Maintenant que les joueurs sont rentrés au pays, piteusement ou ovationnés, quels enseignements politiques tirer du Mondial 2010 ? Le succès de l'Espagne peut redonner le moral à ses habitants. Mais les fondamentaux de son économie demeurent préoccupants et la rivalité entre Catalans et Castillans ne diminuera pas automatiquement pour autant.
Le continent européen aura été le grand vainqueur de ce Mondial africain. Hormis l'Uruguay, courageux et inventif, ce sont les nations européennes qui sont sorties renforcées de la compétition, mais certainement pas l'Union européenne. On ne se hait bien qu'en famille, dit-on. La finale a été d'une rare férocité. À aucun moment, durant le tournoi, on n'a vu l'émergence d'un sentiment de solidarité européenne. Ce ne fut pas le cas du continent africain. Une fois leur équipe éliminée, les supporters sud-africains ont reporté tout leur soutien sur le valeureux et malheureux Ghana.
Oui, la véritable bonne nouvelle géopolitique du Mondial concerne le continent africain. Le pays hôte a démenti ceux qui prédisaient le pire. Et, derrière l'Afrique du Sud, tout le continent africain sort de sa marginalisation et de son processus de déclassement international.
Si le temps de l'Afrique est venu, ce n'est pas seulement parce que le pays de Nelson Mandela a su organiser un Mondial maîtrisé en matière de sécurité et chaleureux sur le plan humain. C'est aussi et surtout parce que des investisseurs ambitieux, comme la Chine, le Brésil et l'Inde, redécouvrent un continent qui, selon les démographes, sera passé de 180 millions d'habitants en 1950 à plus de 1,8 milliard en 2050. Sur ce plan, le Mondial 2010 n'est pas un tournant historique, mais une étape symbolique supplémentaire sur le chemin de la redécouverte de l'Afrique par le monde. Dans une logique qui n'est plus celle de l'aide au développement, mais du respect intéressé pour la dignité et les progrès de l'autre.
Quant au football, substitut à la guerre pour les uns, grand-messe de l'ère de la mondialisation pour les autres, risque-t-il d'être victime de son succès planétaire ? L'élargissement de son audience (à de nouveaux continents comme l'Asie et l'Amérique du Nord, à de nouvelles catégories de « fidèles ») s'accompagne d'une certaine dérive sportive. Les enjeux patriotiques et financiers étant devenus considérables, la peur de perdre l'emporte trop souvent sur le plaisir de jouer. Résultat : des finales tendues, sinon exaspérantes, comme celle entre l'Espagne et les Pays-Bas après celle, il y a quatre ans, entre l'Italie et la France.
Dans ce contexte, où l'arbitrage devient toujours plus important, ce dernier se doit d'être irréprochable. L'équivalent de l'État de droit en football, c'est le recours à l'aide technologique pour la décision arbitrale. Ce Mondial 2010 est, il faut l'espérer, le dernier où de grossières erreurs factuelles d'arbitrage vont jusqu'à modifier le sort d'un match.
Pour la France, le Mondial sud-africain restera celui du désastre annoncé. Dans le football contemporain, le déclin peut être brutal, mais la montée vers le sommet est un long et patient apprentissage qui suppose travail, confiance, modestie et leadership. En somme, une belle leçon de vie.
(*) Conseiller spécial à l'Ifri (Institut français des relations internationales).
Dominique Moïsi (*)
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