TOUT EST DIT

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vendredi 2 avril 2010

Le « modèle » Toyota et ses limites


Un mois après l'audition d'Akio Toyoda, PDG de Toyota, par une commission américaine, nous avons assez de recul pour essayer de répondre à cette interrogation d'un des représentants syndicaux de l'usine de Valenciennes : à force de chercher à réduire les coûts, le 'toyotisme' n'aurait-il pas atteint ses limites en sacrifiant la qualité à la croissance et au profit ? Cette question est d'autant plus essentielle que de nombreuses entreprises et institutions, au Japon et dans le monde, ont essayé d'adopter le modèle de production de Toyota.


Le problème est moins lié au mode de production, en tant que tel, qu'aux changements qu'a connus l'entreprise Toyota depuis quinze ans. Ce modèle est avant tout une forme d'intensification du travail, comme l'a été, en son temps, le taylorisme. En l'occurrence, le secret des gains de productivité de Toyota repose sur l'implication des travailleurs au sein d'un processus de production conçu sur le fil du rasoir, qui se doit d'être réactif à la demande. Cela est source de tensions dans l'atelier, mais aussi la véritable origine des gains de productivité.

Cependant, pour que ce système soit tenable, la seconde dimension du toyotisme, inséparable de la première, est la mise en place d'« îlots de stabilité », notamment au niveau du gouvernement d'entreprise. Le toyotisme est donc à la fois un modèle de production en tension permanente et un mode de gouvernance censé le stabiliser. C'est, par exemple, le rôle de l'emploi et du financement de long terme. Traditionnellement, dans ce modèle, les salariés sont mieux représentés que les acteurs extérieurs (par exemple, les actionnaires) dans la fonction d'objectifs de l'entreprise, c'est-à-dire sa stratégie, ce qui assure leur implication, notamment au niveau du contrôle de qualité.

Dans ces conditions, d'où viennent les problèmes que rencontre Toyota ? Au-delà de la question d'une croissance trop rapide de la capacité de production, ils sont liés au déclin des îlots de stabilité. Conséquence : on observe un dérèglement des contrôles internes, sans pour autant que les contrôles externes (par les actionnaires, par des cabinets indépendants) soient pleinement satisfaisants.

Pour le dire autrement, dans ce processus de croissance à marche forcée, on a manqué de forces de rappel. Un fossé semble s'être creusé entre les salariés et la direction, et plus généralement entre les différentes composantes de l'entreprise. Or, la circulation de l'information chez Toyota doit être parfaite pour envisager en permanence les défauts possibles et les corriger, avant la sortie de l'atelier.

Au-delà du cas Toyota, quelles leçons en tirer ? Le toyotisme est supérieur en termes de productivité, du strict point de vue du mode de production. Cependant, ce dernier est inséparable d'un mode de gouvernement de l'entreprise, qui repose sur des contrats de long terme censés assurer à la fois une stabilisation, l'implication des salariés et le maintien d'un flux régulier et permanent d'informations, garant du maintien du niveau de la qualité.

D'un point de vue libéral, ce mode de gouvernement est un coût et une contrainte. C'est d'avoir « oublié » qu'il était indispensable à l'équilibre de l'ensemble que Toyota a péché. Si le modèle de production de Toyota a encore de beaux jours devant lui, la gouvernance qui lui est associée doit être repensée.



(*) Maître de conférences à l'EHESS et fondateur de la Fondation France Japon (http://ffj.ehess.fr/).
Sébastien Lechevalier (*)

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