lundi 23 décembre 2013
1 point de PIB, cela fait combien ?
Régulièrement, on voit à la télé - c'est d'ailleurs toujours très drôle - des hommes et des femmes politiques se planter sur le prix du ticket de métro (4 euros selon Nathalie Kosciusko-Morizet) ou sur celui de la baguette de pain. C'est sur le montant du PIB - ce qui est plus embêtant - que Marine Le Pen a lourdement chuté l'autre matin, surEurope 1. La patronne du FN réclamant que le budget de la Défense soit porté à 2 % du PIB, contre 1,5 % aujourd'hui, Jean-Pierre Elkabbach l'interroge sur le coût budgétaire d'une telle augmentation : "Un demi-point de PIB, cela représente combien ?" Déstabilisée, Mme Le Pen hésite, puis finit par répondre : "Un milliard d'euros." Pas de chance, un demi-point de PIB, ce n'est pas 1 milliard d'euros, c'est dix fois plus : 10 milliards d'euros. Si Mme Le Pen estime le PIB de la France à seulement 200 milliards, et non à 2 000 milliards, on comprend mieux qu'elle ait une vision aussi noire de la situation économique de notre pays et préconise des solutions extrêmes pour le sortir de la crise. On comprend mieux aussi qu'en comptant de cette façon les experts économiques du FN parviennent aisément à rééquilibrer les comptes extérieurs et à résoudre le problème de la dette publique.
Pour la défense de Mme Le Pen, ses lacunes en matière de culture économique sont à l'image de celles de la plupart des autres dirigeants politiques, mais aussi des Français en général. Et des jeunes en particulier. Si l'enquête Pisa avait mesuré leurs connaissances en économie, elle serait probablement arrivée à un constat encore plus inquiétant que sur leur niveau en maths, en français, sans parler bien sûr de l'anglais. En 2010, le Conseil sur la diffusion de la culture économique (Codice) avait posé un quiz comprenant une série de questions de raisonnements et de connaissances économiques de base. Note obtenue par les jeunes de 15 à 17 ans : 6,2/20. La note des Français dans leur ensemble n'était en vérité guère meilleure (8,3/20), le pire étant sans doute que la catégorie des diplômés de l'enseignement supérieur n'avait même pas réussi à décrocher la moyenne : 9,8/20. Seuls 44 % des Français (28 % chez les 15-24 ans) savent ainsi que l'Allemagne est le premier partenaire commercial de la France, et seulement 35 % connaissent le niveau de dépenses publiques. Un autre test, de culture financière cette fois, mené simultanément dans plusieurs pays par l'OCDE, est arrivé à des résultats tout aussi peu flatteurs pour la France. "Imaginons que vous placiez 100 euros sur un compte rémunéré à 2 % par an. Combien aurez-vous sur votre compte un an plus tard, une fois les intérêts versés ?" À cette question, seuls 51 % des Français apportent la bonne réponse (102 euros, pour nos lecteurs qui auraient un léger doute), alors que les Britanniques sont 62 %, les Allemands 64 % et les Irlandais 76 % à répondre correctement.
Tout cela n'est guère surprenant compte tenu de l'enseignement économique que les Français reçoivent au lycée. Ou, pour être plus juste, ne reçoivent pas. Michel Rocard avait un jour qualifié cet enseignement de "catastrophe ambulante" et l'ancien ministre de l'Économie Francis Mer, évoqué des "cours de marxisme". Nicolas Sarkozy avait, quant à lui, parlé de "blague". En 2008, l'Académie des sciences morales et politiques avait publié un rapport sur l'enseignement de l'économie au lycée en France, rédigé avec la collaboration de cinq économistes étrangers. Leur conclusion était terrible."Le contenu des enseignements n'a qu'un rapport lointain avec la science économique. La lecture des programmes et des manuels révèle des lacunes graves. On aimerait pouvoir dire que l'élève ne retirera de cet enseignement que peu de bénéfices. Mais même cette conclusion paraît trop optimiste : il est difficile d'écarter l'hypothèse que cet enseignement, inadapté dans ses principes et biaisé dans sa présentation, soit en fait néfaste." Leurs reproches ? Un enseignement trop théorique et général et du coup extrêmement superficiel, trop macroéconomique aussi, faussé idéologiquement enfin, notamment vis-à-vis du marché par nature "défaillant" et de l'entreprise par essence "lieu de conflits", le tout donnant de l'économie en général une vision négative et pessimiste.
À la suite de ce rapport puis d'un audit conduit par Roger Guesnerie, professeur au Collège de France, le gouvernement Fillon avait bien entrepris de moderniser les programmes et les manuels. Mais cette réforme, saluée par les économistes, n'a pu être que très partiellement menée, rejetée en bloc par la très puissante et très active, aussi à gauche que conservatrice, Association des professeurs de sciences économiques et sociales (Apses). Qui a dénoncé la main invisible du Medef dans cette tentative de refonte,"remettant en question le projet de discipline, notamment sa dimension de formation citoyenne des élèves". Plutôt que de faire comprendre aux lycéens les mécanismes du marché et de cette "horrible" mondialisation libérale dans laquelle ils vont vivre et tenter de se trouver une place, l'Apses préfère former des citoyens-chômeurs parfaitement armés idéologiquement pour combattre le système. Et pour participer brillamment aux soirées débats organisées par le comité local d'Attac. Mais peut-être un pays a-t-il au fond l'enseignement économique qu'il mérite, et le taux de croissance et de chômage qui vont avec. Le Prix Nobel d'économie Edmund Phelps a affirmé que l'inculture économique des Français coûtait au pays 1 point de PIB par an. Cela fait combien, déjà, Mme Le Pen ?
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