mardi 10 juin 2014
Les djihadistes traquent nos faiblesses
Nemmouche et ses semblables ne combattent que des adversaires désarmés. Un État de droit n’est pas nécessairement sans défense : voyez Israël.
Droit au silence ! Le djihadiste Mehdi Nemmouche ne répond pas aux enquêteurs ? Ce sont les faits qui parlent pour lui. Le samedi 24 mai, jour de sabbat, un homme, dont on ne sait pas encore que c’est lui, pénètre dans le hall du musée Juif de Bruxelles ; il va ouvrir le feu avec un fusil d’assaut, tirer une douzaine de balles sur quatre personnes sans défense, un couple d’Israéliens, un employé, une bénévole française. Il tente de filmer la scène (comme Merah à Toulouse) ; sa caméra ne fonctionne pas, mais il est filmé. Son but est atteint : le massacre antisémite fait le tour de la planète. Il a disparu, sans risques.
Pendant une semaine, les services de police et de renseignements rassemblent tout ce qu’ils ont. Et puis, le vendredi 30, à la gare routière de Marseille, une interpellation. Au cours d’un contrôle “inopiné”, une équipe de douaniers intercepte dans un autocar venu d’Amsterdam via Bruxelles un suspect de 29 ans, né à Roubaix, détenteur d’une kalachnikov, d’un revolver et de leurs munitions. Que venait-il faire à Marseille avec ses armes : s’en servir pour un autre attentat, les remettre sur le marché ? Ce qui intrigue le député Guy Teissier, président de la communauté urbaine Marseille Provence Métropole et officier de réserve, c’est l’attitude du suspect : il se laisse interpeller sans résistance. Il tue à Bruxelles des gens désarmés, mais il se rend aux douaniers qui, eux, sont armés. “Un lâche, pas un héros”.
Dès cette arrestation, les enquêteurs ont vite fait d’obtenir le casier judiciaire de Nemmouche : sept condamnations en dix ans, la première quand il était mineur, la récidive ensuite, vols, agressions, braquage, cinq ans de prison. Beau parcours de délinquant dans un environnement complaisant : « On lui donnait le bon Dieu sans confession », dit au Monde l’ancien adjoint socialiste du maire de Tourcoing ; ses proches le décrivent, comme toujours, « calme », « discret », « sans histoires ». On nous dit alors qu’il s’est « radicalisé » en prison.
Mais cela ne se fait pas tout seul. Il y faut des réseaux, des prédications, une hiérarchie de caïds islamistes et un bon “terrain” pour pouvoir transformer un voyou imprégné de culture orientale en djihadiste — comme ce fut le cas pour Merah, le tueur de Montauban et Toulouse. L’islamisme fait là un investissement à long terme, devant lequel les aumôniers musulmans réguliers sont sans prise. À sa sortie de prison, le converti au djihadisme part en “stage” en Syrie pour y achever sa formation au combat, avant de revenir conduire la “guerre sainte” contre les “croisés” et les “infidèles”.
De retour en Europe, ces djihadistes, dont Nemmouche n’est qu’un profil analogue à des centaines d’autres, viennent traquer les faiblesses de nos États de droit. Eux profitent de frontières transparentes, des réseaux Internet, de l’argent produit par les trafics ou des circuits originaires du Golfe ; ils redoutent moins les policiers qui les interrogent que “le regard d’Allah”, portés par l’exaltation de la force. L’environnement dans lequel ils baignent, au coeur de nos pays européens unis par une même culture de l’excuse, est d’un confort incomparable par rapport à celui qu’ils ont expérimenté durant leurs “stages”.
Jean-Louis Bruguière, qui a passé vingt-deux ans de sa vie de magistrat à la tête du pole antiterroriste du parquet de Paris avant d’être renvoyé à la vie privée par la gauche parce qu’il avait travaillé pour Sarkozy, estime que nos services de police et de renseignement sont parmi les tout meilleurs du monde. Les équipes d’Al-Qaïda qui montèrent les attentats du 11-Septembre avaient reçu pour instruction de ne jamais passer par le territoire français. Mais la compétence de ces services et la qualité de leurs informations n’empêchent pas qu’ils soient soumis à des règles strictes, qu’ils ne puissent pas intervenir à leur gré ni poursuivre à l’étranger et qu’ils passent le tiers de leur temps à justifier leurs enquêtes. Et pourtant, la législation française en matière d’antiterrorisme est l’une des plus rigoureuses d’Europe — où le dispositif général de Schengen est impuissant.
« Nous les combattrons, nous les combattrons », répète François Hollande en parlant des djihadistes. Mais s’il conduit effectivement une guerre contre l’islamisme, alors il faut mettre le paquet, et un paquet dissuasif, pour couper ses sources dans notre société, cesser d’être ingénu devant l’expansion des mosquées radicales, placer la Turquie devant ses responsabilités, etc. Nemmouche et ses semblables ne combattent que des adversaires désarmés. Un État de droit n’est pas nécessairement sans défense : si tant de jeunes juifs français partent ou se préparent à partir pour Israël, c’est parce qu’ils se sentent mieux protégés dans ce pays qui n’en est pas moins un État de droit.
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