vie privée, un problème de vieux cons ?, trace une ligne de partage entre les parents nés avant 1980 et les « transparents », les moins de 20 ans.
Comment expliquer les différences de perception ? D'abord par le fait qu'aujourd'hui, la vie intérieure et le retour sur soi ne sont guère encouragés ; l'extérieur et les séductions de l'apparence sont privilégiés. De surcroît, la vie privée est désormais tenue pour une vie sans contrôle - sous-entendu des parents et enseignants -, en sorte que l'espace public de Facebook apparaît plus « privé » que tout le reste, au prétexte qu'on peut s'y défouler. À ceci près, que les jeunes oublient, comme l'a souligné Bill Thompson, qu'« ils partagent plus de données, avec plus de gens, que le FBI de Hoover ou la Stasi, n'auraient jamais pu en rêver ».
Pour limiter la fracture entre la génération des parents et celle des « transparents », Alex Türk préconise une « instruction civico-numérique ». On ne peut que l'approuver.
(1) La vie privée en péril. Des citoyens sous contrôle, Odile Jacob, 2011.
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