Le JDD s'est procuré le rapport de l'Inspection générale sur l'université de Toulon. La direction est soupçonnée d'accueillir, dans des conditions suspectes, des centaines d'étudiants chinois.
L'intitulé du document fait mauvais genre: Présomptions de trafic de diplômes par des étudiants chinois à l’université du Sud Toulon-Var. Pas un tract vengeur ni une lettre anonyme, mais un rapport explosif de plusieurs centaines de pages rédigé par l’Inspection générale de l’Education nationale et de la Recherche que le JDD s’est procuré. "Une université qui entretient un rapport ambigu à la loi" ; "Graves irrégularités dans les procédures d’inscription des étudiants étrangers, notamment d’origine chinoise, et de validation des études supérieures…"
Habitués à peser leurs mots, les inspecteurs généraux accablent Laroussi Oueslati, le directeur de la jeune et petite (10 500 étudiants) université varoise, ainsi que certains de ses proches collaborateurs. "Je dois être entendu par la commission disciplinaire de l’université, vous parler pourrait être mal perçu", nous a répondu le président, joint au téléphone. C’est que Laroussi Oueslati se retrouve dans le collimateur de son ministère de tutelle mais aussi des services de justice et de police saisis d’une possible affaire de corruption comme jamais l’université française n’en a connue. Certes, si "la mission n’a pas établi de façon formelle l’existence d’irrégularités notoires des conditions de délivrance des diplômes", les rapporteurs écrivent qu’ils ont constaté "l’implication personnelle du président dans l’opacité des processus mis en place et dans les irrégularités qui ont été commises".
Perquisitions policières, pressions, tentatives de corruption, témoins qui raccrochent au nez: l’affaire de la fac de Toulon a tout d’un bon polar. Le 10 janvier dernier, un enseignant-chercheur porte plainte et dénonce un réseau de corruption en place dans l’université depuis 2004, affirme-t-il, plus particulièrement au sein de l’Institut d’administration des entreprises (IAE). Selon lui, plusieurs centaines de diplômes ont été délivrés d’une manière frauduleuse à des étudiants chinois. "Ouverte sur le monde", selon son vice-président Pierre Sanz de Alba, l’université de Toulon l’est particulièrement à l’égard des étudiants chinois. Elle en comptait 288 en 2005, 704 en 2008… "Pourquoi l’université s’est-elle montrée aussi accueillante à leur égard? s’interroge-t-on au parquet de Marseille. Peut-être parce qu’elle voulait gonfler ses effectifs, améliorer son image à l’étranger… Peut-être parce qu’il y existe bel et bien une filière frauduleuse et que certains personnels ont cédé aux sirènes de la corruption…"
2000 euros par étudiant chinois recruté, 5000 euros par diplôme
Durant l’été 2008, W.D., un ancien élève chinois, propose à Nathalie Hector, en charge d’un Master 2 (bac +5) 2000 euros pour chaque Chinois recruté, plus 5000 par diplôme obtenu. L’enseignante refuse mais reçoit plus tard des courriels adressés de Chine. "J’ai discuté avec le président de l’université de Toulon, M. Laroussi Oueslati, dans son bureau le 17 février 2008. Je lui ai présenté mon projet de coopération universitaire franco-chinois, il est très intéressé. […] Ne dis rien à autre (sic): c’est un secret entre nous !!!" (29 décembre 2008). "Pourkoi les autres font la même chose chaque année et gagnent des sous, on fait pas? Ce sont des gens situés sur la même place que toi, ils ont le même pouvoir que toi . Je t’avais dit que cela va rapporter! […] y a pas mal de profs ou de responsables qui font ça…" (19 janvier 2009).
Nathalie Hector avertit sa direction. "Et si le réseau des Chinois n’était pas qu’une rumeur!" Le président lui propose d’éconduire le mystérieux correspondant mais, chose incroyable, ne se tourne ni vers le recteur ni vers la justice. L’enseignante persiste pourtant et se confie aux enquêteurs, tout comme le directeur de l’IAE, à qui un autre Chinois propose 100 000 euros: "Durant l’année universitaire 2007-2008, j’ai surpris trois Chinois en flagrant délit de fraude, raconte-t-elle. Après diverses relances, il s’avère que les étudiants n’ont pas été traduits devant cette commission de discipline, sur demande du président. […] Le président que je sentais ennuyé par la fraude m’a téléphoné pour me dire que je ferais mieux d’arrêter ces “prises” d’étudiants […] car il commençait à entendre sur le campus une rumeur selon laquelle j’étais raciste […]" Puis, affirme-t-elle, c’est au tour du vice-président de lui dire: "On vous a demandé de les prendre, pas de leur délivrer un diplôme !" Sous-entendu, selon un autre prof: "Peu importe qu’ils aient un diplôme puisqu’ils ont payé pour entrer!" "En tant que responsable du Master 2 'Création et reprise d’entreprises', j’ai été surprise de voir, chaque jour […] des étudiants chinois rentrer […] avec une inscription directement acceptée par les services centraux, reprend Nathalie Hector. On les appelait d’ailleurs 'les étudiants président'. Le plus surprenant est qu’aucun d’entre eux ne parlait français."
Admis en bac+5 malgré 1,2/20 de moyenne
Faux, réplique le vice-président qui dénonce un "acharnement pour des raisons autres qu’universitaires", et évoque même une "tentative de mise à mort" de son supérieur. Elu du Parti radical de gauche, Tunisien d’origine, le président serait victime d’"amalgames au relent xénophobe". Ses détracteurs répliquent en évoquant d’autres admissions invraisemblables en Master 2 (bac + 5) de jeunes chinois (voir ci-contre): comme B.F., 22 ans, qui vient d’échouer en première année de licence à Perpignan (moyenne de 1,2/20). Ou C.Y., deux échecs en première année de licence à Metz (moyenne de 3,2/20). "Tous avaient obtenu les diplômes nécessaires dans leur pays d’origine", se défend l’université de Toulon.
Reste qu’ils ne parlaient pas ou presque pas le français, et qu’ils ont été recrutés directement par le président, contrairement aux règles en vigueur dans toute université normale, accuse l’Inspection générale. Qui cite aussi des vols de clés USB, de disques durs externes, de passes pour entrer dans les bureaux. Des membres de la direction qui ont osé parler se sont aussi retrouvés, à la dernière rentrée, déchargés de leurs responsabilités. Ayant eu vent de pressions et de harcèlements au sein de l’établissement, le ministère de l’Enseignement supérieur (qui s’est refusé à tout commentaire) a diligenté, fait exceptionnel, un complément d’enquête sur ce thème, dont les conclusions seront rendues en début de semaine. De son côté, le président n’a toujours pas été entendu par la commission disciplinaire de son établissement, dont la constitution, jugée partiale, a été dénoncée par les syndicats. Si ses conclusions s’avèrent trop clémentes, le ministère pourrait engager des recours. Quant aux Chinois, deux d’entre eux ont déjà été écroués, dont celui ayant proposé 100 000 euros au directeur de l’IAE.
dimanche 18 octobre 2009
Faux diplômes: Un président de fac dans le collimateur
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