Il y a déjà bien longtemps qu'on nous avait annoncé, dans l'entourage du président de la République, la fin de la pensée unique. On avait cru comprendre qu'il s'agissait d'un rejet de tout ce qui pouvait ressembler à un conformisme intellectuel, de préférence de gauche. Et l'on savait que cela pouvait conduire à la remise en question d'un certain nombre de valeurs, qui semblaient pourtant faire partie du tronc commun des républicains. On l'a vu avec le discours, puis la politique, à l'égard des immigrés, où l'on s'est affranchi d'un certain nombre de retenues. Mais là, avec l'intervention d'Eric Raoult, on vient de franchir un nouveau Rubicon. Le député UMP a inventé le « devoir de réserve » des écrivains. Un moyen définitif et catégorique pour faire taire la pensée unique en question. Pour être juste, il faut préciser que cette interdiction ne viserait pas, dans l'esprit normatif de monsieur Raoult, l'ensemble des écrivains, mais seulement ceux qui ont eu le prix Goncourt. Peut-être le Nobel aussi. Voire les Femina et autre Interallié ? En tout cas, cela visait la toute nouvelle prix Goncourt, Marie Ndiaye. Le député lui reproche d'avoir donné une interview aux Inrockuptibles, dont on peut se demander au passage s'ils ne cotisent pas eux aussi au syndicat de la pensée unique, dans laquelle elle affirmait avoir quitté la France afin de fuir Nicolas Sarkozy, l'atmosphère étouffante qui règne dans l'hexagone et les « monstrueux » Eric Besson et Brice Hortefeux. Le ton est évidemment excessif, elle le reconnaît d'ailleurs, le propos purement polémique, et insultant pour les ministres cités. Mais au nom de quel principe étrange devrait-on imposer à Marie Ndiaye, selon les mots du député, « de respecter la cohésion nationale et l'image de la France », bref, de ne pas dire de mal du président… Naturellement, les jurés du Goncourt se sont empressés hier de prendre la défense de leur lauréate, et de dénoncer le fantasme castrateur d'Eric Raoult. Et l'on imagine l'embarras dans lequel doit se trouver le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, à qui il incombe maintenant de répondre par écrit au député. Pour mieux comprendre cet incident dérisoire, il faut se rappeler qu'Eric Raoult n'en est pas à son premier mauvais coup. La dernière fois qu'il est monté au créneau pour défendre un président injustement attaqué, il ne s'agissait pas du président français mais du président tunisien Ben Ali, et pas d'une écrivaine, mais d'une journaliste du Monde, qui venait d'être expulsée de Tunisie. Le député avait jugé normale son expulsion en raison de ses écrits sur le président tunisien, écrits qu'il n'avait d'ailleurs visiblement pas lus. En somme, un acte de légitime défense d'un régime victime lui aussi de la « pensée unique » selon laquelle la Tunisie ne respecterait pas tout à fait les droits de l'homme en général, et ceux de la presse en particulier. On se demande quel prix il faudrait attribuer à Eric Raoult.
vendredi 13 novembre 2009
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