Tout à fait à l'image d'un socialisme capitonné. |
samedi 27 septembre 2014
Socialisme français : chronique d’une mort annoncée
Dans les autres pays européens, le socialisme a évolué dans le courant du 20ème siècle vers la social-démocratie. Quel avenir pour l’archéosocialisme français ?
L’échec déjà patent de François Hollande marquera sans doute la fin d’un certain socialisme à la française, peu collaboratif, considérant l’entreprise comme une ennemie, axé sur le conflit et souvent intellectuellement arrogant. Dans tous les autres pays européens, le socialisme a évolué dans le courant du 20ème siècle vers la social-démocratie ou le social-libéralisme. Il ne faut pas chercher de définition stricte de ces termes, mais ils recouvrent une acceptation plus ou moins large de l’économie de marché et une reconnaissance de son efficacité. Le parti travailliste britannique, le SPD allemand, le parti socialiste belge, par exemple, illustrent cette évolution. En Allemagne ou en Belgique, ce sont des coalitions de partis qui gouvernent et il en résulte que les sociaux-démocrates doivent parfois conclure des compromis avec les libéraux ou les chrétiens-démocrates. En Grande-Bretagne, le travaillisme n’a jamais vraiment adhéré au concept de lutte des classes. Le retard important accumulé par le parti socialiste français est lié à l’histoire politique particulière du pays à la fin du 20ème siècle.
L’échec du communisme
L’idéologie marxiste, née au 19ème siècle, a donné naissance à deux courants principaux au 20ème siècle : le communisme et le socialisme. Le communisme choisit le concept de dictature du prolétariat pour instaurer des régimes totalitaires (URSS, Europe de l’Est, Cuba, Corée du nord, Chine). Évidemment, dans ces régimes, le pouvoir politique n’appartient pas au prolétariat mais est entièrement accaparé par quelques apparatchiks dirigeant le parti communiste. L’organisation de l’économie, reposant sur une planification rigide, conduit à un échec face au dynamisme des économies occidentales privilégiant la souplesse du marché. Il ne reste rien aujourd’hui des illusions communistes. La Corée du Nord n’est qu’une dictature féroce affamant sa population. La Chine s’ouvre lentement au monde et devra tôt ou tard démocratiser son régime politique. Mais le communisme s’était implanté solidement dans certains pays occidentaux, dont la France. Aux élections législatives de 1945, le Parti communiste français recueille 26% des suffrages exprimés. Il est le parti le plus puissant du pays. Il obtient encore 16% des voix aux élections législatives de 1981. Son déclin définitif sera concomitant de la chute de l’URSS qui lui fournissait un appui logistique et financier. Dans un tel contexte, le parti socialiste devait, pour faire bonne figure, paraître nettement anticapitaliste. Même si sa participation aux gouvernements de la IVème République nécessitait une inflexion vers le réalisme, la base militante restait très manichéenne et voyait l’économie de marché comme un système à encadrer de façon stricte puis à dépasser.
Les nationalisations, cœur de l’ancienne doctrine socialiste
Contrairement au communisme, le socialisme s’accommode d’élections libres mais a pour ambition initiale de supprimer la propriété privée des moyens de production. Les socialistes pensent naïvement que la gouvernance politique, démocratiquement élue, a plus de légitimité pour diriger l’économie que les chefs d’entreprise émergeant de la société civile par leur réussite sur le marché. Si les communistes vouaient un culte à la dictature, les socialistes vouent un culte à l’élection. Cette idée simpliste débouche sur des nationalisations de grandes entreprises lorsque les socialistes sont majoritaires dans un pays. Mais les entreprises publiques ainsi créées ont tendance à s’éloigner de la réalité économique. Elles bénéficient de subventions publiques plus ou moins justifiées. Leurs conseils d’administration comportant de nombreux hommes politiques, leurs décisions sont influencées par les intérêts électoralistes, les alliances politiciennes. Les entreprises publiques apparaissent progressivement moins performantes que les entreprises privées pour une raison évidente : ces dernières doivent s’adapter en permanence aux évolutions en cours (technologiques, organisationnelles, financières, etc.) ou disparaître. Au contraire, des entreprises publiques inefficaces sont artificiellement maintenues par des financements publics (c’est-à-dire les impôts) et agonisent lentement sur plusieurs décennies.
La France, dernier pays à pratiquer des nationalisations
Face à cette réalité, la plupart des partis socialistes sont progressivement devenus sociaux-démocrates ou sociaux-libéraux. Cette terminologie très vague recouvre au moins deux réalités : ils ont renoncé à faire de la propriété collective des moyens de production l’élément essentiel de leur doctrine et ils reconnaissent l’efficience du marché. Les Français ont été les derniers à pratiquer des nationalisations doctrinales de type socialiste en 1981-82 lors de l’accession au pouvoir de François Mitterrand. Ils ont alors été la risée du monde entier, et en particulier des Européens, car tous les sociaux-démocrates avaient déjà abandonné le concept de lutte des classes et la vénération de l’entreprise publique. La politique de François Mitterrand a pourtant suscité un grand enthousiasme dans le « peuple de gauche » et ce personnage ambigu reste aujourd’hui encore une sorte d’icône chez les militants socialistes. Les idées reçues ont une force incontestable en politique : tout ce qu’a fait Mitterrand a dû être détruit (privatisations, augmentation de l’âge de la retraite), mais l’homme suscite toujours l’admiration à gauche.
Les prises de participation publiques succèdent aux nationalisations
L’abandon du concept de propriété collective des moyens de production réduisait le corps de doctrine socialiste à très peu de choses. Il subsiste aujourd’hui deux éléments essentiels : les participations publiques et la redistribution. La formation financière aidant, nos socialistes se sont aperçus qu’il n’était pas nécessaire d’utiliser le grand tapage des nationalisations pour prendre le contrôle d’une entreprise. Il suffit pour cela de disposer d’une participation suffisante dans le capital et de l’outil permettant d’acquérir ces participations. La Caisse des dépôts et consignation a d’abord servi à cet usage puis ont vu le jour l’Agence des participations de l’État (2004) et la Banque publique d’investissement (2012). Ces prises de participation s’effectuent en respectant les règles du jeu du marché. Elles n’ont pas le caractère autoritaire et confiscatoire des nationalisations. Les partis de droite les utilisent également. La gauche, de ce point de vue, n’a pas une forte originalité.
L’ambition redistributive
Le second aspect du socialisme actuel est l’ambition redistributive. Les socialistes pensent qu’ils doivent « réduire les inégalités » en jouant avec l’énorme machine publique de prélèvements et de dépenses. Rappelons qu’en France les prélèvements obligatoires représentent 46% du PIB et les dépenses publiques 57%. Là encore, si les discours cherchent à être clivants, la pratique du pouvoir ne permet pas de faire apparaître de différences majeures entre droite et gauche. Le recul des prélèvements obligatoires suppose en effet la diminution des dépenses publiques. C’est là que le bât blesse : diminuer les dépenses publiques pour un homme politique, c’est diminuer sa capacité d’action, donc réduire son pouvoir. Les femmes et les hommes attirés par le pouvoir politique, qu’ils soient de gauche ou de droite, n’ont évidemment pas une forte propension à abandonner la puissance que leur donne la maîtrise de l’argent public, c’est-à-dire de l’argent des autres, accaparé par la violence légale. Les prélèvements obligatoires ont donc presque toujours augmenté et lorsqu’ils ont diminué, il s’agissait d’une réduction faible (1 ou 2% de PIB) et temporaire.
Lorsque François Hollande arrive au pouvoir en France en 2012, il ne reste donc pratiquement rien de la doxa socialiste traditionnelle. Les élites socialistes le savent mais les militants de base l’ignorent pour la plupart. Quant aux sympathisants, ils n’ont que faire de l’idéologie. Ils attendent des résultats c’est-à-dire des prestations publiques nouvelles. Depuis une trentaine d’années, ces prestations (santé, retraite, fonctionnaires d’État ou territoriaux) ont été financées par l’endettement public. Il atteint aujourd’hui le chiffre symbolique de 2 000 milliards d’€, se dirigeant ainsi rapidement vers les 100% du PIB. Le quinquennat de Hollande marque la fin ultime de ce type de socialisme car notre Président n’a plus aucune marge de manœuvre budgétaire pour distribuer les prestations publiques nouvelles qui sont la contrepartie attendue par les électeurs de leur vote socialiste. Le socialisme va perdre ses électeurs car l’illusion de son efficacité sociale se dissipe.
Mitterrand et Hollande
C’est en cela que Hollande est très inférieur à Mitterrand d’un point de vue strictement politique et hors de toute éthique. Hollande, comme Mitterrand, arrive au pouvoir en utilisant deux moyens : la dévalorisation de l’action et de la personne de son prédécesseur et les promesses de changement social. Ce qui les différencie réside dans la mise en œuvre du second moyen. Mitterrand sait qu’il possède une carte maîtresse pour réaliser ses coûteuses promesses électorales : l’endettement public. Valéry Giscard d’Estaing et Raymond Barre lui ont légué une excellente situation financière malgré le ralentissement de la croissance et la montée du chômage à la fin des années 70. La dette publique est de 21% du PIB en 1981 et le dernier budget voté sous le septennat de Giscard est à l’équilibre. Mais les prélèvements obligatoires ont beaucoup augmenté de 1974 à 1981 (plus de 6 points de PIB) afin de faire face à la montée très vive du chômage. Mitterrand utilisera systématiquement l’endettement public pour distribuer les avantages promis, faisant ainsi passer la dette de 21 à 55% du PIB.
En 2012, François Hollande sait qu’il ne dispose pas de cette possibilité, mais il espère un retournement conjoncturel. De 2008 à 2012, nous étions en situation de basse conjoncture. Avec un peu d’optimisme, on pouvait penser que le retournement aurait lieu rapidement, fin 2012 ou début 2013. Hollande rêvait de bénéficier du regain de croissance en provenance de l’extérieur qui avait beaucoup facilité la tâche de Lionel Jospin entre 1997 et 2002. Bien sûr, c’était avouer que l’on attend la solution du capitalisme mondial ou européen. Mais le capitalisme n’a pas daigné lui apporter la solution sur un plateau d’argent. La communication gouvernementale avait d’ailleurs choisi un autre discours, toujours en vigueur : l’Europe doit renoncer à « l’austérité » et l’égoïste Allemagne doit accroître son déficit public pour y contribuer. Aucune personne informée des réalités européennes et des modalités de décision dans les conseils des ministres de l’Union ne peut croire un seul instant à ces rodomontades médiatiques. Et comment imaginer qu’Angela Merkel accepte de creuser les déficits allemands pour les beaux yeux de Marianne ? Il s’agit évidemment de faire porter la responsabilité d’un éventuel échec de politique économique à l’Europe comme les politiciens français, de droite comme de gauche, en ont l’habitude.
Hollande n’a désormais aucune solution pour maintenir l’illusion idéologique qui consiste à financer les promesses socialistes avec la création de valeur capitaliste. Le socialisme à la française, axé sur le conflit, avec comme arrière-plan le vieux concept de lutte des classes, ne s’en remettra pas. En promettant trop dans un contexte économique difficile, ce Président a permis à de nombreux français de gauche de comprendre qu’il ne suffit pas d’élire un socialiste pour que, miraculeusement, leur situation s’améliore. Ils savent aujourd’hui que le socialisme n’est qu’un masque que l’on met pour le spectacle électoral comme les tragédiens de l’Antiquité grecque avant d’entrer sur la scène de l’amphithéâtre. La pièce est désormais jouée et les masques sont tombés. Le socialisme conflictuel à la française est mort.
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