mercredi 11 juin 2014
SNCF, taxis, intermittents : les derniers feux du corporatisme à la Française
En 1960, Jacques Rueff avait été chargé par le Général de Gaulle d'identifier les blocages de l'économie française: parmi d'autres, l'économiste libéral avait relevé que «la limitation réglementaire du nombre de taxis nuit à la satisfaction de la demande et entraîne la création de «situation acquises». Un demi-siècle plus tard, la situation n'a pas changé. Et pour cause! A chaque tentative de réforme, les taxis se sont mobilisés. Et ils ne sont pas seuls!
En ce mois de juin, le retour du beau temps emporte avec lui toute une flopée de protestataires: intermittents, cheminots... Comme toujours, serait-on tenté d'ajouter. Il faut les comprendre ; les grévistes du printemps 2014 ont des inquiétudes sincères: les réformes en cours vont altérer - souvent à la marge - les forteresses qui les protégeaient. Personne n'aime perdre son confort. Pour autant, ces réticences n'enlèvent rien au fait que nos grévistes se battent pour des rentes qui servent une minorité mais sont collectivement inefficaces.
Ces combats d'arrière-garde sont le reflet d'une France à bout de souffle.
Une France exsangue et en faillite. Les régimes si généreux et protecteurs dont bénéficient nos grévistes datent d'une autre époque. D'un temps où la France vivait de manière dispendieuse: quand elle pouvait se payer le luxe de financer les rentiers pour entretenir la paix sociale. Qu'importe que les intermittents bénéficient d'aides, puisque la croissance était là pour remplir les caisses. Qu'importe également, que les taxis soient protégés par une réglementation qui nuit à l'emploi, puisque le dynamisme économique créait de l'activité ailleurs.
Le problème, c'est que le chômage a explosé et que l'Etat est ruiné. L'inaction des Gouvernements successifs et l'effet conjugué des défenseurs des privilèges acquis nous ont conduit dans l'impasse. Les grévistes font mine de l'ignorer, mais le système qu'ils défendent est en train de mourir faute d'avoir été soigné.
La France s'est enfoncée doucement, mais sûrement. Jusqu'à la révolution numérique, qui a constitué un choc brutal. Les débuts de la mondialisation avaient constitué une première alerte, mais internet est aujourd'hui le plus clair révélateur des archaïsmes français: son extraordinaire dynamisme confronte avec une violence crue nos réglementations dépassées à leurs limites, et pour tout dire, à leur absurdité.
Une France également craintive et fragile. Une société de rentiers est sclérosée et statique: puisque chacun défend son pré-carré en veillant à bien le clore derrière soi, tout le monde pressent que s'il perd sa portion de privilège, il ne retrouvera que des portes fermées. L'avenir est nécessairement angoissant, puisqu'il pourrait apporter du changement et bouleverser l'équilibre fragile des rentes. Dans une société de rentiers, les opportunités et le mérite n'existent pas: seules comptent la cooptation et les accointances sociales. Alors tout le monde se bat, avec hargne, pour retenir ses miettes d'Etat-Providence, acheter sa charge et conserver ses droits de tirage.
Nos grévistes ne sont pas les seuls coupables, ni les seuls responsables. Dans un système organisé autour de l'Etat, il incombait aux élites administratives et politiques de prendre la mesure des défis. Elles ne l'ont pas fait. Le système politique en paie le prix.
Aujourd'hui, dans la rue les marches des grévistes ressembleront à une marche funèbre. Celle d'un modèle dit «social» qui a conduit à sa propre perte, délitant au passage la société française. Les protestataires prétendent construire un monde pour demain, alors qu'ils s'inclinent devant un univers qui disparaît. Leurs revendications sont d'autant plus virulentes qu'il est probable qu'au plus profond d'eux-mêmes, ils réalisent que ce tour de piste est l'un des derniers. Sur le pavé de Paris, leurs chants résonnent comme des requiems.
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