Il y a quelques années, l'essayiste américain Jeremy Rifkin annonçait l'entrée dans une ère nouvelle : « L'âge de l'accès ». Les marchés laissent la place aux réseaux, les biens aux services, les vendeurs aux prestataires de services et les acheteurs aux utilisateurs. La notion d'accès se substitue à celle de propriété.
Dans l'économie immatérielle, celle d'Internet, l'important, expliquait Rifkin, n'est pas de posséder des biens mais d'accéder à des informations et services. Un exemple : au lieu d'acquérir le DVD d'un film, il est plus simple d'acheter le droit de le visionner à la demande. Pas d'encombrement et un coût quatre à cinq fois moindre. D'où sa prophétie : « D'ici à vingt-cinq ans, l'idée même de propriété paraîtra singulièrement limitée, voire complètement démodée, à un nombre croissant d'entreprises et de consommateurs. »
Si cette pratique se généralisait, on verrait la consommation de services se substituer à celle des objets qui les fournissent. On pense au Velib'(vélos en libre-service) et bientôt, sans doute, à l'Auto-lib', déjà expérimentée en Allemagne ou au Québec. À Londres, une entreprise propose des voitures accessibles dans de nombreux lieux, par simple carte à puce. Et un peu partout ¯ y compris en France ¯ se créent, dans certains éco-quartiers, des buanderies et même des chambres d'amis communes aux copropriétaires.
Le mouvement est lancé. Pourquoi ne pas l'amplifier ? C'est ce que suggère Paul Ariès : « Pourquoi, écrit-il, ne pas mutualiser ses achats quand on sait qu'on ne tond pas la pelouse tous les matins ? Qu'on peut partager livres, disques et DVD, ce qui permet non seulement de faire des économies, mais aussi de discuter par la suite de leur intérêt et du plaisir qu'on y a pris ? » (1).
Derrière cette économie « des biens partagés », percent une pensée et une pratique nouvelle de l'accès aux services. Ainsi, avec un souci de la qualité contre la « malbouffe », illustré par les Amap (Associations pour le maintien de l'agriculture paysanne), des consommateurs s'engagent à acheter, toute l'année, des paniers de fruits et légumes à un producteur en s'associant au choix des produits.
Cette évolution pose de vraies questions. Et l'emploi ? dira-t-on. Dans l'industrie automobile, par exemple ? Elle devra inventer du neuf, non seulement de nouveaux modèles moins polluants, mais de nouveaux services de prestataires de transport automobile. Michelin n'est-il pas en train de développer la location de pneus performants dont la durée de vie a été multipliée par 2,5 ? C'est une piste intéressante.
Par ailleurs, la propriété collective n'est-elle pas une cause d'irresponsabilité et d'embrouilles ? Le problème est réel si l'on en juge par les dégradations infligées aux Velib'. La solution passe par le développement d'une culture de la gestion commune, alors que nous sommes imprégnés d'une culture de la propriété privée. L'éducation à un esprit de copropriétaire responsable, dès le plus jeune âge, peut permettre de parer aux dérives. Cela prendra du temps. La crise actuelle laisse-t-elle d'autres choix ?
Utopie ? Peut-être, mais elle devient nécessaire pour imaginer un avenir qui ne pourra pas être la simple reconduction du présent.
(1) « La simplicité volontaire contre le mythe de l'abondance », La Découverte, 2010.
(*) Professeur de droit publicà Brest.
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