TOUT EST DIT

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lundi 15 novembre 2010

L'illusion de la convergence fiscale franco-allemande


ce soir-là, la présidente du Medef, Laurence Parisot, en est restée bouche bée. Invitée à dîner, mardi 12 octobre, à Berlin, par le patron de l'industrie allemande, Hans-Peter Keitel, en compagnie de deux de leurs homologues européens, la Britannique Helen Alexander (CBI) et l'Italienne Emma Marcegaglia (Cofindustria), la Française venait d'évoquer la place prise, dans le débat économique en France, par le projet de convergence fiscale franco-allemande. « Pas une semaine ne passe sans que le sujet ne soit évoqué », venait d'expliquer une Laurence Parisot pleine d'espoir, ne s'attendant pas à moins d'enthousiasme côté allemand. Au lieu de cela, Hans-Peter Keitel écarquilla de grands yeux, comme s'il découvrait le sujet. L'anecdote en dit long sur le différentiel d'intérêt des deux pays. Or, pour converger comme pour se marier, il est préférable d'être deux…

C'est le premier obstacle au projet, et pas le moindre. En dépit de l'accord de principe donné à Paris, mercredi 21 juillet, par le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, il serait bien audacieux, outre-Rhin, de parler d'adhésion politique à cette idée française. Cette circonspection s'explique aisément tant il est difficile de voir ce que l'économie allemande pourrait avoir intérêt à emprunter à la fiscalité française. A vrai dire, la seule de nos réformes fiscales qui y ait suscité récemment une curiosité bienveillante est le triplement du crédit d'impôt recherche (CIR), lequel permet aux entreprises d'être remboursées par l'Etat d'une bonne partie (environ 30 %) de leurs dépenses de R&D.

Quoique les PME allemandes soient déjà des championnes de l'innovation, l'organisation patronale milite depuis quelque temps pour que l'Allemagne adopte un dispositif fiscal similaire au CIR. Pendant la campagne législative de 2009, la plupart des partis, exception faite de la gauche radicale (Die Linke), s'étaient ralliés à l'idée. Et, début octobre encore, la ministre de l'Education et de la Recherche, Annette Schavan, plaidait en faveur de l'introduction d'une forme de crédit d'impôt recherche. Toutefois, celle-ci reste peu probable dans un pays qui préfère traditionnellement aux réductions d'impôt non seulement des aides plus directes aux projets de recherche des entreprises, mais surtout un cadre accommodant pour l'innovation privée (qualification de la main-d'oeuvre, simplifications administratives…).

Côté français, la volonté de converger est indéniablement plus forte mais elle se heurte à de cruelles réalités. La première tient à la place de l'Etat de part et d'autre du Rhin. A première vue, l'écart des niveaux de prélèvements obligatoires n'est pas si considérable : 4 points de PIB environ, au détriment de la France (42 %). Mais, compte tenu de notre niveau d'endettement, qui n'est rien d'autre qu'un prélèvement déguisé, une distance deux fois plus grande sépare en réalité nos modèles fiscaux.

Celle-ci s'apprécie en comparant nos niveaux de dépenses publiques, puisque, comme le souligne Mathilde Lemoine, chef économiste de HSBC, « le premier rôle de la fiscalité est de les financer » : 8 points de PIB séparent en 2010 la dépense publique de la France (56 %) et de celle de l'Allemagne. Même si le niveau des prélèvements allemands devrait être majoré des cotisations aux régimes privés d'assurance-maladie, c'est dire combien il serait incongru de vouloir rapprocher notre pression fiscale de celle de notre voisin sans avoir au préalable réduit considérablement la place de l'Etat. Ainsi, avant de songer à aligner notre politique fiscale sur celle de l'Allemagne, la priorité serait de faire converger notre politique budgétaire avec celle du Royaume-Uni de David Cameron…

La deuxième cruelle réalité à laquelle se heurte cette curieuse ambition française tient à la différence radicale de nos modèles économiques. Certes, il serait caricatural de penser que, dans un cas - le leur -, la fiscalité encourage outrageusement le profit des entreprises dans une économie de l'offre, dédiée à la conquête de parts de marché, tandis que, dans l'autre - le nôtre -, elle favoriserait ouvertement le pouvoir d'achat des ménages dans une économie de la demande, soutenue par les incitations à consommer. Parce qu'elle n'est pas seulement quantitative, l'évaluation des avantages comparatifs s'équilibre parfois : l'Allemagne baisse l'impôt sur les bénéfices réinvestis, mais la France offre aux holdings un régime fiscal dit « mère-fille » sans équivalent.

En 2009 - avant la suppression de la taxe professionnelle -, la Commission européenne estimait le taux de taxation globale des entreprises à 34,6 % de ce côté du Rhin et à 28 % de l'autre bord (y compris la part régionale d'imposition des sociétés). Moins grand que ne le voit le Medef, l'écart reste significatif. La politique fiscale allemande est, comme sa politique budgétaire, taillée sur mesure pour un modèle de compétitivité à outrance, au demeurant non coopératif, qui n'est pas le nôtre. L'instauration d'une « TVA sociale » en 2007 est la suite par d'autres moyens de la compression des coûts salariaux dans les années 2000 et la délocalisation de centres de production industrielle peu qualifiée dans les années 1990.

Le fantasme d'une fiscalité à l'allemande participe, au fond, de notre vieux complexe à l'égard de notre puissant voisin. Nous en voudrions bien les avantages (des entreprises profitables), sans les inconvénients (une faible croissance des revenus). En attendant le rapport que remettra dans quelques mois la Cour des comptes, le plus probable est que ce projet contre nature se résume à l'allégement de l'impôt français sur la fortune et à la création de taxes sur les activités numériques. Ce ne serait déjà pas si mal, mais fallait-il l'habiller d'une si pompeuse ambition ?

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