vendredi 12 septembre 2014
Aquilino Morelle, Thomas Thévenoud : l'honneur a-t-il disparu de la politique ?
Alors que les révélations se multiplient sur les errements de l'éphémère secrétaire d'Etat Thomas Thévenoud, Thibaud Collin s'interroge sur la valeur accordée par le personnel politique à l'honneur.
L'affaire Thévenoud est un cas d'école dont Molière se serait probablement délecté! On peut bien sûr regarder tout cela avec une sorte de fatigue nauséeuse et penser que ce n'est ni le premier ni le dernier à être pris dans les filets de l'hypocrisie, de la malhonnêteté et d'une sorte d'arrogance visant au comique. Sorte de répétition en mode mineur de
l'affaireCahuzac, avec certes la circonstance aggravante que Thévenoud a quand même siégé dans la commission Cahuzac chargée de statuer sur d'éventuels dysfonctionnements de l'Etat dans cette affaire. On peut aussi prendre cette énième affaire comme le signe d'une décomposition de notre classe politique. Mais un peu d'histoire nous enseigne que la malhonnêteté du personnel politique est vieille comme le monde. Notre société fébrile répond à chaque scandale de ce type par un flot de discours appelant à toujours plus de transparence comme si la transparence suffisait à régler le problème. Car finalement quel est le problème si ce n'est un problème vieux comme le monde, en l'occurrence de nature morale? La morale a pour objet l'usage que chacun fait de sa liberté. Vers quoi orienter son agir? A partir de quel critère discerner ce que j'ai à faire? Voilà des questions que tout être humain se pose plus ou moins explicitement. Les politiques comme les simples citoyens.
Les questions que suscite l'affaire Thévenoud sont donc des questions qui se posent à chacun. Il en va de même pour l'affaire Aquilino Morelle et ses incroyables confidences au Point qui ajoutent l'indécence à l'inconséquence. Certes les représentants du peuple, les serviteurs de l'Etat doivent être exemplaires. Mais jusque dans leurs turpitudes ils le demeurent! Ce sont comme des miroirs grossissants dans lesquels chacun de nous peut se regarder et procéder à un examen de conscience personnel et collectif. C'est une occasion à saisir. Cette exemplarité à l'envers révèle que spontanément nous attendons de nos proches et de nos concitoyens qu'ils soient fiables, que leurs paroles soient dignes de foi. Mais quel est le motif d'une telle attitude? Sur quoi raisonnablement s'appuyer pour faire confiance aux autres? La réponse que notre société saturée d'utilitarisme nous fournit spontanément est la suivante: c'est l'intérêt bien compris de chacun d'apparaître comme quelqu'un de fiable. Ainsi si je peux faire confiance à ce que l'autre me dit qu'il soit député, ministre, commerçant ou collègue de travail, c'est qu'il n'a aucun intérêt à me mentir car tôt ou tard il en subira les conséquences dommageables. C'est ce que l'on peut nommer la justice immanente: chacun finit toujours par recevoir du réel la sanction de ses actes car chacun est embarqué dans la condition humaine ayant des limites qu'il ne peut nier indéfiniment.
Tout cela n'est pas faux et même se vérifie facilement. Néanmoins ce motif est-il à la hauteur de son objet? Sur quoi fonder la véracité de la parole, véracité à l'aune de laquelle le mensonge et l'hypocrisie apparaissent comme rompant le lien humain élémentaire? La confiance en la parole de l'autre ne repose-t-il pas ultimement sur le sens de l'honneur? On croit l'autre car on le considère comme un homme d'honneur, c'est-à-dire comme réglant son agir sur autre chose que le seul calcul de son intérêt bien compris. En effet, l'honneur est ce qui mérite l'estime morale. Tenir son rang non pas au sens social du terme mais se mouvoir dans cette sphère morale qui constitue l'oxygène de toute vie humaine digne de ce nom. Le ressort qui nous pousse à obtenir et à préserver l'estime des autres est justement le désir d'être reconnu par des gens honorables. Cette forme de cooptation est au cœur de l'éducation. Ainsi mettre son point d'honneur à poser tel acte présuppose que la mesure de notre comportement est d'un autre ordre que nos passions, nos envies ou nos calculs. Compris à partir de l'honneur, l'usage social et politique de la parole nous conduit au cœur de la grandeur propre à l'être humain. Celui-ci est effectivement un être capable de se dépasser pour rester fidèle à ce à quoi il s'est engagé et aux exigences de sa condition. Mais pourquoi se dépasser si cela nécessite souffrance, inconvénient, déplaisir etc. si ce n'est pour vivre en étant digne de son humanité?
Puisse donc l'affaire Thévenoud être l'occasion de revenir en soi-même pour y discerner le motif de nos paroles, de nos actes et de la confiance que nous accordons à ceux d'autrui. Le fondement d'une société vivable est la civilité mais le fondement ultime de la civilité est la dignité attachée à l'humanité comme telle. Etre humain n'est pas l'objet d'un choix mais vivre à la hauteur de son humanité en est un. Mettre son point d'honneur à tenir sa parole, voilà ce à quoi peut nous inviter le cas Thévenoud.
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