TOUT EST DIT

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jeudi 7 octobre 2010


Kerviel : les raisons d'un verdict implacable
Pourquoi le tribunal s'est-il senti obligé de condamner aussi lourdement Jérôme Kerviel ? L'ancien trader qui a failli faire sauter la banque en janvier 2008 a écopé mardi de cinq ans de prison, dont trois fermes, et va devoir payer 4,9 milliards d'euros à son ancien employeur, la Société Générale. Une somme surréaliste, à la hauteur des engagements hallucinants pris par l'ex-trader sur les marchés -50 milliards en 2008. Certes, Jérôme Kerviel a bien commis des fraudes massives -il l'a d'ailleurs lui-même avoué. Certes, le jeune homme de trente-trois ans a promené au cours des trois semaines d'audience sa mine sûre de lui et exaspérante. Certes, enfin, les avocats de la Société Générale ont laissé entendre qu'au final la banque ne demanderait pas le recouvrement de cette somme faramineuse. Mais tout de même ! Pourquoi réclamer un tel montant à cet homme seul, ce « mister Nobody », au risque de le faire passer pour une victime du « système » ? Un rôle d'ailleurs que Jérôme Kerviel a immédiatement endossé, affirmant sur Europe 1 être « abattu » et « avoir le sentiment qu'on a voulu [le] faire payer pour tout le monde ». Il le sait et son avocat aussi : le public s'est approprié l'affaire Kerviel. Sur Internet, aux terrasses des cafés, tout le monde commentait hier la décision, pourtant extrêmement complexe, du tribunal correctionnel de Paris, prenant plutôt parti pour l'homme, contre la banque. C'est sans doute là le seul défaut de la décision Kerviel, mais il est fondamental : inattaquable sur le plan du raisonnement juridique, le jugement pèche à l'évidence par manque de pédagogie. La justice rate alors une de ses missions essentielles, celle de l'exemplarité du châtiment.


Pourtant, les juges auraient pu s'y attendre. Depuis le début, cette affaire hors norme est basée sur un énorme malentendu : penser que les mondes du droit et de la finance peuvent se comprendre. Ce n'est, à l'évidence, pas le cas. D'abord parce qu'ils ne parlent pas la même langue, au propre comme au figuré - Jérôme Kerviel en a joué, submergeant les juges de « forward » et autres « turbo warrants ». Ensuite parce qu'ils n'ont absolument pas les mêmes logiques, ils ne vivent pas dans le même monde : celui de la finance est celui de l'immatériel à l'échelle planétaire, celui des clics sur un ordinateur ; celui du droit est celui des faits purs, celui de la règle intransigeante. Faire entrer l'un dans l'autre, faire juger l'un par l'autre ne pouvait que conduire à l'incompréhension. Les juges, alors, se sont figés et ont opposé à l'entêtement de la défense de Jérôme Kerviel, à la logique froide des chiffres et des clics, une autre logique froide : celle du droit.


Jusqu'à la fin, Jérôme Kerviel a eu une ligne de défense et une seule : « J'ai été coupable mais pas responsable », disait-il en substance. Il a fraudé, mais la banque, elle, a commis des fautes, des carences graves dans son système de surveillance lui ont permis de poursuivre sa course folle. Facilement compréhensible par tout un chacun, le raisonnement n'est cependant pas valable sur le plan juridique. D'abord une évidence simple : ce n'est pas parce que le commerçant laisse ouvertes portes et fenêtres que la responsabilité du voleur est amoindrie. Ce n'est donc pas parce que la Société Générale a « contribué » à la faute par ses carences - elle a d'ailleurs été condamnée par la Commission bancaire à 4 millions d'euros d'amende -que la responsabilité de la perte doit être partagée entre elle et Jérôme Kerviel.


Logiquement, le tribunal applique donc cette jurisprudence constante de la Cour de cassation, qui, pour les dommages et intérêts, distingue les délits intentionnels des délits non intentionnels. En cas de délit intentionnel, il ne peut y avoir de partage de responsabilité entre l'auteur et la victime de ce délit. L'obligation de réparation est intégrale et le tribunal ne dispose d'aucune marge de manoeuvre sur le montant. A partir du moment, donc, où les juges ont estimé Jérôme Kerviel coupable du délit de fraude intentionnelle, il était redevable envers la banque de l'ensemble du dommage. Le fait que ces 4,9 milliards de pertes ne soient pas, suivant une logique purement financière, le fait direct de Jérôme Kerviel - c'est la Société Générale et non Jérôme Kerviel qui a débouclé l'opération -ne concerne en rien la justice. Au final, le dommage pour la banque est de 4,9 milliards et le fraudeur doit réparer. Point. Encore aurait-il fallu le dire et l'expliquer. Or on cherche vainement dans les attendus du jugement le moindre développement pédagogique.


Contrairement à ce qui a tenu le public en haleine, ce n'est pas sur le montant hallucinant des dommages-intérêts que les juges, s'ils l'avaient voulu, auraient pu indiquer que la Société Générale, d'une certaine façon, avait contribué à la réalisation de son propre dommage, mais sur le quantum de la peine infligée à Jérôme Kerviel. Bizarrement, alors que tout le monde a été choqué par le montant des dommages et intérêts, personne ne s'est offusqué de le voir partir potentiellement pour trois ans en prison. Ce qui est énorme, en France, pour ce type de délit. Au-delà de deux ans de prison, une peine n'est pas « aménageable ». Si la peine de l'ex-trader est confirmée en appel, c'est donc bien en prison qu'il ira. Il n'aura pas le droit de poursuivre sa vie à l'extérieur avec, par exemple, un bracelet électronique. Mais, au regard du déchaînement médiatique de l'affaire, c'est pourtant bien là et uniquement là que les juges auraient pu faire passer l'idée d'une responsabilité de Jérôme Kerviel atténuée par les carences du contrôle de la banque. Ce faisant, les juges auraient eu une position adaptée en droit et, en fait, parfaitement compréhensible par le grand public. Ils auraient alors parfaitement rempli leur mission.

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