mercredi 4 décembre 2013
Ne pas se tromper de débat
Ne pas se tromper de débat
Le rapport Bailly, remis lundi à Jean-Marc Ayrault, prône « plus de souplesse » pour le travail dominical, couplée avec un maintien de la spécificité de ce jour de repos hebdomadaire, indispensable pour… conserver les compensations salariales qui lui sont propres. Derrière la prudence relative des propositions de Jean-Paul Bailly, l’ancien patron de La Poste, on voit assez clairement ces lignes de force. Le projet de loi déjà annoncé par le Premier ministre pose le principe : « Pas d’ouverture sans contrepartie pour les salariés. » En cette période de paupérisation généralisée, l’issue est évidente : on travaillera encore davantage le dimanche en France. Même si Ayrault prétend qu’il s’agit d’encadrer ce travail « dans de meilleures conditions, plus simples et plus claires ».
Tout, dans le rapport, va d’ailleurs dans le sens de l’élargissement : l’extension du droit d’ouverture de cinq à douze dimanches par an, la redéfinition de « périmètres d’animation concertés » touristiques et commerciaux, la clarification de la brouille avec les magasins de bricolage qui ouvrent dans l’illégalité depuis septembre. Car « à titre personnel », Jean-Paul Bailly est convaincu d’un effet « positif » de l’ouverture des commerces pour l’économie.
Son rapport ne va pas cependant jusqu’à vouloir accorder de nouvelles dérogations permanentes aux magasins de bricolage, et propose de revenir sur celles accordées aux grands magasins d’ameublement en 2008. Mais aussitôt il prône l’inscription provisoire, « jusqu’au 1er juillet 2015 », du « secteur du bricolage dans la liste des dérogatoires ». Vous n’y comprenez rien ? Normal, c’est de l’enfumage.
Aussi sont-ce les organisations patronales et les politiques les plus favorables au démantèlement du dimanche qui ont salué le rapport avec le plus d’enthousiasme, à commencer par Frédéric Lefebvre, ancien secrétaire d’Etat au Commerce et à la Consommation, lapidaire : « Chacun doit être libre de travailler différemment pour gagner plus. » Les syndicats, dans leur ensemble, sont contre, au nom du droit au repos des salariés et des garanties salariales qu’ils jugent insuffisantes. La CFTC, en particulier, dénonce l’« incohérence » du rapport dont la mise en œuvre aboutirait à une forte augmentation du travail dominical.
Il y aura donc une nouvelle loi, dès 2014 a promis Jean-Marc Ayrault, un brin moralisateur pour mieux embobiner le quidam : il s’est dit hostile à une société du « tout mercantile » où « l’optimum des loisirs serait le centre commercial ». De toute façon, a-t-il ajouté, on peut toujours faire ses courses le dimanche : « Il suffit d’allumer son ordinateur. »
Et c’est tout cela qui va « dynamiser l’économie » en un « cercle vertueux », comme le dit un représentant de 18 000 entreprises, Guillaume Cairou ? Les pays européens où le travail du dimanche est imposé, souvent à la faveur d’exigences des créanciers sous la houlette de plans de sauvetage européens, ne s’en portent pas particulièrement mieux. Voyez l’Italie, le Portugal, l’Espagne…
Qui trinquera ? Eh bien, sur le plan économique, les petits commerces et ce qui reste de vie de famille… Mais ce n’est pas tout.
A force de riposter sur le plan économique et social, on en vient en effet à oublier l’essentiel – même les porte-parole de l’Eglise de France qui se gardent bien de parler d’abord et surtout de la signification réelle du dimanche. Pour respecter la laïcité ?
Or le dimanche, ou plus précisément le « septième jour », qui a été donné à l’humanité tout entière depuis le début comme jour de repos, et dont le caractère gravement obligatoire a été confirmé par le Décalogue, est avant tout le signe que l’homme a été créé pour l’être et non pour l’avoir, pour la relation avec Dieu et non pour le faire, au sommet de ce monde matériel qui l’entoure et non soumis à lui.
Il en va du repos du dimanche comme de la défense du mariage vrai : tant qu’on reste « aux périphéries », sans construire sa défense sur le fond de la question de peur de choquer ceux qui ne partagent pas une morale transcendante, on ne peut en réalité rien faire, car on écarte les vraies raisons du combat.
Les vraies raisons du repos dominical, ou du septième jour, dépassent le monde matériel et jusqu’aux rythmes naturels du temps : la semaine est la seule coupure du temps qui ne soit assise sur les mouvements de la terre et des astres, mais sur un commandement révélé dans la Genèse. Et le mot sept, en hébreu, renvoie à l’alliance avec Dieu : se « septer », pourrait-on traduire, signifie « s’engager dans une alliance ».
L’alliance de Dieu avec l’homme, et de l’homme avec Dieu, l’homme qui n’est pas seulement fait pour le travail, l’économie, ni même les relations sociales, mais pour ce qui le dépasse.
Voilà qui mérite plus ample réflexion.
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