mercredi 18 juin 2014
François Hollande : mon ennemi, c'est le socialisme !
S'il est un domaine qui s'est vu retirer toute influence socialiste, c'est bien le domaine économique. Les cadres judiciaire, social, ou éducationnel par exemple de la politique gouvernementale conservent aux socialistes une
marge de manœuvre, leur permettant de marquer leur différence avec une politique dite «de droite». Le rapport à l'autorité qu'il s'agit d'accorder aux forces de l'ordre, ou l'initiative militaire dans le cadre d'opérations extérieures peuvent également faire état de différences politiques classifiables en termes de droite et de gauche. L'économie a perdu ce privilège, exception faite peut-être du questionnement fiscal, lequel a malheureusement été réduit à la triviale antienne: plus ou moins d'impôts?, ou de celui qui consiste à trouver le moyen de rehausser les salaires minimum et d'en plafonner d'autres.
Pourquoi cette dépossession? Elle s'est accomplie en plusieurs étapes, et nous passerons rapidement sur la dimension théorique dont l'élément déclencheur a été le moment révisionniste bernsteinien, au tournant du XXème siècle, lorsque la critique du marxisme orthodoxe a vu le socialisme emboiter le pas au libéralisme pour faire de l'accroissement de la richesse l'unique moyen d'endiguer la prolétarisation des masses. Toute la question est alors devenue, comment accroitre la richesse et favoriser la redistribution? Le socialisme de gouvernement a peu à peu adopté tous les présupposés du capitalisme qu'il s'était pourtant, un siècle auparavant, engagé à combattre, voire à exterminer. Le renoncement au concept de lutte des classes a constitué une des premières étapes, initiée par Jaurès, suivie par l'acceptation de l'économie de marché, par le renoncement à la nationalisation massive, puis à la nationalisation tout court, par l'acceptation de l'ouverture des frontières et la validation des théories du libre-échange, et, enfin, par la dépossession des seuls instruments qui pouvaient encore conférer aux théories keynésiennes un semblant d'emprise sur l'économie nationale, la monnaie et le budget.
Sachant que ces renoncements ont été le fait de gouvernements de gauche aussi bien que de gouvernements de droite, c'est-à-dire sachant que ces renoncements ont été assumés - même si pas toujours ouvertement - par l'ensemble des partis de gouvernement, il naît toujours une forme de stupéfaction à entendre un dirigeant socialiste avancer des propositions audacieuses en matière économique, qui, sur le papier, tranchent avec les présupposés libéraux, car tous savent aujourd'hui que ces bases du libéralisme ont été validées par ailleurs depuis des décennies. Est-ce à dire qu'un dirigeant socialiste ne serait pas à même d'impulser une politique économique socialiste innovante? Disons qu'aujourd'hui, être innovant, pour un socialiste qui voudrait rester socialiste, ne saurait rimer avec les objectifs et les moyens traditionnellement définis. Un dirigeant de droite, vu le manque de flexibilité de notre marché de l'emploi, pourrait envisager d'accroître cette flexibilité - malgré la complexité politique d'une telle entreprise. Il pourrait songer à réduire encore le périmètre de l'Etat. A ouvrir d'autres secteurs de l'économie nationale à la concurrence. En bref, à s'inscrire dans une lignée hayekienne, et viser ainsi à placer la France dans l'axe des pays anglo-saxons. Que pourrait faire un dirigeant socialiste qui soit vraiment socialiste? La dimension conjoncturelle de l'économie est désormais entre les mains de l'Europe. Ceci ne dérange que peu un économiste néo-classique pour qui la monnaie est neutre et l'intervention de l'Etat sur le plan budgétaire néfaste. En revanche, pour un (néo, ou post) keynésien, ceci revient à se retrouver les mains liées dans le dos. Structurellement parlant, prenons l'exemple de la réindustrialisation du pays, qui est un des axes privilégiés du moment. Celle-ci ne saurait exister ailleurs que sur le papier. Car dans les faits, elle est «socialistiquement» impossible. En effet, elle supposerait tout d'abord des investissements. Ils ne sauraient être intérieurs car le pays est financièrement exsangue, et les socialistes en ont officiellement pris acte ; ils ne saurait être entièrement extérieurs, car comment un socialiste pourrait accepter de soumettre l'industrie de son pays à des investissements étrangers dont on connaît la nature de plus en plus spéculative?
Repenser la structure de l'économie sans en changer entièrement les termes suppose également des débouchés, pour que les biens manufacturés qui seront produits consécutivement à cette réindustrialisation puissent se transformer en exportations. Nous savons qu'à la fois le coût du travail élevé - contre lequel les socialistes sont impuissants de peur d'affaiblir les bas salaires et de précariser leur électorat -, et le niveau de la monnaie - dont le contrôle leur a été retiré - réduisent la compétitivité des produits «made in France», et de facto rendent ce vœux de réindustrialisation pieux. Nous pourrions montrer que la question de l'emploi, et donc de la recherche de la croissance, met à jour des contradictions similaires. Dans ce domaine, et dans bien d'autres, comme l'économie verte, les services, l'agro-alimentaire, etc., même en imaginant que de telles politiques soient mises en œuvre, on peine à comprendre quelle pourrait être la marque socialiste qui permette de se différencier d'une politique similaire menée par la droite, et qui permette dans le même temps de gagner en effectivité. L'absence de théorie macro-économique réellement alternative aux théories libérales, et applicable dans le cadre d'une économie ouverte telle que la nôtre, constitue un frein majeur. Par ailleurs, le niveau d'acceptation par la gauche, au fil des décennies, des présupposés du capitalisme leur a désormais interdit toute politique innovante tant que les termes du contrat qui les lie avec le système capitaliste n'auront pas été profondément repensés. Cela supposerait des choix radicaux qu'ils ne sont manifestement pas prêts à accomplir - si tant est que la population, de toute façon, le soit.
Le dernier choix en date, celui du conseiller économique de l'Elysée en la personne de Laurence Boone , confirme ce diagnostic. Son profil, par ailleurs très compétent dans son domaine, est celui d'une spécialiste de l'économétrie et de la finance. Le dernier aspect, financier, - elle a été débauchée de la banque Meryll Lynch après être passée chez Barclays - est sans appel et atteste de la voie libérale progressivement suivie par la gauche en matière économique. L'autre aspect, économétrique, est davantage intéressant. Car en effet, sur le type de profil de son conseiller économique, François Hollande avait une carte à jouer. Il a choisi un calculateur, un spécialiste de ces modèles mathématiques qui structurent les canaux de la finance. Il aurait pu faire un autre choix. Les économistes capables d'inscrire leur réflexion dans un cadre gouvernemental tout en conservant leur dimension atypique, ou hétérodoxe, ou, pourrait-on dire, «alter-capitaliste», pour paraphraser la dimension «alter-mondialiste» insufflée au commerce international par des économistes issus de la même veine, sont suffisamment nombreux pour qu'un choix raisonnable puisse être réalisé en leur sein. Un tel choix aurait marqué le quinquennat de François Hollande d'une pierre blanche, car, après avoir appelé à Matignon un tenant de l'aile droitière du parti, il aurait réaffirmé sa volonté de repenser la dimension économique de sa présidence sous l'angle socialiste, ou «néo-socialiste». Manifestement, tel n'a pas été son choix. Un nouveau pas, même s'il n'est pas décisif, en direction d'une politique économique libérale a été franchi. Comment éviter dès lors que les français interrogent la crédibilité d'un Président de la République qui mène une politique économique de droite à reculons - c'est-à-dire sans en prendre toute la mesure, et donc sans en tirer tous les bénéfices - tout en tenant un discours de gauche?
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