TOUT EST DIT

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samedi 27 septembre 2014

L'autre crise grecque

En 2010, Christine Lagarde, ministre de l'économie, livre au gouvernement d'Athènes les noms de 2 059 Grecs possédant un compte en Suisse. Dans un pays qui a l'habitude de se mentir, il faudra attendre deux ans et l'audace d'un journaliste pour que le scandale éclate. Ce dernier révèle à OLIVIER BOUCHARA comment ce scoop a failli lui coûter la vie.

travers l’interphone, une voix féminine oppose une fin de non-recevoir : « Kóstas ? Désolée, il n’y a pas de Kóstas ici... » Le taxi n’est pas encore parti. Il vérifie l’adresse, relance le GPS. Le quartier, la rue, le numéro : a priori, pourtant, tout concorde. Il a fallu plusieurs semaines de tractations par mail pour décrocher ce rendez-vous à Agio Stéfanos, au fin fond de la banlieue d’Athènes. Allez, un dernier coup de sonnette pour la forme. « C’est bon, je descends », répond cette fois la femme. Elle apparaît quelques minutes plus tard, l’air contrarié, chemise froissée et brushing défait. « Suivez-moi. » Elle remonte la route principale, traverse une aire de parking, emprunte sans la moindre hésitation un chemin de terre. Il pleuviote, le ciel est bas, les maisons se ressemblent – façades en pierres apparentes et volets clos. Pas un commerce, pas une âme à la ronde, seulement des étendues d’oliviers. Au milieu du sentier, elle désigne un petit pavillon dénué de charme : « Votre Kóstas habite là. Je sais qu’il est menacé de mort mais quand même, il faudra lui dire de ne plus donner mon adresse. Si je n’avais pas été chez moi, vous l’auriez retrouvé comment ? »
Enfin, le voici. « Je vous attendais », lance-t-il simplement en ouvrant le portail. À côté de lui se tient un jeune homme vêtu d’un survêtement noir et d’un T-shirt blanc à l’effigie de Chuck Norris dans le film Invasion USA. La piscine est vide, le premier étage en travaux et trois molosses tournent autour de nous en reniflant nos mollets. « N’ayez pas peur », s’amuse le maître des lieux. La maison est à la fois son domicile et le siège du journal. Une première pièce, obscure et enfumée, sert de salle de rédaction. Une demi-douzaine de reporters y travaillent en silence, écouteurs vissés aux oreilles, dans une ambiance d’atelier clandestin. À première vue, la moyenne d’âge de l’équipe ne doit pas dépasser 35 ans. Il y a des trophées de journalisme exposés sur une commode, deux ventilateurs, autant de téléviseurs, des carnets de notes traînent un peu partout. Kóstas Vaxevánis m’introduit dans un salon à la décoration tout aussi hétéroclite : une table de réunion, un tapis de course, des poissons en bois verni sur les murs, des aquarelles de paysages marins. Pas de système de vidéosurveillance ? « Si, si, s’empresse-t-il de préciser. Vous ne les avez pas vues, mais il y a des caméras dès l’entrée. Je n’avais plus le choix. »
Longtemps, il a refusé de prêter attention aux lettres de menace qu’il recevait. Il considérait que cela faisait partie du job. Kóstas Vaxevánis a créé son propre magazine, Hot Doc, afin de pouvoir enquêter sur les responsabilités des élites politiques et économiques dans la crise grecque. Il ne cherchait qu’à sortir des scoops et à gagner des lecteurs, pas à se faire des amis. Dans la nuit du 8 au 9 septembre 2012, cinq inconnus se sont introduits chez lui. Il était 4 h 40 du matin. Il se rappelle avoir regardé le radio-réveil parce que sa chienne s’était mise à aboyer dans le noir. Il était seul, à l’étage. Par la fenêtre, il repère alors un grand costaud assis dans le jardin, quatre autres derrière la véranda. « J’étais tétanisé. À cause de l’obscurité, ils ne savaient pas que je les voyais. Je suis descendu, j’ai ramassé un bâton par terre et j’ai hurlé : “Dégagez, bande de bâtards, je vais vous défoncer !” Les voisins ont ouvert les volets et les gars ont détalé. J’ai appelé la police. » Les agents ont débarqué trois quarts d’heure plus tard, après s’être soi-disant « trompé de maison » dans une rue où personne ne s’est jamais perdu. À l’issue d’une brève inspection, ils ont conclu à une banale « tentative de cambriolage », pas de quoi s’inquiéter. Kóstas Vaxevánis n’en a pas cru un mot, mais il ne se doutait pas, à ce moment-là, qu’il aurait un jour la preuve qu’on avait cherché à l’assassiner.
À l’époque, Kóstas travaillait sur une affaire particulièrement sensible : l’histoire d’un mystérieux CD-ROM recensant les noms de plusieurs centaines de citoyens grecs qui détenaient un compte bancaire en Suisse. Une sorte de Who’s Who de l’évasion fiscale baptisé « liste Lagarde » par les médias helléniques – du nom de l’ancienne ministre française de l’économie Christine Lagarde, connue dans tout le pays depuis que, installée à la tête du Fonds monétaire international (FMI), elle avait férocement invité les Grecs à « s’entraider en payant leurs impôts » avant de réclamer des aides internationales. Cette remontrance avait suscité une vague de protestations mais l’ex-dame de Bercy savait apparemment de quoi elle parlait : à cette date, elle avait remis depuis longtemps le fichier compromettant aux autorités d’Athènes. Comme dans une nouvelle de Kafka, ceux qui avaient tenu le CD-ROM entre leurs mains juraient l’avoir transmis à quelqu’un d’autre, de sorte que plus personne ne savait où il était passé. Le ministre grec des finances, Giórgos Papaconstantínou, assurait en avoir remis un exemplaire à la police et un autre à l’un de ses collaborateurs, qui disait l’avoir ensuite égaré. Son successeur, Evángelos Venizélos, prétendait avoir hérité du fichier avant de l’oublier dans le tiroir d’un secrétaire. Et quand le premier ministre, Antónis Samarás, exigea de se faire remettre la sulfureuse liste, on s’aperçut qu’elle avait disparu sans raison des locaux de la brigade financière...
personnalités en rouge
Dans les premiers jours d’octobre 2012, le document atterrit miraculeusement chez le fondateur de Hot Doc, sous la forme d’une clé USB. « Je ne peux pas dire qui nous l’a transmis ; cela ferait courir trop de risques à cet informateur », prévient Kóstas Vaxevánis. Il se souvient d'avoir appelé Vivi Bloutsou, son assistante, pour lui lancer joyeusement : « C’est bon, on l’a ! » et précise qu’elle « n’en revenait pas ». Une fois chargé sur l’ordinateur, le fichier livre ses secrets sans résistance. Constitué de centaines de pages de tableaux Excel, il recèle toutes les données confidentielles archivées par la filiale suisse de la banque britannique HSBC sur ses clients grecs en 2009. Identités, adresses, professions, numéros des comptes, montants déposés. Au total, 2 059 bénéficiaires. Avec l’aide de Vivi, Vaxevánis examine méthodiquement la liste en surlignant les noms avec des feutres de couleur. En rouge, les personnalités ; en jaune, le tout-venant ; en vert, les prête-noms, comme ces épouses dévouées présentées comme « femmes au foyer » mais dont les comptes abritent des millions d’euros. Le journaliste appelle lui-même les rouges. « De quoi vous mêlez-vous ? » est la réponse la plus courante. Son équipe s’occupe des jaunes. Chaque conversation est enregistrée. « Plus on avançait, plus la pression montait, se rappelle Kóstas. Sur Internet, des blogs annonçaient que nous détenions la liste. Ils balançaient des noms au hasard. »



« Document sensible » : Un extrait de la « liste Lagarde » des 2 059 Grecs qui ont dissimulé des avoirs en Suisse. Et la couverture du numéro spécial de Hot Doc le 27 octobre 2012 qui a provoqué le scandale - Hot Doc Magazine
 
La machine à fantasmes s’emballe. Avant même que Hot Doc ne divulgue les noms, un flot de rumeurs envahit les médias, anime les conversations du Tout-Athènes, submerge bientôt le pays entier. Quelques semaines plus tôt, un site d’information a publié les noms de 36 hommes politiques censés être soupçonnés par la justice de fraude fiscale et de délits financiers. Certains journaux évoquent – sans les citer – d’autres listes : l’une comprendrait 50 000 citoyens grecs ayant transféré plus de 100 000 euros à l’étranger, une autre ferait le compte de ceux qui ont expatrié plus de 300 000 euros (leur nombre n’est pas précisé), une troisième, enfin, l’inventaire des propriétaires de biens immobiliers à Londres, Paris et New York depuis une décennie. Alors que la population subit la rudesse du plan d’austérité dicté par l’Europe et le FMI, chacun soupçonne son voisin, son patron ou le commerçant du coin d’être l’un de ces profiteurs cachés qui ont ruiné la Grèce. Pour que le pays soit innocent de sa propre faillite, il lui faut des coupables.
un cadavre dans un palace
La tension monte d’un cran à la mi-octobre, quand deux personnalités de la politique et des affaires sont retrouvées mortes. Leonidas Tzanis, avocat et ancien ministre, s’est pendu avec un câble électrique dans le garage de sa maison de Volos, cité portuaire de Thessalie d’où Jason et les Argonautes appareillèrent, selon la légende, à la conquête de la Toison d’or. Il n’a laissé aucune lettre pour expliquer son geste mais ses proches assurent qu’il ne supportait plus les soupçons dirigés contre lui. Peu après, c’est le corps de Vlassis Kambouroglou qui est découvert sans vie dans la chambre qu’il avait réservée dans un palace de Djakarta, en Indonésie. Ce négociant en matériel militaire était impliqué dans la vente de systèmes antimissiles russes à l’armée grecque, à l’occasion de laquelle une commission de 21 millions de dollars avait été versée via un réseau de blanchiment que pilotait un ancien ministre socialiste, emprisonné depuis. Bien que de nombreux articles l’aient affirmé, en Grèce comme dans la presse internationale, aucun des deux morts ne figurait en réalité sur le fameux fichier ; mais à la date de leur décès, il était impossible de le vérifier puisque le document n’avait pas encore été rendu public. (Certains experts ont supposé que l’un et l’autre pourraient avoir été dissimulés derrière l’une des 244 sociétés écran mentionnées dans le listing ; aucune enquête officielle n’en a apporté la preuve.)
Samedi 27 octobre 2012 : Hot Doc publie enfin la liste explosive. Les kiosques sont pris d’assaut. Le numéro 13 du bimensuel a beau avoir été imprimé à 100 000 exemplaires – plus de quatre fois le tirage habituel –, il est introuvable en quelques heures. En couverture, un photomontage sur fond noir montre Christine Lagarde regardant une clé USB rouge. À l’intérieur, le document est précédé d’un éditorial dans lequel Kóstas Vaxevánis multiplie les appels à la prudence : « Rappelons qu’il n’est pas illégal de déposer de l’argent en Suisse », « ceci ne signifie ni que ces individus sont des voleurs, ni qu’ils sont innocents »... Un long article retrace le ballet des responsables qui n’ont rien vu, rien fait. Suivent dix-neuf pages de tableaux. Le journal a choisi de ne pas divulguer les montants, mais les 2 059 noms y sont. Sans ordre apparent, ni alphabétique ni professionnel. Tel qu’il apparaissait sur le document original, selon les calculs du journal, l’ensemble de ces avoirs occultes aurait privé l’État de quelque 2,5 milliards d’euros de recettes fiscales – une étude réalisée en 2009 par un institut indépendant estimait à 27 milliards d’euros le total des fonds ­entreposés en Suisse par des citoyens grecs.


À feu et à sang : Émeute place Syntagma à Athènes, le 19 octobre 2011. Les manifestants protestent contre le plan d'austérité imposé par le FMI. - ARIS MESSINIS / AFP
 
Dans le détail, les professions libérales sont les plus représentées : des avocats, des médecins, des entrepreneurs, des architectes. Arrivent ensuite les grandes figures du monde des affaires : l’ex-directeur de la compagnie nationale d’électricité, DEH ; l’ancien président du principal opérateur de télécoms, OTE ; le dirigeant de la première chaîne de supermarchés du pays ; plusieurs membres de la dynastie d’armateurs Goulandris, dont la fortune dépasse celle des héritiers Onassis et Niárchos ; le célèbre bijoutier Ilias Lalaounis (mort en 2013), jadis proche du shah d’Iran et de l’archevêque Makários III (chef de l’Église orthodoxe chypriote et premier président de la République de Chypre) ; le magnat des médias Fotis Bobolas, fondateur de la chaîne Mega TV et éditeur de grands quotidiens nationaux. La liste apporte aussi son lot de surprises : un professeur d’économie de l’université d’Athènes à la réputation sans tache, un amiral à la retraite, le consul honoraire de Grèce en Finlande et même un couple d’employés du fisc au Pirée... Les lecteurs suffoquent même de découvrir l’animateur de télévision Yorgos Trangas, si apprécié pour sa simplicité et ses diatribes contre « les banques qui rackettent le peuple » – il commencera par nier, avant de reconnaître l’existence d’un compte en Suisse qu’il aurait fermé plus de dix ans auparavant.
Les politiques, eux, sont absents. À l’exception notable de l’épouse d’un ancien ministre de la défense, Yiánnos Papantoníou, on n’y trouve aucun représentant du pouvoir ni des partis. Seules des recherches généalogiques approfondies permettront par la suite d’établir qu’une dizaine de députés figurent bel et bien sur le document, dissimulés derrière une cousine, un oncle ou une belle-sœur. Après la parution du numéro de Hot Doc, la presse grecque transforme ce jeu des sept familles en partie de massacre. Même le prestige de Margaret Papandréou, surnommée la « mère de la nation » (son mari, Andréas, a fondé le parti socialiste grec et a été deux fois premier ministre) est bientôt souillé : certains journaux l’accusent d’être la principale fortune de la liste, sous le pseudonyme de Maria Panteli, présentée comme une simple fonctionnaire. Le quotidien To Vima affirme qu’elle aurait caché au fisc pas moins de 550 millions d’euros. « Mensonges ! répond son fils Geórgios, lui aussi ancien chef du gouvernement (de 2009 à 2011). Ma famille est prise pour cible dans un règlement de comptes politique. » À ce jour, la justice n’a retenu aucune charge contre les Papandréou. Kóstas Vaxevánis lui-même m’a dit douter du sérieux de ces accusations. Avec le recul, le journaliste a compris qu’on en révèle parfois trop dans un pays qui ne veut pas tout savoir.
Le jour de la parution, sur les coups de midi, le rédacteur en chef de Hot Docreçoit un appel de sa rédaction : des policiers en civil se sont présentés au journal, ils le cherchent. « J’ai dit à mes gars de gagner du temps et de ne surtout plus m’appeler, car mon téléphone devait être sur écoute », raconte-t-il. Son premier réflexe consiste à mettre sa fille de 20 ans à l’abri. Lui se réfugie chez des amis. Le lendemain matin, des agents se postent aux abords de la maison – preuve que son téléphone était en effet surveillé. Vaxevánis se connecte alors à Skype et enregistre une vidéo qu’il poste sur YouTube. La séquence dure six minutes. Plan fixe, voix grave. Il est vêtu d’une chemise à carreaux. « Trois véhicules de police et six ou sept officiers m’attendent dehors, énonce-t-il devant la webcam. Leur mandat est illégal (...). Ils sont à ma recherche au lieu de chercher la vérité. » Pour conclure, il « remercie tous ceux qui [le] soutiennent, y compris les fonctionnaires contraints d’exécuter des ordres injustes ». Puis il sort et se fait embarquer.
Le procureur a ordonné des poursuites à son encontre pour « diffusion de données privées ». Le journaliste se souvient qu’au commissariat où il était retenu, « certains enquêteurs passaient près de [lui] en chuchotant : “Bravo, tenez bon !” ». Il est remis en liberté dans la soirée. Son procès a lieu à peine quatre jours plus tard. Il encourt un an de prison ferme et une amende de 30 000 euros. Pour couvrir l’événement, les grands médias ­anglo-saxons (Channel 4, The New York Times, The Guardian) ont dépêché leurs correspondants. Ni la presse ni la télévision grecques ne sont présentes. Au bout de six heures de débats, le verdict tombe : Kóstas Vaxevánis est relaxé. Il peine à retenir son émotion. À la sortie du tribunal, devant micros et caméras qui l’attendent, il cite George Orwell : « Tout ce qui contribue à révéler la vérité que l’on cherche à cacher, c’est du journalisme ; le reste n’est que communication. »
tirs de kalachnikov
Gamin, Kóstas n’imaginait pas devenir journaliste. Il a grandi sur l’île volcanique de Lesbos, dans le nord-est de la mer Égée. Son père était maçon ; sa mère, au foyer : ils avaient eu trois fils, Kóstas en premier, peu avant la chute de la dictature des colonels, en 1974. À la maison, il fallait se montrer travailleur et discret. Chaque 17 novembre, on avait le droit de fêter la fin de la junte militaire, « mais pas trop fort non plus car mes parents avaient peur qu’ils reviennent ». À l’âge de 20 ans, il quitte l’île pour s’installer à Ioannina, une ville proche de la frontière albanaise, où il poursuit des études de mathématiques. Un jour, il apprend que le journal communiste local recherche un échotier. « Je me suis présenté, le job avait l’air intéressant, et c’est ainsi que j’ai commencé. »


Transmission de données : Christine Lagarde, alors ministre de l'économie, et son homologue grec Giórgos Papaconstantínou, en 2010. Celui-ci est aujourd'hui poursuivi par la justice pour avoir dissimulé la liste. - JOHN THYS / AFP
 
Très vite, il abandonne la presse écrite pour devenir reporter de guerre à la télévision. Les conflits le fascinent et le danger ne lui fait pas peur. Au Sud-Liban, il accepte de monter, les yeux bandés, dans une camionnette du Hezbollah, parce qu’on lui a promis un entretien avec un leader de l’organisation terroriste. Au Pakistan, peu après le 11-Septembre, il convainc le commandant des moudjahidines, Abdul Haq, de lui accorder sa première interview. Ce sera aussi la dernière : l’homme est tué le surlendemain dans un bombardement américain. « C’était fou, raconte-t-il. J’avais passé la journée en reportage, sans téléphone. En rentrant à l’hôtel, j’ai vu tous les messages sur mon portable. Le directeur de l’antenne hurlait : “Mais t’es où ? Allume la télé ! Abdul Haq est mort, tes images font le tour du monde.” »
Au milieu des années 2000, Kóstas Vaxevánis crée sa propre émission d’investigation, qu’il baptise La Boîte de Pandore, d’une référence provocatrice au mythe antique : désormais, il ne veut plus se contenter de filmer des soldats et des affrontements armés mais se battre lui-même sur un front intérieur. Il va enquêter sur les dérives cachées de la classe dirigeante. En 2009, il porte sur la place publique le scandale des arrangements fiscaux et immobiliers du monastère orthodoxe de Vatopedi, situé sur le territoire autonome du mont Athos. Non seulement l’institution religieuse était exonérée de toute taxe, mais un échange de terrain avec l’État lui a permis de dégager un bénéfice de 100 millions d’euros. Deux ministres sont mis en examen. Le gouvernement de Kóstas Karamanlís (centre droit) est contraint de démissionner pour convoquer de nouvelles élections – qu’il perd.
Loin de tirer profit de ses révélations, Vaxevánis découvre peu à peu les subtilités de la censure soft : « La direction ne cessait de réduire notre temps d’antenne. Bien sûr, ce n’était jamais formulé de façon explicite. Un jour, le programme d’avant durait plus longtemps et empiétait sur le nôtre. Un autre, on nous refusait des moyens pour un reportage en Irak. Ça devenait intenable. » Comme dans la légende, la boîte de Pandore doit être refermée avant qu’elle ne laisse échapper trop de calamités.
La Grèce vient alors d’entrer dans une période de fureur et de fracas. Pendant la campagne des élections législatives de 2009, Geórgios Papandréou, le leader socialiste, a promis de débloquer 2 milliards d’euros pour relancer l’économie. Le 23 avril 2010, cinq mois et demi après sa victoire, c’est le choc : la mine défaite, le premier ministre annonce que le pays est au bord de la faillite. Ses prédécesseurs s’étaient arrangés avec les banques pour maquiller les statistiques officielles. Inflation, dette publique, déficits : tout était faux. On découvre alors que depuis des décennies, les responsables politiques truquaient les principaux indicateurs pour que la Grèce puisse garder sa place au sein de l’Union européenne – c’était la condition sine qua non pour continuer à percevoir les subventions de Bruxelles. On prétendit, par exemple, que le déficit budgétaire se maintenait à 3,7 % du PIB ; après rectification de l’agence Eurostat, il s’élève d’un seul coup à 13,6 %.
Giórgos Papaconstantínou était à ce moment-là un solide et prometteur ministre des finances. Un négociateur madré et élégant, diplômé de la prestigieuse London School of Economics et de l’université de New York, s’exprimant parfaitement en anglais et en français. Au journaliste Michael Lewis, grande plume du Vanity Fair américain, il a raconté (en octobre 2010) le sentiment de vertige qui l'a saisi lors de son arrivée aux affaires. « Deux jours après ma prise de fonction, j’ai réuni tout le monde pour analyser le budget et nous avons commencé ce “processus de fouilles” », expliquait-il. Chaque jour, ses conseillers découvraient un nouveau trou de plusieurs milliards d’euros. « Le soir, je disais à mes équipes : “Messieurs, est-ce que c’est bon pour aujourd’hui ?” “Oui”, me répondaient-ils. Le lendemain matin, une main timide se levait au fond de la salle : “En réalité, monsieur le ministre, il y a encore un problème sur 100 à 200 millions d’euros...” »
La chute du pays est inexorable. Berceau de la démocratie, la Grèce était devenue le royaume de l’opacité. Elle doit payer pour ses mensonges. Au mois d’avril 2010, le gouvernement demande l’aide de l’Union européenne et du Fonds monétaire international (FMI) pour éviter la banqueroute. Le désastre menace toute la zone euro. Une première enveloppe de 110 milliards d’euros est accordée. En contrepartie, le pays est contraint d’adopter un plan d’austérité drastique, sous la surveillance de la « troïka » formée par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le FMI. Le traitement des fonctionnaires est réduit d’un tiers, le salaire minimum de près d’un quart, retraites et prestations sociales se voient taillées en pièces, 15 000 emplois publics sont supprimés. Le chômage, qui touchait 12,5 % de la population active en 2010, double en deux ans et frappe près de 60 % des jeunes. Accusés d’avoir bradé le pays, les politiques sont désavoués. Les deux grands partis – le Pasok à gauche, Nouvelle Démocratie à droite – subissent la pression des extrêmes. Bientôt, l’équivalent grec du Front de gauche, Syriza, obtiendra presque 27 % des suffrages aux élections européennes, tandis que le parti néonazi Aube dorée attirera plus de 9 % des voix. En attendant, le chaos se répand dans les rues, chaque manifestation finit en émeute. Les banderoles le cèdent aux cocktails Molotov. On brûle des banques, des hôtels de luxe, on tire à la kalachnikov sur les bâtiments de l’État. Au mois de mai 2010, trois personnes meurent dans l’incendie d’une agence bancaire à Athènes.
Aujourd’hui, la violence de cet effondrement et la cruauté du déclassement se lisent encore sur les murs de la capitale. Aux vestiges antiques se sont ajoutées les ruines nouvelles : les façades néoclassiques calcinées et couvertes de graffitis. Les services de propreté de la ville ne tentent même plus de les effacer. Ici, le portrait d’un gosse de 15 ans tué lors d’affrontements avec la police. Là, un graffiti appelle à « éliminer les chiens qui tiennent les banques ». Il règne un climat d’insurrection permanente, renforcé par la présence d’unités antiémeutes sur les grandes places. Un soir, je me suis retrouvé par hasard au milieu d’un cortège qui remontait vers le Parlement. Dans la foule, une majorité de jeunes révoltés, barres de fer à la main et visages dissimulés sous des foulards. J’ai demandé à un policier si ces manifestants étaient de gauche ou de droite. Il a relevé la visière de son casque, hésité un instant et m’a répondu : « Extrême gauche, je crois. » Avant d’ajouter : « Oui, ça me revient. L’extrême droite, c’est demain. »
L’ennemi sans visage
Vasílis Vasilikós esquisse un sourire triste : « Je ne comprends plus ce pays. Depuis la crise, trop de choses ont changé. » Le grand écrivain grec m’a donné rendez-vous dans un vieux café de la capitale pour parler de son ami Kóstas. On visite comme un oracle l’auteur de Z, chef-d’œuvre écrit à la fin des années 1960 pour dénoncer la dictature des colonels – et porté à l’écran en 1969 par Costa-Gavras, avec Yves Montand et Jean-Louis Trintignant. C’est un vieil homme de 79 ans qui porte un feutre mou, marche avec difficulté – mais sans canne. Il n’y a personne autour de nous, à part un client bedonnant qui braille au téléphone et à qui l’intellectuel demande de parler un peu moins fort – « l’Athénien typique, il se croit seul au monde », relève-t-il avec cruauté.
Vasilikós et Vaxevánis se connaissent depuis longtemps. L’écrivain dit admirer chez le journaliste sa façon « d’affronter le présent, même quand il ne cesse de se dérober ». Lui-même avoue avoir renoncé à écrire pour des raisons qu’il qualifie de « techniques » mais qui s’apparentent à la panne d’inspiration : « Avant, nous avions un ennemi précis : l’extrême droite, la dictature. » Il pose sa pipe sur la table. « Aujourd’hui, nos problèmes viennent surtout de la banque et de la finance. Comment décrire un ennemi qui n’a pas de visage ? » Une chose continue de l’intriguer chez Kóstas Vaxevánis et il tient à en parler : son rapport à la mort. Il y a quelques années, alors qu’il animait une émission littéraire à la télévision publique grecque, Vasilikós avait reçu le journaliste, qui venait d’écrire un roman à clé, intituléL’Homme du mur, publié en 2012. C’était l’histoire d’un reporter qui s’intéressait aux malversations d’un puissant industriel des télécommunications. Tout était précis et conforme à la réalité, en particulier le personnage objet de l’enquête, directement inspiré de Sokrátis Kókkalis, PDG du groupe Intracom et considéré comme l’un des hommes les plus riches de Grèce. Tout, sauf la fin : le journaliste est ciblé par des tueurs à gages. Il ne meurt pas mais finit paralysé, sur une chaise roulante. « Après l’émission, je lui ai demandé si c’était ainsi qu’il imaginait sa propre fin, se souvient Vasílis Vasilikós. Il a regardé ailleurs et n’a pas répondu. Quand vous le verrez, s’il vous plaît, reposez-lui la question. »
sous surveillance
Au mois de février 2012, Kóstas Vaxevánis convoque l’équipe de La Boîte de Pandore. Il explique que les conditions d’exercice du journalisme ne sont plus réunies à la télévision : trop de conflits d’intérêts avec les annonceurs, trop d’enjeux financiers. Pour retrouver la liberté d’enquêter, une seule solution : créer un nouveau titre de presse, offensif et indépendant – offensif car indépendant. Ses collaborateurs sont perplexes. Certes, ils écrivent des articles sur le blog de l’émission, mais aucun d’eux ne sait comment on fabrique un journal. Vaxevánis investit 5 500 euros de sa poche pour l’achat du papier. Il choisit un titre accrocheur, à consonance internationale, qui résume son intention : Hot Doc (« Document sensible »). Surtout, il annonce que le premier numéro paraîtra le 20 avril. Cela ne laisse que deux mois pour tout inventer. « Ils m’ont pris pour un fou, s’amuse-t-il a posteriori. En réalité, j’ai donné cette date pour éviter les discussions sans fin sur la pertinence de monter un magazine. Là, nous avions un objectif précis. » Le délai sera tenu, à quelques jours près.
Hot Doc paraît le 26 avril 2012. Le succès est immédiat. Plus de 20 000 exemplaires sont vendus en quelques jours, sans campagne publicitaire ni relais médiatique. Dans un pays où la presse donne plutôt dans le « journalisme de validation », ce magazine d’investigation a valeur de manifeste. Ses rédacteurs se flattent de refuser les publicités des banques et des établissements financiers. Les couvertures ont du relief, la maquette est soignée, les dossiers sont longs et fouillés. Dès les premiers mois, le bimensuel multiplie les révélations, comme les commissions occultes perçues par l’ancien ministre de la défense Ákis Tsochatzópoulos, ou les liens de l’ex-premier ministre Konstantínos Karamanlís avec la CIA dans les années 1980.
Vaxevánis ne pavane pas pour autant. Il se sent « sous surveillance ». Quand il se déplace dans le centre d’Athènes, il lui semble parfois détecter « une présence » sur ses talons. Son téléphone fonctionne mal. Les SMS ne lui parviennent pas toujours. Ses communications sont de plus en plus souvent interrompues, y compris lorsque le réseau paraît excellent. Bientôt, un étrange document circule sur le Web. Le 23 mai 2012, un blog anonyme publie une sorte de récépissé selon lequel le fondateur de Hot Doc aurait reçu 50 000 euros des services secrets grecs. Avec la signature du journaliste. Pour ses ennemis, c’est la preuve que Vaxevánis ne serait qu’un espion infiltré dans les médias. « Je me fichais pas mal des rumeurs, confie-t-il. Quand je travaillais à la télévision, on disait déjà que je touchais 20 000 euros par émission, c’est-à-dire le coût de la production. Je voyais que nos enquêtes dérangeaient et cela suffisait à mon bonheur. »
plan b : « vous tuer »
Dès le printemps 2012, un nouveau sujet l’obsède : cette mystérieuse liste des évadés fiscaux grecs. Après une première série de recherches, il comprend que le document provient en réalité d’un listing de 127 000 clients de HSBC dérobé par un informaticien de la banque, un Franco-Italien nommé Hervé Falciani. Un mot sur ce personnage dont le rôle exact fait encore l’objet d’enquêtes judiciaires et policières en Suisse. Dans un premier temps, il a proposé son document à d’autres établissements financiers. Le 2 février 2008, il s’est rendu à Beyrouth pour rencontrer des cadres de divers établissements financiers, en compagnie d’une amie franco-libanaise, Georgina Mikhael. Leur discours était rodé, a-t-elle raconté au procureur de Berne les 9 et 10 mars 2010. Falciani se faisait appeler Ruben al-Chidiack, histoire de faire couleur locale, et se présentait comme le directeur des ventes d’une société ad hoc baptisée Parlova. Georgina se disait chargée des relations publiques. Mais rien ne s’est passé comme prévu : lors du rendez-vous à la banque Audi, leurs interlocuteurs n’ont pas tardé à éprouver des doutes sur ces deux inconnus qui se vantaient de détenir autant d’informations. Peu après cette entrevue, ils ont donné l’alerte auprès de l’Association suisse des banquiers. Et la brigade financière de Genève a commencé à enquêter discrètement sur Falciani.
Le 22 décembre 2008, le jeune homme est arrêté par la police suisse. Perquisitions, interrogatoire. Après quelques heures, il demande une permission pour apporter des soins à sa fille gravement malade. Les enquêteurs acceptent, à la stricte condition qu’il se représente au siège de la police le lendemain matin. Ils ne le reverront pas. Durant la nuit, il part avec femme et enfant en voiture pour se réfugier dans la maison de ses parents à Castellar, un village médiéval situé près de Menton, à la frontière italienne. Les autorités helvétiques lancent un mandat d’arrêt international à son encontre. Falciani n’a toutefois rien à craindre : ni la France ni l’Italie n’extradent leurs ressortissants.
À Nice, le procureur Éric de Montgolfier, magistrat médiatique qui ne déteste pas mettre en scène sa pugnacité face aux puissants, devine l’ampleur de l’affaire. Au début de 2009, il ouvre une enquête. Falciani accepte de coopérer – « sans contrepartie financière », ne cessera-t-il de répéter. Dans le plus grand secret, la liste va circuler entre le palais de justice de Nice et la direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF). Sur les 127 000 noms apparaissent 6 300 Français dont quelques célébrités listées par Le Monde et le magazine Challenges : l’opticien Alain Afflelou, le cuisinier Paul Bocuse, le psychanalyste Gérard Miller, l’homme de confiance de Liliane Bettencourt, Patrice de Maistre, le cinéaste Cédric Klapisch, l’ex-préfet Jean-Charles Marchiani ou encore Arlette Ricci, petite-fille de la couturière Nina Ricci.
À Bercy, Éric Woerth, alors ministre du budget, s’empare du document avec habileté pour attester les efforts du gouvernement contre la fraude fiscale. Après un tri minutieux effectué par ses services, il évoque le 30 août 2009, sur RTL, la découverte « de 3 000 contribuables détenteurs de comptes dans les banques suisses dont une partie correspond très probablement à de l’évasion fiscale ». En novembre 2010, quand Éric Woerth quitte le gouvernement – principalement à cause de son implication dans l’affaire Bettencourt –, la ministre de l’économie, Christine Lagarde, hérite du fichier. Elle décide alors de transmettre la partie concernant les ressortissants grecs à son homologue Giórgos Papaconstantínou. La remise se fait en marge d’un sommet de l’Eurogroupe (composé des ministres des finances des États membres de la zone euro). À Athènes, le CD-ROM passe de main en main, provoquant stupeur et embarras. « Au moins deux ministres grecs plus la police financière ont reçu ce listing, résume Kóstas Vaxevánis. Ils n’en ont rien fait. Cette idée me rendait dingue. »
La fin de son enquête vire au thriller. Un mois et demi avant la publication du fichier, l’irruption nocturne de cinq hommes dans sa maison achève de convaincre le journaliste qu’il flirte avec les limites. A-t-on voulu l’intimider pour le dissuader d’aller au bout de ses recherches ? Savait-on qu’il était sur le point d’aboutir ? Lui-même ne peut l’affirmer. Grâce à un témoin providentiel, il sait que le cambriolage n’en était pas un.
Le 17 septembre 2012, une femme d’une trentaine d’années se présente au siège de Hot Doc. Elle dit s’appeler María et prétend avoir des « révélations » à faire. Il y a six mois, confie-t-elle, elle travaillait pour une agence de sécurité privée dirigée par d’anciens militaires grecs et macédoniens. L’équipe dont elle faisait partie avait reçu deux missions : neutraliser l’ex-dirigeante d’une banque grecque, qui menaçait de dévoiler des secrets internes ; discréditer le fondateur de Hot Doc. Pour la banquière, le plan était simple : María et ses complices devaient enterrer des sachets de drogue dans le jardin de sa résidence secondaire puis appeler la police pour la dénoncer. Si elle se décidait à parler un jour, sa crédibilité serait entamée. Pour Kóstas Vaxevánis, le travail était déjà en cours, lui explique María. Photos à l’appui, elle lui révèle que ses bureaux ont été visités. Elle avoue aussi être l’auteur du fameux récépissé de 50 000 euros : « J’ai même imité votre signature », ­précise-t-elle.
Le journaliste fait mine de garder son sang-froid. Il l’interroge sur les raisons qui l’ont poussée à sortir du silence. Elle répond qu’elle s’est résolue à quitter l’organisation après l’assassinat de l’un de ses chefs à Skopje, capitale de la Macédoine : « La situation devenait trop dangereuse. » Ce qu’elle a dit ensuite est resté gravé dans la mémoire de Kóstas Vaxevánis : « L’autre jour, en entendant votre histoire de cambriolage à la radio, je me suis souvenu que nous avions aussi un plan B à votre sujet.
– C’est-à-dire ?
– Vous éliminer. »
« J’étais glacé d’effroi, souffle-t-il. J’ai fait examiner sa signature par un graphologue et j’ai vérifié ce qu’elle avançait. Elle disait la vérité. Alors j’ai porté plainte. » Deux semaines plus tard, au moment de récupérer la liste Lagarde, Kóstas n’a pu s’empêcher de penser au récit de María. Et si ses anciens sbires revenaient ? Il dit cependant n’avoir pas hésité : il fallait publier le document.
La moitié des comptes vides
Que reste-t-il de ce scoop aujourd’hui ? Des insomnies, des haines tenaces et des regrets. Au mois de juin, le site d’information Greek Reporter assurait que 500 personnes avaient fait l’objet d’enquêtes fiscales. Le directeur du SDOE, la brigade financière grecque, précisait que plus de la moitié des comptes figurant dans la liste étaient vides. Kóstas Vaxevánis balaie cet argument avec ironie : « Au moment où ils se sont décidés à enquêter, les policiers n’ont donc pas trouvé d’argent ? Quelle surprise ! La vraie question, c’est de savoir combien de millions ont transité sur ces comptes avant d’être vidés. » Il ajoute : « En réalité, hormis la TVA sur les ventes exceptionnelles du numéro de Hot Doc, l’État n’a pas eu de rentrées fiscales supplémentaires grâce à cette liste. » Le Parlement a formé une commission d’enquête mais son rôle n’a guère été décisif. Le 29 mars 2013, le journaliste a été auditionné pendant six heures et demie par cette honorable assemblée. Face aux députés, il s’est posé à voix haute la question de leur impartialité : « Au moins trois d’entre vous ont des parents dans cette liste. Qui peut croire un instant que vous allez mener cette enquête jusqu’au bout ? »
Seul l’ancien ministre des finances, Giórgos Papaconstantínou, fait aujourd’hui l’objet de poursuites – il est accusé d’avoir dissimulé et falsifié le listing pour protéger trois de ses proches qui y figuraient. Le Pasok l’a exclu et il encourt une peine de trois ans de prison. « Certains veulent faire de moi le bouc émissaire de tous les péchés de l’après-dictature mais je n’ai pas fait fortune dans la politique, s’est-il défendu. Je n’ai pas de compte en Suisse ni de société immatriculée dans un paradis fiscal. » Kóstas Vaxevánis est d’accord avec lui sur un point : « Papaconstantínou n’était ni pire ni meilleur qu’un autre. Il a servi de fusible. »
En novembre 2013, le rédacteur en chef de Hot Doc a été à nouveau relaxé en appel des poursuites intentées contre lui après la publication de la liste. María – si tel est son vrai prénom – a été autorisée à bénéficier du programme de protection des témoins. Elle a raconté son histoire à un juge d’instruction et, grâce à ce récit, six membres de l’officine qui l’ont recrutée ont été arrêtés au début de l’année. Kóstas Vaxevánis, lui, est toujours à la tête de son magazine, tout en travaillant à l’écriture d’un essai consacré à la crise grecque. Avant de le quitter, j’ai pensé à lui poser la question qui brûlait les lèvres de Vasílis Vasilikós. Imagine-t-il ses derniers jours dans une chaise roulante, à l’image de son personnage dans L’Homme du mur ? Il a paru surpris et a formulé cette réponse : « Je ne veux pas penser au danger. La peur ne doit pas dominer mon esprit. » Comme j’insistais, il a simplement laissé échapper : « Je n’aime pas les fins. »  

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