TOUT EST DIT

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dimanche 18 octobre 2009

Les mots pour le lui dire

Qui ose encore parler franchement à Nicolas Sarkozy ? La question est posée alors qu'aucun poids lourd de la majorité n'a osé remettre en cause la nomination prochaine de Jean Sarkozy, le fils du président âgé de 23 ans, à la tête de l'EPAD, qui gère le quartier des affaires de la Défense.
Il y a ceux qui savaient tout depuis le début. Mais incapables de penser différemment de M. Sarkozy, ils n'ont pas saisi l'ampleur du risque politique. Brice Hortefeux, l'"ami" du président, le parrain de Jean, n'est guère à son aise. "A vrai dire, quand j'en ai parlé avec Jean, je n'ai pas vu venir l'affaire, sachant que le job était électif, bénévole et sans réel pouvoir", confesse le ministre de l'intérieur.

Les hommes de confiance auraient pu mettre en garde le président, mais ils n'ont pas été mis dans la confidence. "Le coup était parti. Il était trop tard pour l'arrêter", explique un conseiller, qui a donc jugé inutile d'aborder le sujet.

Et puis, il y a la foule des responsables politiques, qui n'ont pas eu d'autre choix que d'être solidaires d'un président sûr de son fait. Nul n'a pipé mot, jeudi, lors de la réunion à l'Elysée avec les chefs de la majorité. "Au point où sont les choses, il faut tout assumer et ne pas reculer d'un millimètre", estime le ministre de l'immigration, Eric Besson.

Pour la plupart, il était inenvisageable d'affronter Nicolas Sarkozy. L'hyperprésident est hypersensible sur ses relations sentimentales et familiales, comme l'a montré son divorce. "Cette fois, il a le complexe du père divorcé", entend-on.

Mais l'affaire Jean Sarkozy serait "l'exception qui confirme la règle", assure un ministre. On pourrait parler de tout avec le président, surtout avec sa casquette d'élu. M. Sarkozy a organisé, lundi, un tour de table avec les dirigeants de l'UMP, qui n'ont pas hésité à parler de l'affaire Mitterrand de retour de leur circonscription. "Nous avons la chance d'avoir un président au tempérament très direct, très franc. Quand il dit quelque chose, c'est cash. Il apprécie en retour qu'on soit cash", estime la secrétaire d'Etat à l'économie numérique, Nathalie Kosciusko-Morizet.

Le lieu du dialogue n'est pas le conseil des ministres. "Sarkozy monologue, et après il dit : "Ah, j'aime bien quand on a ces discussions !"", sourit un ministre. Mieux vaut trouver un aparté en marge des réunions à l'Elysée, profiter d'un déplacement en avion, faute d'obtenir un tête-à-tête.

Si chacun se dit libre, c'est avant tout sur ses dossiers. Martin Hirsch n'en demande pas plus. "Je ne parle pas des problèmes qui fâchent ni de ceux qui ne fâchent pas. Je ne suis ni le confesseur de Nicolas Sarkozy, ni son conseiller politique. En revanche, sur mes dossiers, j'y vais à 1 000 %", commente le haut-commissaire à la jeunesse, le seul à avoir contredit en public M. Sarkozy lors d'une table ronde. "Hirsch a une détermination incroyable. Vous ne pouvez pas dire non, il revient sans cesse par la fenêtre", commente Raymond Soubie, le conseiller social de l'Elysée.

Alain Marleix, responsable du redécoupage électoral, a rencontré une fois le président, au début de sa mission, et ne l'a appelé que trois fois, pour des arbitrages politiques. "Quand Nicolas Sarkozy a donné sa confiance, il ne la retire pas facilement", estime M. Marleix.

Jean-Louis Borloo, à l'environnement, jouit d'une grande liberté, tandis que Bernard Kouchner peut s'affronter avec le président sur l'Iran. A une réserve majeure, la politique étrangère est pilotée de l'Elysée.

Mais de nombreux ministres sont désarçonnés par les ambiguïtés de Nicolas Sarkozy. Le président méprise ceux qui se courbent mais tolère très mal ceux qui affichent en public leur désaccord. Rama Yade, alors secrétaire d'Etat aux droits de l'homme, est tombée en disgrâce pour avoir refusé d'être candidate aux élections européennes.

Nathalie Kosciusko-Morizet avait dénoncé "un concours de lâcheté" entre son ministre de tutelle, Jean-Louis Borloo, et le patron du groupe UMP, Jean-François Copé. Elle a été rétrogradée lors du remaniement ministériel de janvier 2008.

Et les vexations vont au-delà des hommes politiques : le leader de la CFDT, François Chérèque, fut battu froid à l'automne 2008 pour avoir révélé des conversations privées. Il dut attendre des mois pour obtenir, en septembre 2009, un tête-à-tête avec M. Sarkozy.

A l'Elysée aussi, l'ambiance n'est guère propice aux débats publics. Le chef de l'Etat ne préside plus les réunions de 8 h 30 du matin avec sa vingtaine de collaborateurs. Le secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, centralise les pouvoirs. M. Sarkozy segmente ses réseaux. "Il se mitterrandise", répète dans tout Paris le "visiteur du soir" Alain Minc, ce qui, selon un ministre, flatte le président.

Les vraies discussions ont lieu en petit comité ou en tête à tête : les hommes de confiance sont M. Guéant, M. Soubie (social), Xavier Musca (économie), Jean-David Levitte (diplomatie) ainsi qu'Henri Guaino et Franck Louvrier (presse), auxquels s'ajoute une discrète mais puissante équipe d'analyse politique (Pierre Giacometti, Patrick Buisson, Jean-Michel Goudard).

A l'Elysée, on a fini par ne plus frapper à la porte d'un président surchargé. Les voix les plus discordantes ont été marginalisées : la très directe Emmanuelle Mignon se concentre sur ses dossiers (presse, collectivités territoriales) faute d'avoir pu s'entendre avec M. Guéant. Henri Guaino défend ses dossiers fétiches, mais s'aventure peu sur le terrain des autres.

Les emportements de M. Sarkozy en épuisent plus d'un, à l'exception de M. Soubie, visiblement épargné, et de MM. Guéant et Louvrier, fidèles de toujours. Le président favorise ainsi un phénomène de cour, même s'il en est conscient, comme l'atteste cette remarque sur un conseiller : "Il va me dire oui, et je n'ai plus confiance, car il me dit toujours oui."

Les politiques, eux, cherchent à pouvoir dire les choses au président. Il y a la méthode progressive, comme celle de Xavier Darcos, inquiet de la rupture de M. Sarkozy avec les "sachants". Le ministre de l'éducation avait déminé le sujet avec Xavier Bertrand, le patron de l'UMP, et M. Guéant, avant d'en parler à M. Sarkozy.

D'autres prennent leur courage à deux mains, à l'instar de Christine Lagarde, qui marqua quelques lignes rouges à l'automne 2008, alors qu'elle était critiquée pour son manque de sens politique. Un an après la crise financière, elle est "premier ministrable".

La meilleure parade consiste à créer un rapport de force, puisque le président y est si sensible. Rama Yade s'est immunisée en devenant l'icône de la diversité. Elle est la seule à avoir émis des critiques sur la nomination de Jean Sarkozy, même si elle a dû rétropédaler vendredi dans un communiqué. "Nous remercions Rama, mais nous ne sommes pas des idiots. Nous sommes aussi élus et nous voyons ce qui remonte des territoires", s'exaspère un ministre.

Les jeunes cherchent à conjuguer lien direct avec le président et assise électorale. Nommé secrétaire d'Etat aux affaires européennes, Bruno Le Maire a choisi de communiquer directement, par note, avec le président, alors que son prédécesseur, Jean-Pierre Jouyet, regrettait de n'être passé que par M. Guéant. Promu à l'agriculture, il cherche à diriger seul son ministère. Tant qu'il ne trébuche pas, l'Elysée laisse faire. Il veille à vouvoyer M. Sarkozy, qui le tutoie, et à conforter son implantation en Normandie, en menant la bataille des régionales.

Le benjamin du gouvernement, Laurent Wauquiez, cherche aussi ses marques. En réunion d'arbitrage, le secrétaire d'Etat à l'emploi s'est exprimé pour que le plan Hirsch ne tourne pas à l'assistanat des jeunes. Sur ses dossiers, il passe souvent par le filtre Guéant-Soubie. Mais le maire du Puy-en-Velay entend aussi parler politique. Alors il rédige des notes pour le président sur la sortie de crise, l'inquiétude des classes moyennes, le monde rural. "J'ai toujours un retour, soit écrit, soit oral par Claude Guéant ou par le président", raconte le secrétaire d'Etat. "Wauquiez est assez courageux, mais il agace", tempère une ministre. Mais chacun convient que le cheminement pour exister en "Sarkozye" est difficile.
Arnaud Leparmentier

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