jeudi 30 septembre 2010
La mort du physicien Georges Charpak#
Connu pour ses travaux sur les détecteurs des particules à hautes énergies, il avait reçu le Prix Nobel de physique en 1992. Retour sur le parcours unique d'un immense chercheur disparu à 86 ans.
On peut être un grand physicien et avoir de l'humour. Charpak en avait beaucoup. Alors qu'on lui faisait remarquer l'ironie qui avait situé son appartement parisien juste au-dessus des toits de l'Institut Curie, il nous avait un jour répondu : «Vous voulez dire que ce sera pratique quand j'aurai un cancer ?».
Né en Pologne en 1924 à Dąbrowica dans une famille juive pauvre non loin de Tchernobyl, il s'appelle d'abord Grisha. Deux ans plus tard, ses parents partent pour la Palestine, à Haïfa, alors sous mandat britannique. Les temps sont difficiles : ils travaillent dans une entreprise pour casser des cailloux qui serviront à la construction d'une route et décident, au bout de deux ans, de rentrer en Pologne. Les parents font le choix de l'envoyer à l'école publique. Le petit garçon juif se souviendra longtemps du signe de croix qu'il devait faire à l'entrée devant la Vierge Marie. A 8 ans, il rejoint la France et se prénomme désormais Georges. L'objectif du voyage est l'exposition coloniale de 1931 mais les Charpak, comme des milliers de Polonais s'installent définitivement et deviennent des immigrés en situation irrégulière.
Georges Charpak découvre avec délectation l'école de la IIIe République. Il devient rapidement le premier de sa classe en mathématiques, passe son temps à la bibliothèque où il dévore les œuvres d'Alexandre Dumas, Jules Verne mais également les Pieds Nickelés et Mickey. «Nous n'étions pas français mais nous aspirions à le devenir !», écrivait-il dans La vie à fil tendu (1993). Il se met à fréquenter les Faucons rouges, scouts laïcs d'obédience socialiste. Un jour, âgé seulement de 14 ans et alors qu'il n'est qu'en classe de 4e, il fait «un grand coup de bluff» : sans ses parents, il se rend au prestigieux lycée Saint Louis boulevard Saint-Michel pour passer un examen qui le conduit directement en… première. Il passe son bac philo en même temps que son bac scientifique en 1941 avant d'entrer en classe préparatoire. Il refuse de porter l'étoile jaune et s'insurge contre ses camarades «bourgeois» qu'il juge trop «passifs» dans la guerre contre le nazisme. L'antisémitisme prend de l'ampleur au lycée et Charpak sent la nécessité de s'engager. Les socialistes le lassent, le non engagement de Léon Blum lors de la guerre d'Espagne le choque.
La lecture de La condition humaine est déterminante, il devient communiste. Averti par le père d'un copain policier d'une prochaine arrestation de juifs, la famille fuit Paris et le jeune Georges atterrit à Montpellier où il intègre la Résistance. C'est dans ce contexte particulier qu'il passe le concours de Polytechnique et des Mines avant d'être condamné en 1943 par les tribunaux de Vichy à deux ans de prison. De cette période, il retiendra la solidarité qui consistait notamment à prélever deux cuillerées de soupe dans chacune des gamelles pour les plus faibles.
Quelques temps après, il est déporté à Dachau. Avec ses compagnons, il se persuade que l'Allemagne va bientôt capituler et leur objectif est de «survivre». Puis, arrive 1945 et les GI qui l'embarquent, lui offrent des haricots blancs. Il arrive à l'hôtel Lutetia. Ses parents lui apprennent qu'il a réussi le concours des Mines mais sa mère insiste pour qu'il recommence afin de décrocher Polytechnique. Mais après Dachau, son envie de repasser les concours est limitée. Il suit les cours de Joliot, admire Boris Vian. En 1956, les évènements en Hongrie ébranlent ces convictions communistes. C'est désormais la physique qui remplit sa vie : «La physique ressemble à la plus exigeante et parfois à la plus destructive des maîtresses. Nuit et jour, été, hiver, matin et soir, elle vous poursuit, vous envahit, vous comble ou vous désespère», écrira-t-il. La rencontre avec Frédéric Joliot-Curie fut déterminante, aussi bien en raison de sa personnalité scientifique que pour son passé de résistant et de militant communiste. Après les Mines, Charpak entre comme stagiaire au CNRS. Puis Léon Lederman, (prix Nobel en 1988) lui propose de rejoindre l'équipe qu'il créait au Cern pour travailler sur les hautes énergies et il quitte alors la France pour Genève.
A partir de ce moment là, «la recherche fondamentale allait engloutir ma vie». Il obtient le prix Nobel en 1992.
Inspiré par ce qui se fait dans certaines banlieues américaines, Charpak lance en 1996 la «main à la pâte» dans le but de rénover l'enseignement des sciences et de la technologie à l'école primaire en favorisant un enseignement fondé sur une démarche d'investigation scientifique. «Inculquer, dès l'enfance, les méthodes de base du raisonnement scientifique est la seule chance de doter les générations futures des moyens d'un rapport dépassionné, raisonnable avec la science. C'est là un enjeu de civilisation», écrivait-il.
En 1997, il est figurant avec Pierre-Gilles de Gennes qui avait lui reçu le prix Nobel de Physique en 1991 dans Les palmes de monsieur Schutz. Le film raconte la vie de Pierre et Marie Curie et les travaux qui les ont menés à découvrir le polonium et le radium à l'Ecole de physique et de chimie industrielle de la ville de Paris, école dans laquelle travaillaient Charpak et De Gennes.
L'homme est un grand militant de l'énergie nucléaire. «Le «tout nucléaire», pour lequel notre pays a opté il y a cinquante ans, a rendu un nombre considérable de services à la France. Il a conforté son indépendance énergétique. Il lui a permis de réduire en partie ses achats de pétrole à des pays arabes qui pratiquent un véritable racket des pays importateurs, et dont les connexions avec le terrorisme sont souvent préoccupantes», déclarait-il dans une interview au Le Figaro le 13 octobre 2005
Il avait proposé en 2001, une nouvelle unité de mesure de la radioactivité, le DARI (dose annuelle due aux radiations internes), correspondant à environ 0,25 milli-Sievert.
Cet été, il avait publié une tribune dans Libération dans laquelle il demandait l'arrêt du projet de réacteur expérimental ITER. Il le jugeait «hors de prix» et «inutilisable».
On peut être un grand physicien et avoir de l'humour. Charpak en avait beaucoup. Alors qu'on lui faisait remarquer l'ironie qui avait situé son appartement parisien juste au-dessus des toits de l'Institut Curie, il nous avait un jour répondu : «Vous voulez dire que ce sera pratique quand j'aurai un cancer ?».
Né en Pologne en 1924 à Dąbrowica dans une famille juive pauvre non loin de Tchernobyl, il s'appelle d'abord Grisha. Deux ans plus tard, ses parents partent pour la Palestine, à Haïfa, alors sous mandat britannique. Les temps sont difficiles : ils travaillent dans une entreprise pour casser des cailloux qui serviront à la construction d'une route et décident, au bout de deux ans, de rentrer en Pologne. Les parents font le choix de l'envoyer à l'école publique. Le petit garçon juif se souviendra longtemps du signe de croix qu'il devait faire à l'entrée devant la Vierge Marie. A 8 ans, il rejoint la France et se prénomme désormais Georges. L'objectif du voyage est l'exposition coloniale de 1931 mais les Charpak, comme des milliers de Polonais s'installent définitivement et deviennent des immigrés en situation irrégulière.
Georges Charpak découvre avec délectation l'école de la IIIe République. Il devient rapidement le premier de sa classe en mathématiques, passe son temps à la bibliothèque où il dévore les œuvres d'Alexandre Dumas, Jules Verne mais également les Pieds Nickelés et Mickey. «Nous n'étions pas français mais nous aspirions à le devenir !», écrivait-il dans La vie à fil tendu (1993). Il se met à fréquenter les Faucons rouges, scouts laïcs d'obédience socialiste. Un jour, âgé seulement de 14 ans et alors qu'il n'est qu'en classe de 4e, il fait «un grand coup de bluff» : sans ses parents, il se rend au prestigieux lycée Saint Louis boulevard Saint-Michel pour passer un examen qui le conduit directement en… première. Il passe son bac philo en même temps que son bac scientifique en 1941 avant d'entrer en classe préparatoire. Il refuse de porter l'étoile jaune et s'insurge contre ses camarades «bourgeois» qu'il juge trop «passifs» dans la guerre contre le nazisme. L'antisémitisme prend de l'ampleur au lycée et Charpak sent la nécessité de s'engager. Les socialistes le lassent, le non engagement de Léon Blum lors de la guerre d'Espagne le choque.
La lecture de La condition humaine est déterminante, il devient communiste. Averti par le père d'un copain policier d'une prochaine arrestation de juifs, la famille fuit Paris et le jeune Georges atterrit à Montpellier où il intègre la Résistance. C'est dans ce contexte particulier qu'il passe le concours de Polytechnique et des Mines avant d'être condamné en 1943 par les tribunaux de Vichy à deux ans de prison. De cette période, il retiendra la solidarité qui consistait notamment à prélever deux cuillerées de soupe dans chacune des gamelles pour les plus faibles.
Quelques temps après, il est déporté à Dachau. Avec ses compagnons, il se persuade que l'Allemagne va bientôt capituler et leur objectif est de «survivre». Puis, arrive 1945 et les GI qui l'embarquent, lui offrent des haricots blancs. Il arrive à l'hôtel Lutetia. Ses parents lui apprennent qu'il a réussi le concours des Mines mais sa mère insiste pour qu'il recommence afin de décrocher Polytechnique. Mais après Dachau, son envie de repasser les concours est limitée. Il suit les cours de Joliot, admire Boris Vian. En 1956, les évènements en Hongrie ébranlent ces convictions communistes. C'est désormais la physique qui remplit sa vie : «La physique ressemble à la plus exigeante et parfois à la plus destructive des maîtresses. Nuit et jour, été, hiver, matin et soir, elle vous poursuit, vous envahit, vous comble ou vous désespère», écrira-t-il. La rencontre avec Frédéric Joliot-Curie fut déterminante, aussi bien en raison de sa personnalité scientifique que pour son passé de résistant et de militant communiste. Après les Mines, Charpak entre comme stagiaire au CNRS. Puis Léon Lederman, (prix Nobel en 1988) lui propose de rejoindre l'équipe qu'il créait au Cern pour travailler sur les hautes énergies et il quitte alors la France pour Genève.
A partir de ce moment là, «la recherche fondamentale allait engloutir ma vie». Il obtient le prix Nobel en 1992.
Inspiré par ce qui se fait dans certaines banlieues américaines, Charpak lance en 1996 la «main à la pâte» dans le but de rénover l'enseignement des sciences et de la technologie à l'école primaire en favorisant un enseignement fondé sur une démarche d'investigation scientifique. «Inculquer, dès l'enfance, les méthodes de base du raisonnement scientifique est la seule chance de doter les générations futures des moyens d'un rapport dépassionné, raisonnable avec la science. C'est là un enjeu de civilisation», écrivait-il.
En 1997, il est figurant avec Pierre-Gilles de Gennes qui avait lui reçu le prix Nobel de Physique en 1991 dans Les palmes de monsieur Schutz. Le film raconte la vie de Pierre et Marie Curie et les travaux qui les ont menés à découvrir le polonium et le radium à l'Ecole de physique et de chimie industrielle de la ville de Paris, école dans laquelle travaillaient Charpak et De Gennes.
L'homme est un grand militant de l'énergie nucléaire. «Le «tout nucléaire», pour lequel notre pays a opté il y a cinquante ans, a rendu un nombre considérable de services à la France. Il a conforté son indépendance énergétique. Il lui a permis de réduire en partie ses achats de pétrole à des pays arabes qui pratiquent un véritable racket des pays importateurs, et dont les connexions avec le terrorisme sont souvent préoccupantes», déclarait-il dans une interview au Le Figaro le 13 octobre 2005
Il avait proposé en 2001, une nouvelle unité de mesure de la radioactivité, le DARI (dose annuelle due aux radiations internes), correspondant à environ 0,25 milli-Sievert.
Cet été, il avait publié une tribune dans Libération dans laquelle il demandait l'arrêt du projet de réacteur expérimental ITER. Il le jugeait «hors de prix» et «inutilisable».
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